Julien Freund
l’essence du politique
chapitre v1
la dialectique du privé et du public: l’opinion
p.368-369
extrait

86- DE L’OPINION EN GÉNÉRAL

De Prime abord, i peut paraître surprenant que la dialectique entre le privé et le public réside dans l’opinion. L’étonnement ne constitue cependant pas une objection: Il demande seulement les explications appropriées pour se laisser convaincre du bien-fondé de cette affirmation. A cet effet, il faut d’abord montrer que la politique est UNE AFFAIRE D’OPINION, expliquer ensuite pourquoi et en quel sens celle-ci se manifeste comme dialectique entre le privé et le public et enfin analyser quelques formes typiques de cette manifestation.

A l’exception de quelques ouvrages très techniques comme la Théorie des opinions de Stoetzel ou certaines monographies consacrées à l’opinion publique, l’opinion n’est en général étudiée que comme ÉLÉMENT D’UNE THÉORIE DE LA CONNAISSANCE OU DU JUGEMENT.

Elle trouve sa place entre LE SENTIMENT SPONTANÉ OU LA PROPOSITION VRAIE, le nombre de degrés du savoir variant avec chaque philosophe, suivant qu’il fait une distinction entre LE PRÉJUGÉ, LE PLAUSIBLE, LA VRAISEMBLANCE, LA PROBABILITÉ, LE PARADOXE, ETC…

La question n’est pas d’examiner ici les diverses théories de la connaissance, MAIS DE PRÉCISER CE QU’IL CONVIENT D’ENTENDRE PAR OPINION.

Elle consiste en l’adhésion d’une pensée ou un ensemble de pensées (doctrine) dont la certitude ne dépend pas DE PREUVES INCONTESTABLES LOGIQUEMENT OU VÉRIFIABLES OBJECTIVEMENT NI D’UNE ÉVIDENCE QUI S’IMPOSE AVEC UNE VÉRITÉ INTRINSÈQUE.

Elle peut cependant se justifier par de bonnes raisons, elle peut être aussi réfléchie ou se présenter comme UNE THÈSE CRITIQUE, mais elle peut n’être aussi qu’une erreur, un préjugé, une croyance de bonne foi ou une présomption.

Quand un historien essaie de nous montrer à l’appui de documents que Napoléon a été le fossoyeur de la Révolution Française, il avance un jugement qui peut certes être fondé; IL S’AGIT CEPENDANT D’UNE OPINION, parce qu’on peut soutenir avec la même bonne foi, qu’il en a été le sauveur ou le continuateur.

Par contre l’idée de la lutte des classes ou du conflit entre les diverses couches sociales comme phénomène permanent de l’histoire, malgré ses variations en intensité suivant les époques, N’EST PAS UNE OPINION,…..

UNE THÈSE RESTE UNE OPINION
SI L’ON PEUT SOUTENIR
AVEC LA MÊME BONNE FOI
LA THÈSE OPPOSÉE
OU UNE AUTRE.

Il n’en est pas ainsi de la lutte des classes ou couches sociales parce qu’il n’y a point de témoignages qui nous prouvent qu’elle n’aurait pas existé dans les sociétés historiques sous une forme virulente ou larvée.

Il est évident, à l’opposé, que la croyance en une société sans classes ou totalement indifférenciée ainsi que celle en un Etat mondial qui aurait définitivement surmonté toute inimitié NE SONT QUE DES OPINIONS.

**** IL EST RARE
QU’UNE OPINION
SOIT TOUT À FAIT VRAIE
OU TOUT À FAIT FAUSSE*****

Quand elle est vraie, on peut l’appeler avec Platon L’OPINION DROITE. Elle est comparable à la vérité scientifique par sa justesse, MAIS ELLE N’EST PAS LE PRODUIT D’UNE ACTIVITÉ RATIONNELLE**** sa justesse est purement accidentelle, c’est à dire sa rectitude purement intuitive coincide par hasard, par chance, avec la rectitude scientifique, mais à la différence de celle-ci elle reste fragile, faute de se laisser contrôler rationnellement.

Platon ajoute deux remarques importances: d’une part, «dans le cas de l’action» l’opinion droite n’est pas moins bonne ni moins utile que la science» et d’autre part, en s’appuyant sur elle «LES HOMMES POLITIQUES RÉUSSISSENT À GOUVERNER AVEC BONHEUR LES CITÉS»…..

En général cependant, les opinions comportent à la fois de la rectitude et de l’illusion, parce que d’une part elles se fondent sur un certain nombre d’éléments contrôlables et positifs souvent associés D’UNE MANIÈRE INCOHÉRENTE ET IRRÉFLÉCHIE**** et d’autre part, elles sont des anticipations mêlées À DES FICTIONS, DES UTOPIES ET DES CHIMÈRES.

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