quand Félix Leclerc s’interrogeait sur sa vocation d’artiste…sa mère Fabiola disait: Il n’y a rien de vrai que ton rêve … faudrait aller dans un autre pays…et son père Léo lui l’encourageait en disant: laisse porter, ça viendra …la récolte est à l’automne et tu es au printemps de ta vie ….Et c’est Guy Maufette qui a peut-être le mieux résumé l’aventure artistique de Félix…. en disant de lui: son pied le conduisant toujours là ou son âme le précédait ……
tiré du Livre sur Félix Leclerc… moi mes souliers:
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COMMENT LE VILLAGE DE LA TUQUE EST DEVENU PAR INADVERTANCE LE BERCEAU DES BOÎTES À CHANSONS…
1) Les Frères Brown : Berlin, New Hampshire
De moins de 500 habitants en 1868, la population de Berlin grimpe à Il 000 personnes au début des années 1910 et atteint son apogée avec 20 000 habitants en 1930. La Crise amorce le déclin de la population, qui n’est aujourd’hui que de Il 000 habitants.
L’accroissement démographique des belles années est entre autres attribuable à l’afflux de travailleurs étrangers notamment des Canadiens français II, des Russes, des Irlandais, et des Scandinaves 12. Par conséquent, la localité connaît à l’ époque une importante diversité ethnique et religieuse. Dès 1905, on retrouve l’hôpital Saint-Louis sous la direction des Sœurs de la charité et des Sœurs grises venues du Québec pour administrer les soins à la population canadienne-française. En 1917, Berlin et les villes voisines comptent trois paroisses ainsi que plusieurs écoles catholiques. La communauté se dote d’une Caisse Populaire en 1929 et fonde une branche locale de la Société SaintVincent-de-Paul vers 1940. L’importance démographique est telle que Berlin se dote d’un journal et d’une station de radio francophones à la même époque J3 . Nous estimons donc que la famille Brown connaît déjà bien les particularités de l’identité canadiennefrançaise au moment où elle se tourne vers les ressources du Québec.
WILLIAM WENTWORTH BROWN ET SON FRÈRE WILLIAM BROWN
Portrait de la famille Brown vers 1910 Au premier plan: Gordon Brown, fils d’Orton, Paul Brown, fils d’Herbert, Wentworth Brown, fils d’Orton. Au deuxième plan: Elizabeth Brown, fille d’Herbert, William Wentworth Brown, Lucy, femme de W. W. Brown, Marion Brown, fille d’Herbert, William Robinson Brown, Lewis Brown, fille d’Orton. Au troisième plan: Orton Brown, Caroline Brown, femme d’Orton, Downing Brown, Montague Brown, Eva Brown, femme d’Herbert, et Herbert Brown. Source: Fonds Berlin & Coos County Historical Society
William Wentworth Brown épouse Emily Hart Jenkins en 1861 avec laquelle il a quatre fils et une fille. À la suite du décès de son épouse, il se remarie avec Lucy Elizabeth Montague qui lui donne alors son plus jeune fils Montague ainsi qu’une fille. W.W. Brown décède en 1911 , un mois à peine après l’ accident qui emporte Montague au camp de Windigo au nord-ouest de La Tuque.
Le décès du fondateur de la Berlin Mills Company est annoncé comme la « mort de l’homme qui a fait Berlin » dans The Berlin Reporter. On lui attribue ce rôle puisque le développement de la ville est fortement lié à celui de la compagnie Berlin est la première ville de l’État du New Hamsphire à éclairer ses rues avec l’électricité, et ce, grâce au barrage de l’ entreprises.
Son fils Simmons Brown est administrateur de la Maine General Hospital, de la Portland Benevolent Society ainsi que président de l’United Community Services. Lorsqu’il devient le gérant de l’usine de La Tuque en 1917, « his desire to see progress is not confined to the mill, as both he and Mrs. Brown have shown interest in the civic and religious welfare of the community.
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2) Historique de la Brown Company à La Tuque
Historique de la Brown Company à La Tuque W. W. Brown et ses fils se taillent une place de choix sur le marché américain en en développant de nouveaux procédés de traitement de la pâte.
