IL SEMBLE MÊME, PAR INSTANTS, QUE LA SÉPARATION DES POUVOIRS SOIT, SELON MONTESQUIEU, PLUS QU’UN MOYEN DE DÉFENSE CONTRE LES ABUS ET L’ILLÉGALITÉ,; ELLE EST CONSTITUTIVE DE LA LIBERTÉ MÊME (RAYMOND ARON, PENSER LA LIBERTÉ, PENSER LA DÉMOCRATIE, P.347)

RAYMOND ARON
Penser la liberté, penser la démocratie
quarto gallimard
de la liberté politique
Montesquieu et Jean-Jacques Rousseau
p.344-350

Comme Thibaudet aimait à le répéter, la pensée française se développe par dialogues. Nous ne songeons pas seulement à ce que Barres appelait la diversité des familles spirituelles de la France: à une même époque, à l’intérieur d’une même famille, les idées françaises trouvent leur expression la plus exacte dans l’opposition de deux hommes qui présentent soit les deux nuances les plus caractéristiques des mêmes aspirations, soit les deux attitudes extrêmes, concevables à une époque, voire à travers le temps.

Parmi ces dialogues, l’un des plus intéressants, dans l’ordre politique est celui de Montesquieu et de Rousseau. L’un et l’autre vivant au même siècle et écrivant leur livre essentiel à moins de vingt ans d’intervalle, ont en commun LA HAINE DES TYRANS, c’est-à-dire des usurpateurs et des despotes, c’est-à-dire des souverains oppressifs et arbitraires. Ils sont tous deux pénétrés des idées auxquelles se ralliaient alors les philosophes; revendications de la tolérance, de la légalité, esprit d’examen appliqué aux institutions, effort pour améliorer ces institutions et les rendre plus favorables à la prospérité des nations.

Mais, par leur origine sociale, par leur existence, par leur manière de penser, par les idéaux qu’ils suggèrent, Montesquieu et Rousseau sont aussi éloignés que possible l’un de l’autre; le citoyen de Genève, plein de fierté populaire et ombrageuse, semble reprendre un idéal républicain, nourri par les souvenirs ou plutôt par des images plus ou moins fantaisistes de la cité antique et par son expérience personnelle d’une ville-État, et d’autre part, le président au parlement de Bordeaux, admirateur de la Constitution anglaise, se montre soucieux dans son propre pays, non de révolution ou même de réformes brutales, mais du maintien de corps intermédiaires dont dépendent LA MODÉRATION DES POUVOIRS ET LA LIBERTÉ MÊME.

Certes, le citoyen de Genève et le grand parlementaire ne représentent que deux types, entre autres, parmi les penseurs du XV111ème siècle. Et, sur plus d’un point, leur pensée est liés à des circonstances plus ou moins accidentelles. Même parmi les partisans de la monarchie tempérée, Montesquieu fait figure de modéré, si on le compare aux écrivains de la deuxième moitié du siècle. A mesure que celui-ci s’avance, les réformateurs de la monarchie insistait bien moins sur les corps intermédiaires que sur les Etats généraux. Mais il n’en reste pas moins que, par le privilège du génie, Montesquieu et Rousseau ont été, et restent pour nous, caractéristiques de deux manières d’aborder le problème politique, de deux manières DE CONCEVOIR LA SOLUTION.

Or, il n’est pas d’idée, à propos de laquelle l’opposition apparaisse aussi nettement que celle de la liberté: notion équivoque que les philosophes ne se lassent pas d’analyser, dont les hommes infatigablement entrechoquent les dé.finitions contradictoires, notion décisive parce que tant d’émotions et tant d’aspirations se cristallisent autour de ce mot qu’il n’est pas de tyran qui renonce à l’invoquer, fut-ce en réservant àa la nation en bloc le bénéfice d’un bien retiré à chaque individu. Mais, cette notion, chargée d’incertitudes et de passions, est aussi centrales dans toutes les théories politiques, plus centrales encore peut-être au siècle de la Révolution française.

L’homme naît libre et partout il est dans les fers. Comment ce changement s’est-il faît? je l’ignore. Qu’est-ce qui peut le rendre légitime? Je crois pouvoir résoudre cette question?” Cette interrogation commande tout le Contrat social. Et Montesquieu consacre les livres X1 et X11 dans l’Esprit des lois de son grand ouvrage à la liberté par rapport à la constitution et par rapport au citoyen.

Ces livres, sans avoir dans l’Esprit des lois la même signification que le chapitre inaugural dans le Contrat social – ce qui est exclu par le plan et la méthode de l’ouvrage- ont une extrême portée, puisqu’ils traitent longuement DE LA CONSTITUTION ANGLAISE. Ils montrent donc l’organisation des pouvoirs dans laquelle Montesquieu voit L’ACHÈVEMENT DE LA LIBERTÉ, du même coup ils permettent de préciser, par rapport à cet idéal, les caractères propres de la Constitution française et ils laissent deviner dans quel sens s’orientent les intentions réformatrices de Montesquieu.

SÉPARATION DES POUVOIRS ET SÉCURITÉ DU CITOYEN

” Dans un état, c’est=à-dire dans une société ou il y a des lois, la liberté ne peut consister qu’à pouvoir faire ce que l’on doit vouloir et à n’être point contraint de faire ce que l’on ne doit pas pouvoir”.

