Une chanson et ses planètes alignées
Lancée la semaine dernière comme premier extrait de l’album Après, la Chanson du camionneur s’est retrouvée au sommet des ventes sur iTunes en seulement 24 heures. Il faut dire que la création de Pierre « Pierrot » Rochette était, le même jour, au cœur d’un épisode de Faire œuvre utile, cette émission diffusée à ArTV et organisant des rencontres entre un créateur et une personne du public pour qui le livre, la chanson, la toile, le spectacle de l’artiste a été aidant.
« Tu te souviens du camionneur décédé dans un accident sur l’autoroute 40 il y a deux ans à Montréal? Ça avait brûlé pendant des heures! Ce jour-là, sa conjointe était à Saint-Élie-de-Caxton. Elle n’a su la nouvelle qu’après, parce que le cellulaire ne rentre pas à Saint-Élie. Pour elle, le village était désormais relié à la mort de son mari. Plusieurs mois plus tard, elle vient voir mon spectacle, pour exorciser tout ça. Et comme chanson de rappel, je fais La chanson du camionneur… »
Fred Pellerin a aussi vécu des émotions fortes lorsqu’il a découvert ce texte jusqu’alors inédit, que quelques artistes se passaient « sous le manteau ». Il est signé par un des deux fondateurs de la légendaire boîte à chansons montréalaise Les 2 Pierrots. L’histoire de son auteur est tout aussi palpitante.
« Pierre, c’est un gars qui avait une maison, une voiture, des RÉER, et qui, il y a une vingtaine d’années, a dit : c’est pas ça que je veux. Il a donné sa maison, sa voiture, ses RÉER, et il est devenu vagabond au Québec. Il s’est dit qu’il allait prendre soin de l’univers pour voir si l’univers était capable de prendre soin de lui. Encore aujourd’hui, tout ce qu’il possède tient dans un sac. »
Surtout, le musicien a écrit, au fil de ses errances, une centaine de chansons, toutes associées à une personne rencontrée sur la route. Dont une inspirée d’une conversation avec un camionneur lui ayant confié le grand amour qu’il vouait à sa femme et son incapacité à le lui exprimer.
« Pierre lui a répondu qu’il allait lui organiser ça et il a écrit cette chanson où il y a un j’t’aime chuchoté, en dehors de la mélodie, après le premier vers de chaque couplet. Comme un aparté.
J’ai un collègue conteur, Simon Gauthier, qui a construit un spectacle complet autour de l’histoire de Pierrot. Il a appelé ça Le vagabond céleste. C’est lui qui m’a envoyé un enregistrement maison de la chanson, en format mp3, en me disant : “C’est trop pour toi!” Je l’ai écoutée dans mon auto en revenant de l’épicerie et j’ai braillé. »
Quand cuisine rime avec mélamine
Il a toutefois fallu négocier avec Pierre Rochette qui, fidèle à sa philosophie, refuse toute forme de reconnaissance et de droits d’auteur. « Il a fini par accepter à certaines conditions. Une d’entre elles était de mettre dans le livret l’adresse de son site internet où il explique sa démarche du pays œuvre d’art [wow-t.com]. Et un ami va se charger de récupérer les droits d’auteur pour l’aider à réaliser quelques projets… C’est un gars d’une très grande humanité. »
Fred Pellerin a particulièrement été touché par le texte, écrit dans les mots de chaque jour — « cuisine qui rime avec mélamine et le petit lit de cabine qui est trop grand » —, mais contenant quand même une « histoire d’amour géante ».
« Probablement aussi parce que je me reconnais en tant que gars qui fait de la tournée. Moi aussi, j’ai une vie de route, avec dans ma voiture une valise toujours prête, que je lave en arrivant, que je sèche et que je remets dans l’auto. Et s’il y a une chose que je n’aurais pas voulu pour mes enfants [ils ont aujourd’hui 13, 10 et 8 ans], c’est un père qui n’est qu’une valise dans l’entrée. »
« Mais on a analysé tout ça avec eux et on a conclu que j’étais plus présent qu’un gars qui travaille. Quand je crée, je suis à la maison. Je prends une semaine de congé sur cinq, deux mois de congé en été … on les emmène avec nous, on fait l’école à la maison et ils vivent plein de choses à travers tout ça. »,