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La famille Brown prend alors connaissance des richesses forestières du Québec et plus particulièrement du potentiel énergétique des sites hydrauliques de La Tuque. Elle reconnaît vite les avantages qu’offrent la rivière Saint-Maurice et ses affluents pour le transport des billots de bois par flottage 14. En 1905, W. W. Brown fonde la filiale Quebec and St-Maurice lndustrial Company au capital de 2 000 000 $ et établit son bureau-chef dans la ville de Québec
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En 1906, la filiale canadienne rachète les sites hydrauliques de La Tuque ainsi que les concessions forestières, auparavant confiées au syndicat Brakey, puis vendues aux frères Stuart et au notaire Cyrille Tessier de Québec, pour les sommes respectivement de 75000 $ et 252000
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$. La compagnie acquiert par la suite d’ autres terres de Stuart & Tessier, de William H. Davis d’Ottawa, de la Quebec and Lake St. John Railway Company de même que de plusieurs entrepreneurs de la région, accroissant ainsi l’étendue de ses propriétés foncières qui atteint 1 735 000 acres en
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Lors de son incorporation, la compagnie s’est engagée à établir une usine lorsque La Tuque serait reliée par un chemin de fer. En 1907, elle fait construire une voie de 37 milles reliant le site à la ligne de la Quebec and Lake St. John Railway Company via Linton17•
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Cette voie est abandonnée lors de la construction du tronçon de la National Transcontinental Company entre Québec, Hervey-Jonction, La Tuque et l’Abitibi entre 1909 et 1911 18• Ce nouveau réseau ferroviaire facilite le transport de marchandises ainsi que l’arrivée de nouveaux colons à La Tuque.
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Enfin, la construction d’un moulin à pâte est amorcée en octobre 1909 et la production débute dès juillet 1910.
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Parallèlement, la Quebec and St-Maurice lndustrial Company aménage une petite centrale électrique de 3 500 h.p. aux chutes de La Tuque qui alimente l’usine et la jeune localité. L’ estimation des coûts pour le projet, comprenant le développement d’un barrage, la construction d’une usine et l’achat des limites forestières et des sites hydrauliques, se situe entre 2,5 et 3 millions de dollars
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Spécialisée dans la pâte Kraft, l’usine de La Tuque produit à ses débuts 30 tonnes par jour. Il s’agit à l’époque de la deuxième usine de pâte chimique au sulfate en Amérique du Nord. La pâte produite est envoyée en grande majorité à l’usine de Berlin pour être transformée en papier et autres produits dérivés.
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Pendant la Grande Guerre, la compagnie mère, auparavant connue sous le nom de la Berlin Mills Company, devient la Brown Company, et la filiale canadienne se nomme désormais la Brown Corporation.
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. Dans un ouvrage publié en 1986, Lise Cyr indique qu’elle ne peut confirmer si des membres de la famille Brown ont vécu à La Tuque. Or, les sources consultées permettent d’afftrmer que les gérants de l’usine ont effectivement résidé dans la localité. Les notes locales de La Gazette du Nord et du Brown Bulletin révèlent aussi qu’à l’occasion certains dirigeants de la société-mère rendent visite aux cadres de La Tuque. Ils sont souvent accompagnés de parents et d’amis qui profitent du voyage pour découvrir les attraits de la région.
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La présence des Brown transpose le caractère familial de l’entreprise en sol latuquois favorisant ainsi des rapports plus personnels avec les citoyens. En effet, la vision que ces derniers ont de la compagnie en est modifiée, ce qui réduit leur sentiment de ne relever que d’une simple succursale appartenant à une entreprise étrangère.
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Nous estimons que cela a probablement alimenté l’ approche paternaliste de la compagnie envers la communauté tout en limitant l’émergence du militantisme ouvrier.
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3.2 Le champ d’action de la Brown Corporation sur la scène locale Ce bref historique dévoile l’importance de la Brown Corporation dans le développement de la ville. Or, le rôle de la compagnie dépasse la simple dimension économique et touche également la vie politique, sociale et culturelle.
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Elle occupe donc une position dominante dans la sphère économique en étant le plus grand employeur des environs. À ses débuts, l’usine emploie 350 hommes, 900 en 1930 et autour de 1 000 lors de sa vente à la C.I.P, pour une population de 2934 personnes en 1911 à 9538 en 195138.