Une telle définition de la liberté est l’équivalent, sur le plan politique, d’une des définitions classiques, en philosophie, de la liberté. En effet, les philosophes ont toujours reconnu une antinomie dans le concept de liberté: la liberté est-elle la capacité de faire tout ce que l’on désire, d’agir selon son bon plaisir? La liberté se confond-elle avec l’indépendance totale par rapport à toutes les causes extérieures, même par rapport à notre passé et aux motifs? Ou bien, au contraire, la liberté se caractérise-t-elle par une certaine qualité.é de notre conduite, par la souveraineté aux impératifs de la raison , l’indépendance se réduisant à l’absence de contraintes et d’entraînements irrationnels? Montesquieu ADOPTE LE DEUXIÈME TERME DE CETTE ALTERNATIVE. Il écarte l’équivalence, si souvent posée, entre pouvoir du peuple et liberté du peuple. Un peuple auquel la constitution donnerait le droit de tout faire ne serait pas plus libre qu’un individu qui, sous prétexte de liberté, laisserait libre cours à ses passions. La liberté politique . EST LE DROIT DE FAIRE TOUT CE QUE LES LOIS PERMETTENT” , de même que la liberté, selon Kant est essentiellement le pouvoir DE FAIRE SON DEVOIR.

La distinction traditionnelle des régimes en monarchie, aristocratie et démocratie, et même la distinction essentielle dans L’Esprit des lois de la république, de la monarchie et du despotisme, restent donc extérieure à la question de la liberté. Ou, du moins, s’il est vrai que, par essence, le despotisme élimine la liberté, ni la république, ni la monarchie, par elles-mêmes, n’en garantissent l’existence. CAR NI L’UNE NI L’AUTRE N’IMPLIQUENT QUE LES LOIS SERONT OBSERVÉES et les citoyens assurés à la fois de toute la protection des lois et de toute l’indépendance compatible avec ces lois elles-mêmes. Enfin, on doit faire abstraction des préjugés ou de la psychologie des foules. Peu importe que les hommes aient l’impression d’être libres, soit qu’ils aient ” la facilité de déposer celui à qui ils avaient donner un pouvoir tyrannique, soit ” qu’ils aient la faculté d’élire celui à qui ils doivent obéir” , soit enfin, plus simplement, que la constitution soit conforme aux coutumes et aux inclinations populaires. Pour les peuples comme pour les individus, LA LIBERTÉ ne se reconnait pas à la conscience plus ou moins illusoire qu’en ont les individus, MAIS AU RESPECT DES LOIS, ENTRAÎNANT LE RESPECT DES PERSONNES.

De cette conception de la liberté suit L’IMPORTANCE EXCEPTIONNELLE, DANS LA THÉORIE DE MONTESQUIEU, DE LA DIVISION DES POUVOIRS; car cette division est par excellence LE REMPART DE LA LÉGALITÉ, L’OBSTACLE QUE LA PRUDENCE DES LÉGISLATEURS DOIT ÉLEVER CONTRE L’ARBITRAIRE. ” Tout homme qui a du pouvoirs porté à en abuser, il va jusqu’à ce qu’il trouve des limites. Les fleuves courent se mêler dans la mer: LES MONARCHIES VONT SE PERDRE DANS LE DESPOTISME”. Alain a repris cette idée que tous les hommes ont tendance à abuser de leur pouvoir et il a justifié, par ce danger, la résistance des citoyens. Montesquieu proposait, pour maintenir les pouvoirs dans leurs bornes, DE LES MULTIPLIER ET D’ÉTABLIR ENTRE EUX UNE SORTE D’ÉQUILIBRE. En d’autres termes, la séparation des pouvoirs ne naît pas d’un scrupule juridique, elle répond À UNE NÉCESSITÉ POLITIQUE, elle-même résultant D’UN TRAIT PERMANENT DE LA NATURE HUMAINE.

IL SEMBLE MÊME, PAR INSTANTS,
QUE LA SÉPARATION DES POUVOIRS,
SOIT, SELON MONTESQUIEU,
PLUS QU’UN MOYEN DE DÉFENSE
CONTRE LES ABUS ET L’ILLÉGALITÉ:

ELLE EST
CONSTITUTIVE
DE LA LIBERTÉ MÊME.

Une constitution qui, telle la Constitution anglaise, a pour but la liberté, doit donc avant tout établir un tel rapport entre les différents pouvoirs qu’aucun d’eux ne puisse déborder au-delà de ses frontières et que tous coopèrent ensemble à la bonne marche des services publics et à la sauvegarde DES DROITS FONDAMENTAUX DES PERSONNES ET DE L’ÉTAT.

Ainsi, par exemple, la puissance exécutive doit être en mesure d’arrêter la puissance législative, faute de quoi celle-ci pourrait se donner tout le pouvoir imaginable et anéantir toutes les autres puissances.

En revanche, la puissance législative ne doit pas être en mesure d’arrêter la puissance exécutive ( car celle-ci est par essence bornée, puisqu’elle n’a pas le droit de légiférer.) , mais elle doit avoir la faculté d’examiner de quelle manière les lois qu’elle a faites ont été exécutées. En un mot, la puissance exécutive prend part à la législation par sa seule faculté d’empêcher et non sa faculté de statuer.

MONTESQUIEU
ATTACHE AUTANT DE PRIX
À L’INDÉPENDANCE DU POUVOIR JUDICIAIRE
QU’À CELLE DES DEUX AUTRES POUVOIRS.

Bien plus, il ne s’agit pas seulement en ce cas de maintenir la liberté politique de la constitution, mais de donner AU CITOYEN LA JOUISSANCE DU BIEN LE PLUS PRÉCIEUX: LA SÛRETÉ. Celle-ci exige en effet l’autonomie du pouvoir judiciaire, la limitation des pouvoirs accordés à l’exécutif.

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