Publié le 07 août 2018 à 05h00 | Mis à jour à 06h07
UN PREMIER FESTIVAL DU CANNABIS AU QUEBEC
Gabriel Béland
La Presse
(Québec) Montréal a beau être le roi des festivals, c’est dans le Bas-Saint-Laurent qu’aura lieu le premier festival québécois consacré au cannabis.
La première édition du festival du Bon Plant va se tenir durant la fin de semaine de la fête du Travail, les 1er et 2 septembre, à Trois-Pistoles. L’évènement, où il sera interdit de consommer du cannabis puisque ce ne sera pas encore légal, cherche à redorer l’image de la plante auprès des Québécois et à remettre en question le modèle «industriel» du secteur légal.
«Il y aura des spectacles, de la musique, mais aussi des conférences, explique le fondateur de Bon Plant, Mikaël Rioux. Oui, il sera question de prévention. Mais ce sera aussi un endroit pour réfléchir à ce que cette plante-là peut vous apporter, parce qu’elle peut nous apporter beaucoup, je crois.»
Jean-Sébastien Fallu, professeur agrégé à l’Université de Montréal et spécialiste en dépendance et toxicomanie, va entre autres donner une conférence. La journaliste et écrivaine Lucie Pagé va quant à elle raconter comment elle «doit sa survie au cannabis».
Le fondateur, un militant écologiste de longue date, espère que son festival permettra de redorer l’image du cannabis au Québec. Plusieurs sondages ont démontré qu’au Canada, ce sont les Québécois qui s’opposent le plus à la légalisation du cannabis, qui doit entrer en vigueur le 17 octobre.
«Je ne sais pas pourquoi c’est comme ça. Peut-être que c’est le lien qui a été fait dans la tête des Québécois entre cannabis et crime organisé. Peut-être que c’est les médias ici qui ont insisté sur des aspects négatifs de la légalisation.»
Lieu de réflexion
Le festival du Bon Plant veut aussi être un lieu de réflexion sur l’industrie légale du cannabis. Pour l’instant, le modèle en place semble industriel, concentré entre les mains de quelques acteurs, déplore Mikaël Rioux.
Seules quatre entreprises québécoises ont leur permis de production de Santé Canada, si l’on en croit les informations sur le site internet du ministère fédéral. Plusieurs acteurs du milieu du cannabis déplorent la complexité des démarches en vue d’obtenir un permis, ce qui favorise selon eux les grands acteurs.
«On a un modèle à la Molson et Labatt, alors qu’on aimerait avoir un modèle qui ressemble aux microbrasseries, illustre Mikaël Rioux. En plus, ce serait excellent pour le développement régional.»
«On ne va pas se le cacher : il y a beaucoup de mariculteurs en région. C’est une expertise qui va se perdre et, d’une certaine façon, des emplois. Ce serait intéressant de réfléchir à comment on pourrait faire du cannabis légal un outil de développement régional.»
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LE DEVOIR
PHILIPPE PAPINEAU
MÉTIER: JOURNALISTE CANNABIS
À QUELQUES SEMAINES DE LA LÉGISLATION DU POT,
L’APPÉTIT DES MÉDIAS CANADIENS
POUR LES ENJEUX ENTOURANT LA MARIJUANA EST GRAND
Au sommet de la section « Cannabis » du site du grand quotidien The Toronto Star, un large bandeau vert, qui laisse deviner des feuilles de marijuana, affiche en lettres blanches : « Countdown to cannabis ». Dans 70 jours et des poussières, nous rappelle le journal, l’usage de la marijuana à des fins récréatives sera permis au Canada.
Si le Star adopte ici une approche un brin ludique pour attirer notre attention sur la date du 17 octobre, plusieurs médias du pays mettent beaucoup de temps et de ressources pour couvrir en long et en large les enjeux entourant ce virage majeur pour les citoyens canadiens.
Dans les derniers mois, de nombreux postes de « journalistes cannabis », voire des équipes dédiées à ce vaste enjeu, ont été créés dans plusieurs médias, dont au Globe and Mail, une publication nationale où les nombreux articles sur le sujet sont loin d’être aussi minces que du papier à rouler. Juste dans son édition de samedi dernier, le Globe consacrait au pot sa une du cahier Pursuits et des lettres d’opinion, en plus d’annoncer sa série de cinq conférences maison sur le sujet.
70
Le nombre de jours avant la légalisation du cannabis au Canada.
Sur son site Web, le Globe égraine aussi les angles couverts sur la marijuana : les lois, la santé et la science, les consommateurs, l’éducation, et aussi les investissements et les affaires.
Au Globe, la journaliste économique Christina Pellegrini se concentre d’ailleurs depuis maintenant un an sur l’industrie — très lucrative — du cannabis.
« Il y a beaucoup d’intérêt à ce sujet, et souvent nos histoires sont parmi les plus lues sur notre site, raconte-t-elle. C’est une priorité majeure pour le journal, alors plusieurs collègues sont impliqués et écrivent sur le sujet presque quotidiennement. »
Virage historique
Au Manitoba, le Winnipeg Free Press, malgré sa position financière fragile, a décidé en 2017 de créer un nouveau poste de journaliste dédié au monde de la marijuana. C’est là la preuve de l’importance de cet enjeu, explique l’éditeur de la publication, Bob Cox.