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L’histoire témoigne de la relation étroite entre la prospérité de la ville et celle de l’entreprise. Par conséquent, la compagnie exerce une influence considérable sur le conseil municipal. La compagnie apprOVlSlonne La Tuque en électricité dès ses débuts, et ce, jusqu’en 1931 , année où elle transfère son contrat à la Shawinigan Water and Power.
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Le 18 octobre 1910, le Village de La Tuque autorise la compagnie à installer des poteaux, des fils ainsi que douze lampes pour l’ éclairage des rues. En échange, elle s’engage à fournir gratuitement pour dix ans le courant nécessaire à l’ éclairage d’une puissance de 2300 volts. Le Village doit payer 50 $ par année pour chaque lampe additionnelle45 .
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En 1913 la Ville de La Tuque signe une nouvelle entente avec la Brown Corporation concernant une légère réduction des tarifs de fourniture d’ eau et d’ électricité. En échange de ses services et de sa contribution aux travaux publics, la Brown Corporation s’assure un droit de regard sur les finances municipales.
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C’est dans cette optique que dès son établissement, elle bénéficie d’une exemption de taxes dont nous reparlerons plus amplement en deuxième partie.
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3.2.2 Influence politique L’influence de la Brown Corporation à La Tuque
s’ étend bien évidemment sur la sphère politique. En effet, grâce à sa position économique prédominante, la compagnie use de diverses stratégies afin de protéger ses intérêts et de s’ assurer une certaine influence sur les élus municipaux. Cette situation existe à divers degrés dans les villes industrielles de l’Amérique du Nord au début du XXe siècle. Il est effectivement courant que les grandes entreprises développent des relations au sein des communautés dans lesquelles elles s’installent. C’est ainsi qu’ elles arrivent à créer une sociabilité bienveillante, teintée d’ un paternalisme intéressé, avec le conseil de ville lorsqu’ elles ne le contrôlent pas elles-mêmes 50 . Dans le cas de La Tuque, il a été énoncé plus tôt que les dirigeants de la Brown Corporation ne détiennent aucun siège au conseil. La compagnie suggère toutefois diverses orientations à la ville, et parvient à faire modifier certaines d’ entre elles. En effet, elle obtient une exemption fiscale, fait adopter certains règlements, influence la taxation des contribuables, mais surtout elle impose le système de gérance municipale.
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Le paternalisme patronal
La politique de la Brown Company envers ses employés s’inscrit dans un paternalisme intéressé souhaitant encadrer leur existence à l’intérieur comme à l’extérieur de l’usine. Cette politique repose sur l’idée selon laquelle un employé heureux et en santé est un employé productif et donc rentable.
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Ainsi, en intervenant dans lacommunauté, la compagnie cherche à participer à l’ élaboration d’une vie sociale et culturelle riche pour ses employés et leur famille. À la fm, dans une petite localité comme celle de La Tuque, c’est toute la population qui en bénéficie. Néanmoins, les interventions de la compagnie ne sont pas désintéressées et touchent principalement les domaines qui influent directement sur sa production ou le confort de ses cadres. L’étude des monographies et des journaux locaux de même que du Brown Bulletin permet de déceler différents signes de ce paternalisme.
La famille Brown y est décrite comme étant sans prétention et accessible, offrant une relation de complicité avec les ouvriers. On raconte entre autres que la compagnie offre aux fêtes une dinde à tous les employés mariés.
Lorsque les objectifs de rentabilité sont dépassés, le gérant de l’usine remet à chacun des employés un cigare en guise de récompense bien méritée .
Les quelques témoignages de travailleurs que nous avons retrouvés corroborent ces
C’est dans cette optique que Philippe Allard confie que « les gens aimaient travailler à la Brown pour le caractère humain de l’usine » et que « la Brown n’était pas, à l’époque, une compagnie aussi puissante que la CIP, mais elle portait une attention vraiment spéciale aux employés ».
À cet effet, la compagme encourage ses employés à participer à différentes activités sportives et récréatives. Ces dernières favorisent la formation d’une sociabilité entre les ouvriers, mais également au développement d’une relation de réciprocité entre les cadres et les employés.
