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Les enfants silencieux de la caravane de migrants
La caravane de migrants qui a quitté le Honduras en direction de la frontière américaine il y a près d’un mois compte beaucoup d’enfants. Combien? Difficile à dire exactement, mais ils sont partout sur le chemin. Comme les adultes, ils marchent, ils ont faim, ils ont soif. Pourtant, on ne les entend jamais se plaindre.
Par Émilie Dubreuil, envoyée spéciale au Mexique
13 novembre 2018
Sur les épaules de son papa, il est toujours souriant. Ce doit être son costume d’Halloween, cette tête d’ourson qu’il arbore. Il est 5 h et il nous salue de sa petite main dans la pénombre de l’aurore. Il nous reconnaît. Nous l’avons croisé hier soir après une journée de 16 heures de marche et de rides. Il avait son ourson sur la tête et le même sourire, calme, chaleureux. Il s’appelle Bradley. Il a 5 ans. Et sa tête d’ourson est son seul jouet, s’il en est un.
Un enfant sur les épaules de son père, qui marche avec d’autres migrants.
Bradley, 5 ans, est sur les épaules de son père. Photo : Radio-Canada/Frédéric Lacelle
Je demande à sa mère, Flor Jacome, pourquoi ils sont partis. « Pour lui, me répond-elle. Chez nous, nous ne pouvons pas le nourrir. »
Les enfants comme Bradley sont omniprésents parmi les migrants, mais on oublie presque leur présence tant ils font preuve de sang froid. Jamais de pleurs. Jamais de cris. Même les bébés semblent stoïques.
Cette résilience silencieuse, souvent souriante même, parle si fort.
C’est le plus fort
Roger Molina a 4 ans. Il est 6 h. Le groupe de migrants court vers un autobus qui s’arrête. L’enfant avec ses petites jambes prend du retard.
Roger sur les épaules d’un homme, entouré d’autres migrants.
Le jeune Roger sur les épaules d’un inconnu. Photo : Radio-Canada/Frédéric Lacelle
Un homme, qu’il ne connaît pas, comprend la situation, le prend sur ses épaules et monte. La mère les rejoint dans l’autobus à bout de souffle. Le compagnon de route lui redonne son fils. L’enfant lui sourit tranquillement. Il n’a pas dit un mot. « C’est le plus fort », murmure la maman en reprenant Roger dans ses bras.
– Est-ce que les hommes vous aident souvent sur la route?
– « Oui. Sinon, ce ne serait pas possible », soupire cette femme qui voyage seule avec son enfant et qui a fui son pays à cause des bandes criminelles qui la menaçaient de mort.
Je demande au bon samaritain pourquoi il a aidé la jeune mère.
« J’ai laissé mes enfants à moi derrière, au pays, confie-t-il. Ils n’auraient pas été capables de faire ce voyage. Ça me fait plaisir de voir des enfants. Les miens me manquent. »
Pendant le trajet, Roger regarde par la fenêtre, blotti contre sa mère. Le petit ferme les yeux et s’endort presque tout de suite.
Quand l’autobus s’arrête, le chauffeur serre la main de ses passagers de misère. Il leur souhaite bonne chance. Les uns sortent les poussettes, les autres portent des poupons dans leurs bras.
Le petit Roger veut faire comme les grands et serre, lui aussi, la main du chauffeur. L’homme craque. Il se cache le visage dans les mains, essuie ses larmes tandis qu’il suit du regard le bambin qui descend laborieusement les grandes marches en tenant la main de sa mère. Il va vers une autre attente, vers une autre ride sur les épaules d’un compagnon d’infortune plus grand et plus fort que lui, un autre père orphelin de ses enfants.
Le choix de Glenda
Glenda Azuzena, 29 ans, a été confronté à un choix cornélien lorsqu’elle a quitté le Honduras pour se joindre à la caravane. Le départ s’imposait : elle était incapable de nourrir ses trois enfants. Elle était menacée de mort par une bande criminelle.
Elle a donc confié la garde de ses filles de 6 et 12 ans à sa soeur. Elle est partie avec Sherly, 10 ans.
« Je suis partie avec celle-là parce que physiquement, de mes trois enfants, c’est la plus forte, la plus résistante, la seule capable d’affronter ce périple », explique la Hondurienne aux grands yeux bruns et doux.
« Elle ne se plaint jamais », dit sa mère. Fière. « Parfois, elle me dit qu’elle a soif. »
Assise, une petite fille boit un jus.
