Le multivers quantique
Yasunori Nomura | 25 août 2017 | POUR LA SCIENCE N° 479
La cosmologie laisse penser que notre univers n’en serait qu’un parmi d’innombrables autres. Et si cette multiplicité d’univers coïncidait avec l’idée des mondes multiples avancée il y a soixante ans pour comprendre la physique quantique ?
our de nombreux cosmologistes, ce que nous pensons être l’Univers dans son intégralité ne serait qu’une infime partie d’un ensemble bien plus vaste : le multivers. Selon ce scénario, il existerait une multitude d’univers, dont l’un serait celui où nous vivons. Et chacun de ces mondes serait régi par des lois différentes ; ce que nous pensions être les principes fondamentaux de la nature ne serait plus si absolu. Ainsi, les types et propriétés des particules élémentaires et de leurs interactions pourraient varier d’un univers à l’autre.
L’idée du multivers émerge d’une théorie suggérant que le cosmos primordial a subi une expansion fulgurante, exponentielle. Au cours de cette période d’« inflation cosmique », certaines régions de l’espace auraient vu leur expansion rapide prendre fin plus tôt que d’autres, formant ce qu’on appelle des « univers-bulles », un peu comme des bulles dans un volume d’eau bouillante. Notre univers correspondrait à l’une de ces bulles, au-delà de laquelle il y en aurait une infinité d’autres.
L’idée que notre univers ne représente qu’une petite partie d’une structure beaucoup plus vaste n’est pas aussi bizarre qu’il y paraît. Après tout, à travers l’histoire, les scientifiques ont appris à maintes reprises que le monde ne se résume pas à ce qui en est visible. Cependant, la notion de multivers, avec son nombre illimité d’univers-bulles, présente un problème théorique majeur : elle semble supprimer la capacité de la théorie de l’inflation à faire des prédictions sur les propriétés de notre univers, une exigence centrale pour qu’une théorie soit utile. Pour reprendre les mots d’un des pères de la théorie de l’inflation, Alan Guth, du MIT (l’Institut de technologie du Massachusetts), « dans un univers éternellement en inflation, tout ce qui peut arriver arrive ; en fait, tout arrive un nombre infini de fois ».
Dans un univers unique où les événements se produisent un nombre limité de fois, les chercheurs peuvent calculer la probabilité relative qu’un événement se produise plutôt qu’un autre en comparant les nombres de fois que ces événements se produisent. Mais dans un multivers où tout se produit un nombre infini de fois, un tel décompte est impossible et, dès lors, rien n’a plus de chances de se produire que le reste. On peut faire les prédictions que l’on veut, elles sont amenées à se réaliser dans l’un ou l’autre univers, mais cela ne nous renseigne en rien sur ce qui va se passer dans notre propre univers.
Cette absence d’efficacité prédictive dérange depuis longtemps les physiciens. Certains chercheurs, dont je fais partie, suggèrent que la théorie quantique (qui décrit le comportement des particules aux plus petites échelles) pourrait, ironiquement, indiquer la voie de la solution. Plus précisément, le scénario cosmologique d’un univers en éternelle inflation serait mathématiquement équivalent à l’interprétation des « mondes multiples » de la physique quantique. Cette idée est très spéculative, mais, comme nous le verrons, une telle connexion entre les deux théories donne des pistes pour résoudre le problème des prédictions, mais pourrait aussi révéler des informations surprenantes sur l’espace et le temps.
L’idée d’une correspondance entre les deux théories m’est venue alors que je travaillais sur les principes de l’interprétation des mondes multiples de la physique quantique. Cette interprétation a vu le jour pour expliquer certains des aspects les plus étranges et contre-intuitifs de la physique quantique : cause et effet ne s’articulent pas comme dans le monde macroscopique qui nous est familier, et le résultat de tout processus y est toujours probabiliste. Pour l’illustrer, prenons l’exemple d’un ballon qu’on lance.
Dans notre vécu macroscopique, nous pouvons prédire où le ballon va atterrir en prenant en compte le point d’où il a été lancé, sa vitesse et d’autres paramètres. Si ce ballon était une particule quantique, tout ce que nous pourrions dire est qu’il a une certaine probabilité d’atterrir à tel endroit ou à un autre. Ce caractère probabiliste ne peut pas être éliminé par une meilleure connaissance des courants d’air ou autres facteurs liés au ballon ; c’est une propriété intrinsèque de la nature. Le même ballon quantique lancé plusieurs fois exactement dans les mêmes conditions atterrira parfois au point A et parfois au poi…
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Yasunori Nomura
Yasunori Nomura est directeur du Centre de physique théorique de l’universitéde Californie à Berkeley.
L’essentiel
La théorie de l’inflation cosmique décrit la phase brutale d’expansion subie par l’Univers à ses tout débuts. Dans ce cadre, notre monde pourrait n’être qu’un élément d’un univers multiple, le multivers.
L’idée de multivers est problématique car elle fait perdre à la théorie tout potentiel prédictif.
L’auteur résout cette difficulté en faisant le lien entre le multivers et l’interprétation des mondes multiples en physique quantique.
Selon cette conception, notre univers ne serait qu’un parmi de nombreux autres qui coexistent dans l’espace des probabilités plutôt que dans un unique espace réel