DIMANCHE 24 OCTOBRE 2021… DES MILLIONS D’ENFANTS MIGRANTS À TRAVERS LE MONDE

L’incontournable voyage d’Amal

PHOTO FRANÇOIS LO PRESTI, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Petite Amal, lors de son passage à Calais, dans le nord de la France

Laura-Julie Perreault

LAURA-JULIE PERREAULTLA PRESSE

Petite réfugiée syrienne, Amal, 10 ans, a vraiment droit à un traitement royal depuis qu’elle est arrivée en Grande-Bretagne mardi.

La vedette hollywoodienne Jude Law lui a tendu la main pour l’aider à descendre du bateau en provenance de France. À Douvres, un concert a été donné en son honneur. Un gâteau du célèbre chef Yotam Ottolenghi l’attendait au musée Victoria et Albert de Londres pour souligner son anniversaire.

Vous aurez compris qu’Amal n’est pas une enfant réfugiée comme les centaines d’autres qui tentent ces jours-ci de traverser la Manche pour atteindre le pays de Boris Johnson. Loin d’être attendus en fanfare, ces derniers doivent se tourner vers des passeurs s’ils veulent gagner la Grande-Bretagne. Le gouvernement conservateur vient de mettre fin à des mesures spéciales qui permettaient aux réfugiés de moins de 18 ans d’obtenir l’asile à partir de l’Europe de manière sécuritaire.

Non, Amal n’a pas ce genre de défi. Elle est en fait une grande marionnette de 3,50 mètres qui suit la route des réfugiés, accompagnée par une petite armée d’artistes.

À la recherche de sa mère, elle est partie de la frontière entre la Syrie et la Turquie le 27 juillet, a traversé l’Europe continentale et est sur le point de terminer son périple à Manchester le 3 novembre. Après 8000 km.

Elle est l’incarnation théâtrale des 50 millions d’enfants dans le monde qui ont été forcés de quitter leur foyer pour échapper à la guerre et à la persécution. Plus précisément, elle représente les 12 000 réfugiés mineurs non accompagnés qui ont atteint l’Europe l’an dernier, selon les plus récentes statistiques de l’UNICEF.

PHOTO PETER CZIBORRA, ARCHIVES REUTERS

Jude Law, vedette hollywoodienne, tenant la main de Petite Amal, grande marionnette de 3,50 mètres qui suit la route des réfugiés, accompagnée par une petite armée d’artistes

Et comme pour eux, son parcours n’a pas été de tout repos.

En Grèce, où la question des réfugiés et des migrants est explosive, des militants de l’extrême droite lui ont lancé des pierres et des objets alors qu’elle déambulait dans les rues. Dans le même pays, elle a été bannie d’une ville.

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En France, la maire de Calais a demandé qu’elle passe son chemin, lui autorisant la visite d’un seul quartier. Cette ville est pourtant l’un des symboles de la crise migratoire européenne. Dans des camps de fortune qu’on appelle « la jungle », des milliers de migrants vivotent en espérant faire la traversée vers la Grande-Bretagne.

D’ailleurs, c’est dans une pièce de théâtre montée avec les réfugiés à Calais par la compagnie théâtrale Good Chance qu’est apparu le personnage d’Amal pour la première fois. « Cette petite réfugiée syrienne qui disait qu’elle voulait aller à l’école est restée dans nos cœurs et on a voulu lui rendre hommage », dit Claire Béjanin, qui était impliquée dans le projet original et qui a été la productrice de la marche d’Amal en France, en Suisse, en Allemagne et en Belgique.

PHOTO SALVATORE DI NOLFI, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Petite Amal devant l’Office des Nations unies à Genève, le 28 septembre dernier

La femme de théâtre, qui a travaillé à maintes reprises à Montréal dans des projets présentés par l’Usine C, croit que ce serait une erreur monumentale de ne retenir que les rejets qu’a reçus Amal au cours de son voyage.

Malgré la pandémie, des dizaines de milliers de citoyens, d’artistes et de personnalités sont venus à la rencontre de la grande marionnette et lui ont offert le meilleur d’eux-mêmes.

On a vu sur la route qu’elle est bien plus qu’une marionnette. Oui, comme pour les vrais réfugiés, certains se sont opposés à son passage, mais beaucoup plus de gens lui ont ouvert les bras et ont été touchés par elle. Notre objectif, c’est justement d’attirer l’attention sur ce que vivent les migrants.

Claire Béjanin, productrice de la marche d’Amal en France, en Suisse, en Allemagne et en Belgique

Claire Béjanin a beau soutenir que le projet est artistique et non politique, il reste qu’Amal met souvent les pieds là où ça fait mal.

Voyez les photos et les vidéos de la marche d’Amal sur Instagram

À Marseille, Amal est arrivée par la mer, accompagnée des gens de SOS Méditerranée, une organisation qui repêche des migrants en détresse dans la mer Méditerranée. Depuis le début de l’année, au moins 1370 personnes ont péri en tentant la traversée. Malgré son importance, le travail de SOS Méditerranée se fait dans l’adversité, l’Union européenne lui mettant sans cesse des bâtons dans les roues. Le périple d’Amal a permis à des milliers de personnes d’acclamer les travailleurs de l’organisation non gouvernementale. Un rare baume.

En fait, tout cet ambitieux projet se veut un antidote aux crispations politiques à l’égard des réfugiés qu’on observe dans toute l’Europe et le monde occidental.

C’est ce qui le rend émouvant et d’une immense pertinence.