Parmi les réalisations de la compagnie nommons la fondation d’une ligue de hockey, d’un club de curling ainsi que d’une ligue de quilles. De plus, la Brown Corporation organise fréquemment des parties de croquet, des pique-niques et des réceptions pour les familles d’ employés.
Des joutes sont même organisées entre la ligue de hockey de l’usine de La Tuque et celle de Berlin aux États-Unis .
Ces activités ainsi que le caractère familial de la compagnie ont sans doute contribué à créer un sentiment d’ appartenance chez les employés. Au niveau des avantages sociaux offerts à ses employés, la compagnie est l’une des premières au Canada, en 1914, à instaurer une police d’ assurance-accident au nom de la Brown Corporation Relief Association dont le « taux d’ assurance est le plus bas au Canada59 ». Il est intéressant de constater que l’ exécutif de cette association comprend •
Un service d’infirmerie est aussi créé en 1920. Les infirmières œuvrent à la prévention d’accidents à l’usine, une surveillance de la malnutrition infantile, des visites aux accidentés du travail, aux femmes qui viennent d’enfanter de même que dans toutes les écoles de la villé2•
Cette volonté d’encadrer les employés va de pair avec la politique de santé et sécurité telle qu’ exposée dans le journal de la Brown Company qui est distribué dans toutes ses usines.
Véritable outil de transmission, le Brown Bulletin incite les ouvriers, sur un ton empreint de moralité, à se conformer aux différentes règles d’éthique et de sécurité au travail. On y affirme que les accidents, la paresse ainsi que la corruption sont les trois éléments les plus néfastes pour la rentabilité de l’entreprise.
À ce propos, on peut lire « when you do anything for the success of this Company you surely [are] benefiting yourselves, because a successful Company can take their employees through a period of hard times, furnishing work and reasonable wages where an unsuccessful company would fai ».
À cela s’ajoutent des messages ayant l’apparence d’un sermon dans lesquels se retrouvent des phrases telles que « Would you employ yourself ?64 » Ce type de discours laisse transparaître la logique d’entreprise qui est de responsabiliser les travailleurs afin d’accroître la productivité en leur promettant une stabilité d’emploi et des salaires adéquats en retour.
62 Les visites à domicile sont gratuites pour les employés cotisant à l’ assurance-accident et des frais entre un et trois dollars sont applicables pour les visites post-accouchement. Brown Bulletin, Septembre 1922, p. 3-5. 63 Brown Bulletin, juillet 1919, p. 12. 64 Brown Bulletin, janvier 1920, p. 9. 128 Le bulletin mensuel offre à ses lecteurs des informations sur les opérations de la compagnie aux États-Unis et au Canada, des chroniques sportives, un carnet mondain, des nouvelles littéraires, des billets historiques ainsi que divers articles informatifs. Il est intéressant de souligner qu’une partie du journal est dédiée aux lettres ouvertes et que l’on invite tous les employés qui le souhaitent à proposer des textes. Par contre, le journal est uniquement de langue anglaise jusqu’ en 1927. À partir de cette date, on peut y lire à l’ occasion une petite chronique en français destinée aux employés de La Tuque . Selon les sources consultées, les relations de travail sont relativement bonnes tout au long de notre périodé. Le conseil de ville relate tout de même quelques requêtes d’ employés demandant des augmentations de salaire . En revanche, selon les contemporains, les salaires offerts par la Brown sont supérieurs au salaire ouvrier moyen du Québec. Dans un article paru en 1940 dans Le Nouvelliste, on indique que la Brown Corporation paie les journaliers 0,17 $ de l’heure en 1910 et 0,45 $ en 1940. Nous avons pu retracer l’ échelle salariale selon les métiers par département pour l’ année 1924. À titre d’ exemple, notons que le contremaître de maçonnerie est l’ employé le mieux payé avec un taux horaire de 1,00 $, suivi du contremaître des machinistes à 0,92 $. Un 65 Brown Bulletin, septembre 1927, p. 6. 66 Jean-Pierre Charland indique qu’ une grève de 45 jours eut lieu à La Tuque en 1921. Surpris par cette information qui s’avère absente dans nos sources, nous avons dépouillé les éditions de la Gazette du Travail de 1920, 192 1 et 1922 auxquels il se réfère. Or, nous n’avons retrouvé aucune trace d’une quelconque grève à La Tuque.
