LA NOTION DE RECADRAGE DANS LES NOUVELLES RECHERCHE DE LA SCIENCE DES ÉMOTIONS PAR LE LABORATOIRE DE LA SCIENCE ET DE LA SANTÉ AFFECTIVE DE L’UNIVERSITÉ DE tORONTO (BRETT FORD)

Gérer ses émotions diminue l’engagement politique
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Selon les chercheurs, les émotions négatives ne sont pas nécessairement synonymes d’une action politique efficace.
Photo: Alex Wong / Getty Images / AFP Selon les chercheurs, les émotions négatives ne sont pas nécessairement synonymes d’une action politique efficace.

Catherine Lalonde

9 novembre 2018

Société

La colère serait-elle nécessaire à l’engagement politique ? Une étude récente laisse entendre que oui. Sauf que la bête humaine a une tendance naturelle à chercher le confort, et elle cherche donc à émousser les émotions perçues comme négatives, à les cadrer…

Est-ce la colère des citoyens qui a fait perdre aux républicains de Trump des sièges à la Chambre des représentants ? Ou une certaine agilité émotive des électeurs qui leur ont permis de prendre plus de place au Sénat ? Un peu des deux, si l’on transpose aux élections américaines de mi-mandat les résultats d’une récente étude.

Partant des théories en cours sur la régulation des émotions, qui suggèrent qu’en général, chacun va chercher naturellement à estomper celles qui sont vues comme négatives, le Laboratoire de la science et de la santé affective de l’Université de Toronto a voulu en tâter les conséquences.

C’est un cercle, pas seulement vicieux, mais qui peut le devenir. Une étrange boucle psycho-humaine. Suivez le raisonnement : les émotions perçues dans notre société et en Occident comme négatives (la colère, la déception, le dégoût et autres sombres consoeurs de l’âme) peuvent aussi servir d’étincelles.

C’est sur 1552 partisans d’Hillary Clinton, déçus par l’élection de Donald Trump le 20 janvier 2017, que s’est penchée l’équipe dirigée par Brett Ford, du Département de psychologie de l’Université de Toronto, le temps de six études effectuées en deux temps.

On y voit que l’utilisation du « recadrage » — cette capacité à mettre en perspective sa vision des choses, à changer de point de vue — diminue, de manière indirecte, l’engagement politique. Que ce soit dans des formes d’action plus traditionnelles, comme la protestation, le don, le bénévolat, ou dans les manières plus novatrices, comme la prise de position sur les réseaux sociaux.

« De manière conceptuelle, peut-on lire en conclusion, quand le recadrage est utilisé dans un contexte où il serait possible d’effectuer des changements à long terme, son utilisation pour réduire les émotions négatives peut aussi réduire la motivation d’un individu à exercer un changement. »

Ici, plus les partisans de Clinton géraient aisément leurs émotions, moins ils cherchaient à s’engager dans des actions pouvant transformer leur paysage et la démocratie.

Activisme

« Il peut sembler étrange au premier coup d’oeil que des expériences émotives comme l’inquiétude ou la tristesse soient liées aux grandes actions politiques, mais il est essentiel de noter que le résultat de quelque discrète émotion négative que ce soit dépend de la cible de l’émotion », poursuit l’étude.

Ainsi, les individus préoccupés par les répercussions de leurs actions politiques étaient moins motivés à agir que ceux qui s’inquiétaient des conséquences de la présidence de Trump.

Ces premiers résultats pourraient être utiles aux activistes, croient les chercheurs, le recadrage émotif pouvant court-circuiter leurs efforts de mobilisation. Dans certains cas, tabler sur les émotions négatives pourrait être utile.

En contrepoint, l’étude rappelle que les émotions négatives ne sont pas nécessairement synonymes d’une action politique efficace puisqu’elles peuvent entraîner aussi des gestes violents, un manque de pertinence des actions.