« À la base, c’est un vaste changement social, et les médias d’information doivent couvrir les grands changements comme ceux-là, dit celui qui est aussi président du conseil de l’organisation Médias d’info Canada. Et c’est un des plus gros à subvenir au Canada depuis longtemps. »
C’est une priorité majeure pour le journal, alors plusieurs collègues sont impliqués et écrivent sur le sujet presque quotidiennement
— Christina Pellegrini
Un point de vue que partage Annabelle Blais, du Journal de Montréal, qui écrit exclusivement sur le cannabis depuis six mois maintenant. Par rapport aux autres « beats » couverts par les reporters, celui de la marijuana « a un intérêt de plus », estime-t-elle. D’une part, parce que toute une industrie est en train de se créer. « Aussi, je trouve que ça mérite qu’on y consacre beaucoup de pages parce que c’est un changement historique, sociétal, dit la journaliste, aussi bachelière en histoire. C’est fou toutes les implications que ça amène. »
Pour Blais, ce moment charnière « est du pain bénit », parce que tout bouge, et rapidement. « On va être dans deux ou trois années très importantes, où tout se construit. Et tous les yeux du monde sont tournés vers nous. »
Un travail différent ?
Pour les journalistes affectés à la couverture du cannabis, le travail quotidien se révèle à la fois très familier, mais avec quelques particularités.
« Il n’y a pas de livre du jeu [playbook] pour couvrir le monde du cannabis, d’un point de vue économique ou même légal, lance Christina Pellegrini. Cependant, l’industrie du cannabis est comme toutes les autres industries, alors je travaille de la même façon que lorsque je couvrais les télécommunications ou n’importe quel secteur. »
Pour les journalistes, il y a certains domaines où la chasse à l’expert ou à la source de première main peut être assez ardue. Mais ce combat quotidien ne semble pas se produire lorsqu’on couvre le monde du cannabis. C’est ce dont s’est rendu compte le journaliste Joseph Hall du Toronto Star, un vétéran assigné à cet enjeu il y a quelques semaines et qui a vu ses inquiétudes à ce sujet partir en fumée.
« Il y a un véritable enthousiasme de la part de l’industrie pour faire sortir les histoires, raconte-t-il. Alors une fois que mon nom est apparu avec la mention de ma spécialisation, j’ai reçu des dizaines de courriels de compagnies, de différents groupes… tous les joueurs de l’industrie m’ont contacté, ç’a rendu ça plus facile, je dois dire. »
Et est-ce que d’enquêter sur la marijuana, c’est fricoter avec des mondes inquiétants ? « Il y a tout le marché noir, on est en contact avec ça, on discute avec les gens, il y a beaucoup de off avec des personnes qui nous donnent des infos du marché, raconte Annabelle Blais. Mais l’échange de cannabis, ça ne se fait pas vraiment dans une ruelle, ç’a beaucoup évolué. Le vendeur ne ressemble pas au cliché, le consommateur non plus. C’est pas si interlope que ça. »
Quant à l’écriture, explique Joseph Hall du Star, elle peut parfois tournoyer comme les volutes qui émanent d’un joint. « Les stéréotypes sont légion autour du cannabis, et tu peux te servir de quelques-uns d’entre eux de temps en temps. Ç’a m’a été dit explicitement : quand c’est approprié, amuse-toi avec ça ».
Une approche que ne partage pas du tout Christina Pellegrini, qui se refuse toute blague, toute référence à être « gelé » par exemple. « Je ne fais pas ce genre de truc. C’est straight. Et pour être honnête, les compagnies avec qui je communique trouvent ça très rafraîchissant qu’on les prenne au sérieux. C’est apprécié des lecteurs et des sources, en fait. »
Attirer lecteurs et annonceurs ?
Pour les entreprises de presse, développer la couverture du pot est aussi une façon « d’attirer un nouveau lectorat », confie Bob Cox du Winnipeg Free Press.
Le journal a même développé un site Web parallèle à sa plateforme habituelle, qui a été intitulé The Leaf, en référence bien sûr à l’iconique feuille de marijuana. Les articles, parfois au ton plus léger — on peut y découvrir si, en camping, le pot attire les ours —, peuvent être consultés en toute gratuité, contrairement au site principal du journal.
Le quotidien manitobain a pris exemple du Denver Post, qui a été un des pionniers dans la couverture du cannabis lorsque le Colorado a légalisé la marijuana en 2014.
Mais l’accent mis sur le cannabis est aussi une façon de faire les yeux doux aux futurs annonceurs, admet l’éditeur du quotidien. « On espère que, quand ça sera légal sur le marché, les compagnies vont publiciser leurs marques et que les vendeurs vont promouvoir leurs points de vente. »
Selon lui, plusieurs industries n’achètent pas de publicité dans un journal si celui-ci ne les couvre pas. « Par exemple, le secteur automobile n’achète pas de pub si tu n’as pas une section auto. Alors, avec le cannabis, ça pourrait être la même chose. »
L’appétit vient en mangeant, donc. Ou en fumant, dans ce cas-ci.
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