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.2 L’engagement dans la communauté latuquoise La mémoire latuquoise se souvient particulièrement des multiples interventions de la famille Brown dans la vie sociale et culturelle de la communauté.
En effet, la compagnie contribue à plusieurs œuvres de bienfaisance. Tout d’abord, elle pourvoit gratuitement en électricité l’ église et le presbytère catholique, la salle paroissiale, les écoles de même que l’hôpital et l’ orphelinat . L’ engagement de la compagnie s’ étend 70 Wages and hour of /abor, 1 juin 1924 (Fonds Brown Corporation, Société historique de La Tuque et du Haut-Saint-Maurice) 71 Alain Dion, L’industrie des pâtes et papiers en Mauricie 1887- 1929, Mémoire de maîtrise, Université du Québec à Trois-Rivières, 1981 , p. 17l. 72 « Histoire de la Brown Corporation », Écho de La Tuque, 28 juin 1998, [s.p.] 73 Lors du passage du contrat d’électricité à la SWP, la ville demande à ce que la politique de gratuité établie par la Brown à l’ endroit de ces édifices soit maintenue. 130 aussi à l’hôpital Saint-Joseph et à différentes associations. On note d’ailleurs sa contribution au paiement des dépenses dont la municipalité est affligée lors de l’ épidémie de grippe en 191974. La famille Brown fait également construire une ferme pour répondre aux besoins des plus démunis en 1921. La Milk Farm compte 75 vaches Holstein. Le dépôt de lait de la compagnie répond aux recommandations du Conseil d’Hygiène afin de contrer la mortalité infantile. Pendant quelques années, environ 500 pintes de lait sont distribuées quotidiennement aux familles dans le besoin 75. On doit également à la Brown Corporation la création de différents clubs de chasse et pêche, d’un club de golf et d’une fanfare.
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Proches de la petite communauté anglophone, les cadres de la compagnie sont aussi membres d’ associations francophones telles que la Chambre de Commerce et la Ligue des citoyens de La Tuque 76. Pareillement, quelques représentants privilégiés de la petite bourgeoisie, principalement des gens d’ affaires ainsi que des membres de professions libérales, participent à des organisation~ anglophones comme le Rotary Club77 • Notons également que le ,gérant de la Brown Corporation siège toujours à la table d’honneur aux côtés du curé Corbeil et du maire lors des grands événements.
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Ces observations permettent de déceler une certaine collaboration entre les élites francophones et anglophones bien qu’ elles forment chacune une communauté distincte.
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1 Ceci nous amène à l’une des plus grandes réalisations de la Brown Corporation à La Tuque. Le 19 janvier 1922, elle inaugure le Community Club, somptueuse bâtisse de style néo-classique. Comprenant quatre étages, incluant le sous-sol, la bâtisse au coût de 288252 $ est entièrement recouverte de briques et comporte deux grandes galeries. Le club est situé dans le « quartier des Anglais » et est entouré d’espaces récréatifs dans lesquels on retrouve deux terrains de tennis, un parc d’ attraction, une aire de pique-nique ainsi qu’une patinoire. Figure 3 Le Brown Co
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Le plateau où s’ élève la Ville de La Tuque n’était il y a quatre ans qu’une forêt en friche. Le silence planait sur ces solitudes. Le hardi voyageur, égaré dans ces régions sauvages, n’ entendait que le cri du fauve, le chant des oiseaux et la chute des feuilles. L’on semblait dédaigner ces lieux apparemment destinés à la stérilitél . Journal La Tuque , le 24 novembre 1911
Tout d’abord, il existe peu de journaux locaux pendant notre période. En 1911, un journal nommé La Tuque produit deux publications seulement. Ensuite, on retrouve Le courrier78 de 1918 à 1921 qui n’a également publié que quelques éditions suivi de La Gazette du Nord, basée en Abitibi qui possède une division à La Tuque de 1922 à 1925. Nous avons ensuite consulté The St. Maurice Valley Chronicle et The Shawinigan Standard afin de déceler des indices sur les relations entre les élites francophones et anglophones. Les autres journaux régionaux consultés brièvement sont Le Bien Public et Le Nouvelliste (dès 1920) qui comportent des articles lors des événements majeurs de la ville79• L’Écho de La Tuque débute seulement en 1938, mais constitue tout de même une source pertinente puisqu’il publie des articles commémoratifs ainsi que des éditions spéciales dédiées à l’histoire locale
.Cela nous amène aux fonds de la Berlin Coos County Historical Society situé à Berlin dans l’État du New Hampshire aux États-Unis. La société détient plusieurs cartables regroupant une multitude de documents concernant la famille Brown tels que des coupures de presse, des photographies et des témoignages. Ceux-ci nous ont permis d’ avoir accès à des journaux locaux, dont The Berlin Reporter, et de lire les chroniques historiques publiées dans The Berlin Daily Sun, qui sont riches en informations sur la compagnie et ses dirigeants.