« Ces résultats soulignent la nécessité de lier les recherches en psychologie politique avec celles en régulation des émotions, afin d’arriver à des conclusions nuancées qui permettront la création d’outils efficaces pour ceux qui veulent promouvoir une démocratie en santé. »

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La science des émotions
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«Les gens sont fascinés par leurs propres émotions. Cette idée, par exemple, qu’accepter ses émotions négatives puisse être une stratégie efficace à long terme pour optimiser son bien-être a beaucoup circulé», affirme Brett Ford.
Photo: Filippo Bacci Getty Images «Les gens sont fascinés par leurs propres émotions. Cette idée, par exemple, qu’accepter ses émotions négatives puisse être une stratégie efficace à long terme pour optimiser son bien-être a beaucoup circulé», affirme Brett Ford.

Catherine Lalonde

9 novembre 2018

Société

Étudier, scientifiquement, les émotions ? « Bien sûr », répond Brett Ford.

Cette professeure adjointe au Département de psychologie de l’Université de Toronto a toujours été fascinée par la façon dont les gens vivent et expriment leurs sentiments. Au point d’en faire son métier, lançant il y a plus de deux ans le Laboratoire de la science et de la santé affective [Affective Science Health Laboratory], au coeur de son alma mater.

Avec son équipe, elle cherche, par exemple, les avantages et désavantages de croire à la valeur des émotions négatives ; se demande s’il est possible de contrôler ses émotions ; évalue si la colère a un impact sur l’engagement politique (voir autre texte) ; pense les liens entre la santé mentale des aidants des patients atteints de maladie neurodégénérative et la mortalité de ces derniers. Entre autres. Regard sur ce labo qui passe les émotions au microscope. « On sait maintenant à quel point la biologie, la psychologie et la chimie sont intereliées », explique Brett Ford, qui a fondé il y a plus de deux ans ce labo du coeur et du cerveau.

« Quand je mesure le rythme cardiaque d’un des sujets que j’étudie, c’est de la biologie ; et on sait que le psychologique influence le biologique. Il faut désormais chercher à comprendre l’ensemble, à voir ces systèmes comme un tout. C’est là que plusieurs recherches en psychologie se dirigent : vers la compréhension de l’organisme humain comme un tout, de l’humain comme être biologique autant que social, existant au sein d’une culture plus large. Ça implique de considérer aussi des aspects venus de l’anthropologie et de la sociologie. Dans cette tendance, la psychologie se retrouve en belle position pour naviguer dans le concret comme dans l’abstrait. »

Le public est avide des résultats de ce type de recherche, mentionne Mme Ford. « Les gens sont fascinés par leurs propres émotions. Cette idée, par exemple, qu’accepter ses émotions négatives puisse être une stratégie efficace à long terme pour optimiser son bien-être a beaucoup circulé. »

Comment vous sentez-vous ?

Un des défis quotidiens de la chercheuse est de chercher comment, factuellement, mesurer des émotions.

« De la même manière, il est ardu de mesurer des croyances, une attitude, un degré de satisfaction dans une relation. Et c’est tous ces feelings qu’il nous faut quantifier en trouvant des manières, quelle qu’elles soient, de mesurer l’intangible. Ces expériences, par nature complexes, intègrent du subjectif mais aussi des aspects physiologiques. »

On sait tous, poursuit Brett Ford, qu’en colère, un coeur va battre plus rapidement, une respiration va s’accélérer, que l’anxiété provoque la poussée d’adrénaline.

« C’est simple de prendre le pouls. Mais le résultat demeure une seule pulsation, pas une émotion. Il nous faut donc trouver des façons de trianguler diverses expériences : on peut mesurer le sourire comme élément du bonheur — sans oublier qu’on sourit pour toutes sortes de raisons différentes, et aussi quand on est moins heureux. Souvent, les éléments colligés entrent en contradiction, ce qui est en soi intéressant. À la fin de la journée, on s’appuie beaucoup sur les réponses que nous font les patients, sur ce qu’ils nous disent quand on leur demande comment ils se sentent. Ça nous a bien servis jusqu’à maintenant

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