La 6e extinction est en route et la nature ne suit pas
Si les efforts actuels de conservation ne sont pas radicalement augmentés, la vaste majorité des grandes espèces de mammifères disparaîtront au cours des cinq prochaines décennies, affirment des scientifiques européens, qui estiment aussi que la nature aurait besoin de 3 à 5 millions d’années pour se rétablir de la destruction de la biodiversité.
Un texte d’Alain Labelle
La Terre est entrée depuis quelques décennies dans la sixième grande extinction des espèces de son histoire.
Depuis les premières traces de vie fossile sur Terre, voici environ 540 millions d’années, les espèces ont connu cinq crises d’extinction grave, au cours desquelles plus de 75 % d’entre elles ont disparu.
Toutefois, contrairement à celle qui se produit actuellement, les autres grandes vagues de disparition animale s’étaient déroulées sur une échelle de temps géologique beaucoup plus longue, des millions d’années.
Le saviez-vous?
L’extinction la plus brutale, la dernière en date, a été déclenchée au crétacé, il y a quelque 65 millions d’années, vraisemblablement lorsqu’un astéroïde d’environ 15 km s’est abattu sur la Terre, dans l’actuelle péninsule du Yucatan, au Mexique. La collision fut d’une puissance équivalente à 1 milliard de bombes atomiques. Conséquence : 76 % des espèces auraient disparu, en particulier les dinosaures.
Destructrice humanité
Or, l’extinction actuelle se déroule très rapidement et n’a qu’une seule origine… l’humain.
L’impact de l’Homo sapiens sur son environnement peut être observé jusqu’à il y a 8000 ans en Chine, où des preuves d’une déforestation ont été observées.
Il a depuis détruit des milliers d’écosystèmes, surexploité les ressources de la planète, pollué, propagé microbes, virus et espèces invasives. Une activité intense qui mène actuellement à un épisode de réchauffement climatique dont il serait le grand responsable.
En 2015, une étude internationale montrait que les vertébrés disparaissent à un rythme jusqu’à 114 fois plus élevé que la normale. Elle montrait que 80 des 5570 espèces de mammifères recensées ont disparu au cours des 500 dernières années.
Les grands perdants
Dans les présents travaux, les scientifiques des universités danoises d’Aarhus et de Gothenburg estiment que l’extinction animale et végétale observée actuellement se déroule si vite que l’évolution ne réussit pas à s’y adapter.
Illustration de la façon dont les petits mammifères devront évoluer et se diversifier au cours des 3 à 5 millions d’années à venir pour compenser la perte des grands mammifères. Illustration de la façon dont les petits mammifères devront évoluer et se diversifier au cours des 3 à 5 millions d’années à venir pour compenser la perte des grands mammifères. Photo : Université Aarhus/ Matt Davis
Selon le paléontologiste Matt Davis et ses collègues, à ce rythme-là, la plupart des espèces de mammifères auront disparu dans 50 ans. Ils ont aussi établi que si les mammifères se diversifient à leur rythme normal, il leur faudra :
•5 à 7 millions d’années pour se rétablir à un niveau semblable à celui qui existait avant que les humains modernes n’apparaissent;
•3 à 5 millions d’années pour atteindre les niveaux actuels de biodiversité.
Par le passé, après chaque extinction massive, l’évolution a lentement remplacé les pertes animales et végétales par de nouvelles espèces.
Les mammifères plus fragiles
Pour en arriver à cette estimation, les chercheurs ont utilisé une vaste base de données sur les mammifères, qui comprend non seulement les espèces qui existent de nos jours, mais aussi les centaines d’espèces qui ont vécu dans un passé récent et qui ont disparu à la suite de l’essor de l’Homo sapiens.
À l’aide de ces informations, les auteurs de cette étude publiée dans la revue PNAS (en anglais) ont pu mesurer l’impact complet de notre espèce sur d’autres mammifères.
Disparues à jamais
La disparition de certaines espèces est parfois plus significative pour la science. Par exemple, l’extinction du lion marsupial australien (Thylacoleo) il y a 46 000 ans est associée à la disparition d’une lignée évolutive distincte, puisque l’animal n’avait pas de parents proches.
Ainsi, des branches entières de l’arbre évolutif de la vie disparaissent, et avec elles des fonctions écologiques uniques et les millions d’années d’évolution qu’elles représentaient.
«Les grands mammifères, comme les paresseux géants et les tigres à dents de sabre, qui ont disparu il y a environ 10 000 ans, étaient très distincts sur le plan évolutif. Comme ils avaient peu de parents proches, leur disparition a eu pour conséquence que des branches entières de l’arbre évolutionnaire de la Terre ont été coupées.»
—Matt Davis de l’Université d’Aarhus
« Il y a des centaines d’espèces de musaraignes, donc elles peuvent survivre à quelques extinctions. Il n’y avait que quatre espèces de tigres à dents de sabre, et elles ont toutes disparu », poursuit le paléontologiste.
Prioriser les espèces à sauver
Des espèces en danger critique d’extinction, comme le rhinocéros noir, risquent de disparaître dans les prochaines décennies. Selon les chercheurs, l’éléphant d’Asie, l’une des deux seules espèces survivantes d’un ordre de mammifères (les proboscidiens, du grec proboski qui signifie « trompe »), qui comprenait autrefois les mammouths et les mastodontes, a moins de 33 % de chances de survivre à ce siècle.
La nature s’appauvrit donc de plus en plus avec la disparition des grands mammifères sauvages.
Les présents travaux laissent cependant penser que tout n’est pas perdu. Les auteurs estiment que leurs données peuvent être utilisées pour identifier les espèces en voie de disparition, distinctes sur le plan de l’évolution, afin de prioriser les efforts de conservation et ainsi prévenir leur extinction.
« Il est beaucoup plus facile de sauver la biodiversité actuelle que de la recréer plus tard », conclut Matt Davis.