Dans le même ordre d’idées, la Brown Company publie dès 1919 le Brown Bulletin qui comporte des articles sur ses réalisations ainsi que sur les activités socioculturelles de ses employés. Il s’agit d’un document révélateur de l’idéologie de l’entreprise, mais également de ses interventions dans la communauté. Soulignons que le dépouillement intégral du Brown Bulletin a été grandement facilité par le travail de numérisation effectué par la Berlin Coos County Historical Society.
Les recensements constituent notre dernière source. Tout d’abord, les listes nominatives du recensement de 1911 à La Tuque permettent de repérer les individus qui sont déjà établis au moment de la fondation de la ville. On peut connaître des données biographiques telles que la date de naissance, la profession ou les liens familiaux. Cette recherche bénéficie également de la disponibilité récente du recensement de 1921. Ce dernier nous a permis de retracer avec plus de certitude le parcours socioprofessionnel des membres de la petite bourgeoisie. De surcroît, nous avons complété notre étude grâce aux recensements nominatifs et agricoles antérieurs (1871-1901) afin de connaître les origines sociales et géographiques de notre corpus d’individus. Cette tâche ardue a été facilitée par les bases de données en ligne de Bibliothèque et Archives Canada (1871-1901), d’Automated Genealogy (1901-1911) et d’Ancestry (1921). En définitive, notre corpus de sources est vaste et diversifié. Nous détenons ainsi une panoplie d’outils pour analyser chaque aspect de notre étude.
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. La Tuque compte toutefois plus d’une vingtaine d’ auberges et d’hôtels au cours de notre période. Nous estimons que cette multiplication d’ établissements hôteliers et d’entreprises de construction à La Tuque est attribuable à deux faits. D’une part, le contexte de colonisation du territoire amène une forte demande en matière d’hébergement et de développement urbain. Et d’ autre part, l’isolement géographique de la jeune cOmInunauté accentue l’urgence de répondre aux besoins d’une population qui s’accroît rapidement. La Tuque est également fréquentée par des voyageurs en provenance du Lac-Saint-Jean, de Québec ou de Trois-Rivières ainsi que des travailleurs temporaires ou saisonniers des chantiers forestiers et ferroviaires. Cette situation favorise donc le développement économique local et confère rapidement un caractère urbain à La Tuque.
