C’est pour fuir le désespoir que des milliers de migrants quittent le Honduras
Publié aujourd’hui à 4 h 21
Mis à jour il y a 18 minutes
Depuis plus de 20 ans, 300 à 400 Honduriens quittent chaque jour leur pays. Ils font ça discrètement, la nuit. Ils prennent l’autocar jusqu’à la frontière du Guatemala et ils continuent à travers le Mexique pendant des semaines, des mois, par tous les moyens, jusqu’à la frontière des États-Unis. Le 12 octobre, tout a changé : pour la première fois, les migrants se sont regroupés en caravane, en pensant qu’ils auraient ainsi plus de protection contre les dangers de la route vers El Norte, le nord, la Terre promise.
Un texte de Jean-Michel Leprince
La plupart sont partis de San Pedro Sula.
Le 3 octobre dernier, le journaliste, activiste et ex-député Bartolo Fuentes publie une annonce sur les médias sociaux. Elle dit : « Autoconvocation : la marche du migrant. Nous ne partons pas parce que nous le voulons; c’est la violence et la pauvreté qui nous expulsent. Rendez-vous à la gare d’autocars de San Pedro Sula le 12 octobre, à 8 h. Direction : le Mexique. »
Facebook, Whatsapp et, surtout, une chaîne de télévision locale ont fait le reste.
Des gens marchent dans la rue à San Pedro Sula, au Honduras. Le centre-ville de San Pedro Sula Photo : Radio-Canada/Frédéric Tremblay
Le 12 octobre, des centaines de personnes – hommes, femmes et enfants – se sont retrouvées à la gare d’autocars et ont pris la route, à pied et non en autocar, comme ils l’auraient fait individuellement, vers le Guatemala.
Combien sont-ils? Dix mille peut-être? La très grande majorité d’entre eux sont des Honduriens. Mais des Salvadoriens et des Guatémaltèques se sont aussi joints à la caravane.
Tout s’est bien passé jusqu’à la frontière mexicaine, où on leur a barré l’entrée au pays. Après quelques heures de tensions, de bagarres, de grenades lacrymogènes et de traversées du fleuve Suchiate, le Mexique a finalement ouvert ses portes et tenté de canaliser les migrants.
Des milliers ont toutefois dû rebrousser chemin, malades ou expulsés par la Migra, la police migratoire mexicaine.
Au Honduras, une mère entourée de ses trois enfants. Suamy Castillo et ses trois enfants Photo : Radio-Canada/Frédéric Tremblay
Paroles de migrants : Suamy Castillo
« Des mareros (membres des bandes criminelles) nous ont attrapés dans la confusion de la frontière mexicaine, à Tapachula. Ils ont voulu m’enlever ma fille aînée de 13 ans. J’ai dû revenir au pays avec mon autre fille de 10 ans et mon fils de 3 ans. » Pour survivre, elle essaie de vendre les tortillas qu’elle prépare. S’il le faut, elle repartira, dit-elle.
« La ville la plus dangereuse du monde »
C’est ce qu’on dit de San Pedro Sula, où le taux d’homicides a atteint ces dernières années 90 pour 100 000 habitants (il est de 1,1 au Québec). Il est en baisse, cependant : 45 pour 100 000 cette année.
La police nationale et la police militaire font de gros efforts, mais le système ne suit pas et l’impunité règne.
« Oui, le taux d’homicides a diminué, convient Leonardo Pineda, analyste en matière de sécurité. Mais l’impunité continue à se situer à 94 ou 96 %. Le délinquant sait qu’il peut continuer en toute tranquillité. Il sait qu’il a 96 % de chances de ne pas se faire prendre ou punir. »
« Qui veut vivre dans un pays où les Maras [les bandes criminelles] dominent certains secteurs et où on doit se contenter d’un repas par jour? Qui ne voudrait pas partir? » demande M. Pineda.
Des policiers assis dans une salle, au Honduras. Au Honduras, la police est dépassée et encore corrompue, malgré les réformes dans un pays où règne l’impunité. Photo : Radio-Canada/Frédéric Tremblay
Paroles de migrants : Pastora Guardado
« Après la mort de mon mari, il y a 10 ans, tué par des bandits pour le voler, je suis partie avec ma fille une première fois. Nous avons été refoulées à la frontière mexicaine. Il y a cinq ans, nous avons essayé de nouveau. Mais le coyote à qui nous avons payé des milliers de dollars nous a livrées à la police mexicaine parce que nous ne voulions pas céder à ses avances. Si l’occasion se présente, je repars. Demandez aux gens autour de nous, ils veulent tous partir. »
San Pedro Sula est la plus grosse ville du Honduras, plus grosse que la capitale, Tegucigalpa. Sa zone franche attire des entreprises étrangères. Gildan, fabricant canadien de t-shirts, y emploie 10 000 personnes. Ces emplois, bien que mal payés, sont recherchés. Il n’y en a pas pour tout le monde.
