Le multivers existe-t-il ?
L’idée d’univers parallèles radicalement différents du nôtre est séduisante, mais excessivement spéculative.
George Ellis | 25 janvier 2012 | POUR LA SCIENCE N° 412 | 14mn
Levi Brown
Depuis une dizaine d’années, une hypothèse extraordinaire passionne les cosmologistes : l’Univers que nous sommes en mesure d’observer ne serait pas unique, il en existerait des milliards d’autres. En d’autres termes, l’Univers ferait partie d’un « multivers » plus vaste. Certains scientifiques de renom ont parlé de révolution super-copernicienne. Selon cette idée, non seulement la Terre n’est qu’une planète parmi tant d’autres, mais l’Univers est lui-même insignifiant à l’échelle cosmique, un parmi un nombre incalculable d’autres univers régis par leurs propres lois.
Le terme multivers a plusieurs significations. Nous pouvons sonder l’espace qui nous entoure jusqu’à environ 42 milliards d’années-lumière, distance qui correspond à celle parcourue par la lumière depuis le Big Bang en tenant compte de l’expansion cosmique. Mais il n’y a aucune raison de penser que l’Univers s’arrête à cet horizon cosmologique. Il pourrait se prolonger indéfiniment au-delà, semblable à notre région observable. Seule la distribution de matière différerait d’une région à l’autre, mais les lois physiques seraient identiques. Presque tous les cosmologistes, et j’en fais partie, acceptent cette vision du multivers comme une collection de régions similaires. Le cosmologiste d’origine suédoise Max Tegmark l’a qualifié de « multivers de niveau 1 ».
Mais certains vont plus loin. Ils imaginent une infinité d’univers différents, régis par des lois physiques différentes, ayant des histoires différentes, voire des espaces n’ayant pas le même nombre de dimensions. La plupart seraient stériles, mais certains grouilleraient de vie. L’un des principaux partisans de ce multivers de « niveau 2 » est le cosmologiste d’origine russe Alexander Vilenkin, qui dresse le tableau spectaculaire d’un ensemble infini d’univers renfermant une infinité de galaxies, une infinité de planètes et une infinité de personnes qui sont votre sosie et qui sont en train de lire cet article.
De telles représentations ne datent pas d’hier et se retrouvent dans de nombreuses cultures à travers l’histoire. Ce qui est nouveau, c’est l’idée que le multivers soit une théorie scientifique, avec tout ce que cela implique de rigueur logique et de confrontation à l’expérience. Cette idée me laisse sceptique. Je ne pense pas que l’existence de ces autres univers ait été prouvée, ou même qu’elle puisse jamais l’être. Selon moi, les partisans du multivers ne se contentent pas d’élargir notre conception de la réalité physique, ils redéfinissent implicitement ce qu’on entend par « science ».
Ceux qui souscrivent à l’hypothèse du multivers de niveau 2 ne manquent pas d’idées pour expliquer cette prolifération d’univers ou pour les mettre en évidence. Ces univers pourraient par exemple se situer dans des régions très éloignées de l’espace, qui ne se sont pas dilatées au même rythme que la nôtre, comme l’envisage le modèle d’inflation éternelle d’Alan Guth, Andrei Linde et d’autres. Ces univers pourraient avoir existé avant le nôtre, comme le propose le modèle cyclique de Paul Steinhardt et Neil Turok. Ou encore exister en parallèle, en tant que d’autres réalisations des états quantiques de l’Univers, comme le soutiennent David Deutsch et Michael Lockwood. Ces univers pourraient aussi être complètement déconnectés de notre espace-temps, comme l’ont suggéré M. Tegmark et Dennis Sciama.
Parmi tous ces scénarios, celui qui est le plus largement accepté est l’inflation éternelle. C’est donc sur ce dernier que je vais me focaliser. Cependant, la plupart de mes remarques s’appliquent aussi aux autres propositions. L’idée du scénario inflationnaire est que l’espace est un vide en perpétuelle expansion, au sein duquel les fluctuations quantiques font en permanence se dilater en accéléré de nouvelles régions, donnant ainsi naissance à des chapelets d’univers, comme des bulles dans un bain moussant.
Le concept d’inflation remonte aux années 1980 et a été revisité depuis dans le cadre de la théorie des cordes, la théorie des interactions fondamentales la plus prometteuse à ce jour. Ce cadre autorise des univers-bulles très différents les uns des autres. En effet, chacun commence son existence non seulement avec une distribution aléatoire de matière, mais aussi avec un jeu aléatoire de particules et de lois physiques. Notre Univers contient par exemple des électrons et des photons interagissant par le biais de la force électromagnétique ; d’autres univers pourraient avoir d’autres types de particules et de
À SUIVRE…