Malgré la faim et la fatigue, Sherly, 10 ans, « ne se plaint jamais », souligne sa mère. Photo : Radio-Canada/Frédéric Lacelle
Sherly nous dévisage en dévorant une collation offerte par des bénévoles à l’aube alors que le groupe de migrants quittait le stade de Querétaro. Il est 7 h 30 lorsque nous la rencontrons. Après une marche de deux heures en bordure de l’autoroute, la mère et la fille attendent avec un groupe qu’un camion de chargement daigne s’arrêter.
Sherly est visiblement affamée et engouffre, littéralement, la nourriture dans sa petite bouche.
Je m’agenouille pour lui parler.
– Comment vis-tu le voyage Sherly?
La petite me dévisage et répond simplement : « J’ai faim, mais sinon, ça va. »
Je lui demande si son pays lui manque.
« Mes amis à l’école me manquent beaucoup. Mes soeurs aussi, mais sinon ça va », répète-t-elle.
De dos, des migrants montent dans un camion.
Des migrants se pressent pour grimper à bord d’un camion. Photo : Radio-Canada/Frédéric Lacelle
La centaine de migrants avec qui Sherly et sa maman attendent une ride, comme ils le disent, décident de bloquer la route. Un camion de chargement est obligé de s’arrêter.
La petite fille et sa mère courent pour monter. Des hommes aident la petite à escalader un marchepied immense pour une si petite fille.
Des gens aident la fillette à grimper à bord.
Il est difficile pour une enfant comme Sherly d’escalader un marchepied pour monter dans un camion. Photo : Radio-Canada/Frédéric Lacelle
La traversée de Candy
La caravane n’est pas un rallye organisé ni une très longue manifestation avec relais et points de chute. Les migrants vont au gré des hasards de la route et les autorités ont du mal à les suivre.
Par exemple, vendredi dernier, l’État du Querétaro avait installé un refuge, très bien, avec des lits et de la nourriture. Mais les camions de la Croix-Rouge et les bénévoles sont restés devant une salle vide. Les migrants sont allés plus loin. À une centaine de kilomètres plus loin. Ils se sont donné rendez-vous dans un stade en bordure de l’autoroute, où l’État a dû improviser un campement.
Seule dans le centre des loisirs transformé en camp de réfugiés désert, Candy Casas Lopez pleure comme une enfant sur son petit matelas. Quand elle m’aperçoit, elle me demande où sont ses amis. Elle s’est perdue. « La police m’a trouvée et m’a amenée ici », hoquette-t-elle affolée. Elle me saisit la main comme si c’était une bouée. Désemparée, je la complimente sur son t-shirt de Minnie Mouse. Elle me sourit. « Ah! Toi aussi, tu aimes Minnie Mouse », s’exclame-t-elle.
Candy a 25 ans et est atteinte d’un léger retard intellectuel. Une enfant égarée. « Je veux retourner chez moi, au Guatemala. Je veux voir ma maman », me chuchote-t-elle comme si elle me confiait un secret.
Des bénévoles arrivent sur les entrefaites. Ils lui offrent de l’amener au stade rejoindre les autres. Nous la retrouverons le lendemain à un arrêt routier. Elle nous saute dans les bras.
Le camion arrêté par les migrants interrompt nos retrouvailles. Tout le monde court en criant de joie et se précipite à bord de cette bouée de sauvetage qui roule. Alors qu’ils sont tous montés et que le camion est déjà en marche, Candy, elle, est incapable de monter. Ses jambes pendent dans le vide.
Camion avec des migrants, dont une femme qui tente de s’y hisser avec l’aide d’autres gens.
Des migrants aident Candy à monter dans le camion en marche. Photo : Radio-Canada/Frédéric Lacelle
De peine et de misère, les autres l’aident à se hisser. Sur le bord de la route, je retiens mon souffle. Ça y est, elle est assise. Elle a le regard encore apeuré. Elle n’a pourtant pas crié. Candy frissonne dans son t-shirt de Minnie Mouse. Il fait à peine 10 degrés en cette matinée grise. Entre deux hommes qu’elle ne connaît sans doute pas, la petite Sherly, montée quelques minutes plus tôt, dort déjà.
Du Honduras, au Mexique et jusqu’aux États-Unis; nos envoyés spéciaux témoignent cette semaine du périple de la caravane de migrants.
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