Le père jésuite Ismaël Moreno, dit « Padre Melo », dirige Radio Progreso, à une quarantaine de kilomètres de San Pedro. Les Jésuites sont très actifs dans l’aide aux migrants.
Padre Melo décompose la société hondurienne comme ceci : sur 9 millions de personnes, 1 million se trouvent à l’étranger, surtout aux États-Unis, 1 million vivent bien et possèdent des visas pour les États-Unis, et 1 million sont de petits ou moyens entrepreneurs ou des fonctionnaires et s’en sortent convenablement, mais 6 millions se retrouvent hors de ces cercles, hors de l’économie normale.
«Ces 6 millions sont une bouilloire sous pression. Quatre millions d’entre eux n’ont aucune chance d’avoir un emploi. La caravane des migrants est le résultat d’un processus continu et croissant de perte de possibilités dans la société hondurienne.»
—Ismaël Moreno, Radio Progreso
Des voitures attendent à un poste de contrôle au Honduras. L’entrée bien gardée de la zone franche où se trouvent les « maquiladoras » Photo : Radio-Canada/Frédéric Tremblay
Paroles de migrants : Carla Leticia Alvarado
« Le père de ma nièce veut me tuer, parce que je l’ai dénoncé à la police pour l’avoir violée à plusieurs reprises quand elle avait entre six et huit ans. Le mari de ma compagne veut nous tuer à cause de notre orientation sexuelle. Je ne peux pas vivre au Honduras. Je dois protéger ma fille, y compris de son père, qui m’a violée quand j’avais 16 ans. » Carla s’est fait expulser par la police mexicaine. C’était sa deuxième tentative. Elle veut demander l’asile politique, mais elle ne sait pas comment faire. Elle vit cachée en ce moment au Honduras.
De plus en plus de femmes et d’enfants prennent la route. La violence sexuelle augmente.
Avant, la drogue traversait le Honduras. Maintenant, on en vend dans la rue.
Des familles, des communautés se décomposent. Le manque d’éducation et d’accès à la santé aggrave le problème.
La pilule contraceptive et bien sûr l’avortement sont illégaux au Honduras.
Les prix de l’électricité, des combustibles et des aliments augmentent et rendent la situation encore plus difficile.
Des enfants d’une école primaire du Honduras. L’école primaire de Choloma, en banlieue de San Pedro Sula Photo : Radio-Canada/Frédéric Tremblay
Et ce qu’il y a d’encore pire que la pauvreté, c’est la violence qui s’y ajoute.
C’est la peur qui fait fuir les Honduriens. La peur d’être victime à tout moment d’un coup de feu. Pire encore : qu’un de ses enfants en soit victime.
Mieux vaut mourir en chemin avec l’espoir d’arriver quelque part que de mourir au Honduras sans aucun espoir, pensent-ils.
Paroles de migrants : Yerry Reyes
« Nous sommes parvenus jusqu’à la frontière mexicaine, mais nous n’étions pas bien préparés. Maintenant, nous savons mieux quoi faire et nous verrons ce qu’il arrive avec la caravane. Avec mes amis, nous allons nous réunir et probablement repartir en janvier prochain. » Marié, père de trois enfants, Yerry a un bon métier, soit technicien en réfrigération, mais pas de clients. Ils sont trop pauvres pour se payer ses services.
La faute au gouvernement
De là à accuser le gouvernement du président Juan Orlando Hernandez, il n’y a qu’un pas. Et beaucoup le franchissent.
Il s’est fait réélire en faisant fi de la Constitution, en novembre, au cours d’un scrutin suspect – il y a eu panne du système alors que son adversaire était bien en tête – qui a provoqué de violentes manifestations.
La réélection de M. Hernandez a reçu l’appui du président américain Donald Trump, pour qui il représente la loi et l’ordre, la ligne dure.
«Selon nos sondages, sept citoyens sur dix croient qu’il y a eu fraude et que Juan Orlando Hernandez est responsable de la crise actuelle. En plus, son équipe et lui sont des voleurs, des corrompus. La moitié des gens disent que si ça continue, ils quitteront le pays.»
—Ismaël Moreno, Radio Progreso
Paroles de migrants : Amilda Acosta
« Je préparais des beignets et mes enfants les vendaient. Ils se sont fait agresser et on les a volés. S’ils le peuvent, ils doivent partir. » Son fils aîné est parti avec la caravane, mais a dû rentrer avec des enfants malades. Il entend repartir.
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