Dictionnaire des concepts philosophiques
Michel Blay
art et nature
esthétique
Autant que l’art, l’esthétique se préoccupe DU SENTIMENT DE L’HOMME DEVANT LE BEAU NATUREL.
Le jardin occupe à cet égard une situation privilégiée puisqu’il est une oeuvre humaine inscrite dans la matérialité même du paysage. LE MOMENT CRUCIAL DANS L’HISTOIRE DU JARDIN, celui qui ne fait un révélateur irremplaçable DE L’ÉVOLUTION DE LA SENSIBILITÉ, se place au bout d’une évolution des trois siècles, au 18eme siècle, lorsque le succès européen DU JARDIN FORMEL FRANÇAIS (théorisé par Dézallier D’Argenville en 1709) cède la place au PARC PAYSAGE ANGLAIS et à la flambée des jardins anglo-chinois.
Le changement fondamental ne porte pas tant sur les éléments (l’eau, le végétal, la lumière) que sur un changement de paradigme à la base des relations in situ: celui de la peinture (Pope) et de la poésie (Girardin) remplace celui de l’architecture et d’une géométrie quasi-abstraite. L’art authentique des jardins et du paysage n’est plus un spectacle qui se montre d’une manière ostentatoire, il devient UN ART CACHÉ qui procède PAR L’ÉVEIL D’UN ÉTAT DE L’ÂME plutôt que par une mise en scène des corps inspirée par la danse et le théâtre.
Si scénographie il y a, c’est celle d’une nature certes artificielle mais qui se donne comme une imitation des formes et éléments de la nature de la nature capable D’ÉVEILLER LES AFFECTS correspondants , désirés autant que révélés.
C’est pourquoi la ligne serpentine (Hutcheson) est omniprésente LES FORMES D EL’EAU sont des étangs mélancoliques ou des lacs aux contours dissimulés plutôt qu’un canal, des bassins ou des fontaines éclatantes.
DES CHAOS ROCHEUX ET SAUVAGES prennent la place des statues équestres et autres incarnations des dieux antiques. Les pelouses se répandent JUSQU’AU SEUIL D ELA DEMEURE RECHERCHANT UN ENVELOPPEMENT, un enfouissement , de l’architecture dans le végétal plutôt que sa prééminence. Des chemins étroits sinueux et courbes s’ajoutent aux grands axes et allées droites, larges et claires, qui matérialisaient l’emprise et l’efficacité des lois de la perspective sur l’organisation de l’espace, voire les remplacent.
DES FOLIES ET DES FABRIQUES DISPERSÉES accrochent et impressionnent le regard plutôt que le détail minutieux des parterres de broderies. Des tableaux et scènes presque indépendantes l’une de l’autre se présentent tour à tour aux yeux du promeneur, reliées entre elles par le pas d’une promenade méditative plutôt que par une lecture impérative ou démonstrative.
La maîtrise symbolique et économique d’un territoire agricole étant accomplie, le jardin devient une évocation nostalgique d’un paradis perdu (Stourhead) ou d’une Acadie retrouvée.
TOUTE LA TERRE PEUT ÊTRE VUE COMME UN JARDIN QUI S’ÉTEND À L’INFINI, note Walpole au sujet de William Kent. Il ne s’agit pas seulement de perception, MAIS D’UNE INTERROGATION DE LA PLACE DE L’HOMME AU SEIN D ELA NATURE- comme en témoigne le dispositif du ha-ha (saut de loup) et de la société.
EN EXALTANT LA SOLITUDE ET LA RÊVERIE, la promenade prédispose au souci de l’intériorité et favorise UN SENTIMENT D’HARMONIE COSMIQUE . Terrain de prédilection qui flatte l’expression et l’expansion de la sensibilité humaine, le jardin est pourtant menacé dans ses codes esthétiques par l’excès du pittoresque (justement critiqué par Quatremère de Quincy en 1820 et ensuite par les effets de la mécanisation et de l’urbanisation. …