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Le gérant de l’usine, Simmons Brown, souhaite que cet établissement soit un lieu pour cultiver l’esprit et le corps. La variété des activités offertes répond à cet objectif, car, au-delà d’un centre sportif complet doté d’un gymnase et d’une piscine, le Community Club est aussi un endroit de détente et d’éducation comportant une salle de gala, des fumoirs et une bibliothèque. On y offre différentes formations, dont des cours d’apprentissage des langues française et anglaisé2• L’objectif premier du club serait la création d’une sociabilité commune entre les francophones et les anglophones. Lucien Desbiens expose bien cette vision: Afin de favoriser l ‘harmonie entre la communauté de langue anglaise et la communauté de langue française, ils [les Brown] ont construit un club somptueux, le Community Club, où la jeunesse et même les aînés de la ville peuvent trouver des amusements agréables et honnêtes83. Précisons toutefois que l’adhésion des Canadiens Français au Community Club est plutôt faible à ses débuts. Dans La Gazette du Nord, un article signé par le Comité canadien-français, déplore que les francophones ne sachent pas bénéficier de la multitude d’activités qui est à leur portée grâce à l’œuvre de la famille Brown. Il est particulièrement déçu du taux de participation aux cours de langue anglaise alors qu’un plus grand nombre d’anglophones se sont inscrits aux leçons de français. Il accuse sa communauté d’être refermée sur elle-même et de manquer au devoir de sa « race ». En effet, il déplore qu’elle ne profite pas de l’occasion pour « sympathiser auprès de ces Anglais que nous connaissons à peine et qui nous ignore tout à fait, [ … ] ne voulant ni faire connaître notre langue aux Anglais ni étudier la leur, nous refusant à nous mêler à 82 Lise Cyr, op.cit., p.91-96. 83 Lucien Desbiens, Au cœur de la Mauricie, Éditions du Bien public, Trois-Rivières, 1933, p. 48. 133 eux dans l’intimité d’un club84 »et d’ainsi établir une relation amicale basée sur l’égalité et le respect mutuels. Notons que cette faible adhésion des francophones au Community Club est sans doute liée au coût de la carte de membre qui est assez élevé pour l’époque (12,00 $ pour les hommes et les garçons et 5,00 $ pour les femmes et les filles)85. Selon le témoignage du Latuquois Wesley Smith, recueilli par Lise Cyr, les dimensions et le luxe du Community Club traduisent deux objectifs: d’une part démontrer la puissance économique et le prestige de la Brown Corporation, et d’ autre part investir à l’abri des impôts88 . Bien qu’il ne nous soit pas possible de corroborer ces allégations, nous estimons que la compagnie profite en effet des avantages fiscaux que représente l’investissement de capitaux dans une œuvre récréative au Québec. Au niveau municipal, le Community Club est classé parmi les biens-fonds non imposables compte tenu du caractère communautaire de l’établissement89. Pour ce qui est de la démonstration du prestige de la famille Brown, nous avons retenu un court extrait publié dans le Brown Bulletin démontrant la fierté de la compagnie envers le club de La
Lors d’un discours prononcé à l’inauguration du club, le curé Corbeil exprime sa gratitude envers l’ engagement de la Brown Corporation dans la communauté et 84 « Au Community Club. Le rôle des Canadiens Français », La Gazette du Nord, 25 janvier 1923, p. 5. 85 Idem 88 Lise Cyr, op. cil., p. 91. 89 Séance du 3 octobre 1929, Ville de La Tuque. 90 « The Community Club, La Tuque, Qc », Brown Bulletin, Avril 1922, p. 10. 134 ajoute qu’à La Tuque « le patron et l’ouvrier se connaissent, s’aiment et s’ aident, et c’est pourquoi il Y aura toujours de l’ordre dans la cité, de la prospérité dans les foyers, et de la paix dans les cœurs91 ». Soulignons également qu’une page entière de l’édition de juillet 1926 du Brown Bulletin célèbre les 25 ans de sacerdoce du curé Corbeil. À la suite des éloges qui lui sont faits, on affirme qu’il mérite « the confidence and the trust of our business men, and especially of Messrs. Brown, who have contributed towards the success of the se organizations of social welfare their utmost, sympathetic and efficient cooperation.92 » Ces extraits dévoilent une certaine bienveillance réciproque entre le représentant du clergé, membre de l’élite francophone, et la grande entreprise. Cette collaboration n’est cependant pas spécifique à La Tuque et rappelle celle existant entre l’abbé Laflèche de Grand-Mère et les dirigeants de la Laurentide. Il va sans dire qu’une telle collaboration entre les figures du pouvoir local est mutuellement bénéfique93 . 3.2.3.3 L’organisation d’un quartier anglophone À l’image des autres compagnies dans la vallée du Saint-Maurice, la Brown Corporation assure le confort de ses cadres en dotant sa communauté d’institutions confessionnelles. Elle fait construire à cet effet l’ église anglicane St. Andrews ainsi que des écoles anglophones. Ses établissements se situent à proximité de l’usine dans un petit quartier principalement constitué de la rue On the Bank, portant aujourd’hui le nom de Beckler, en mémoire de Warren Beckler, gérant de l’usine de 1943 à 1960. La 91 Discours du curé Corbeil à l’inauguration du Community Club, 19 janvier 1922 (Fonds Eugène Corbeil, Société historique de La Tuque et du Haut-Saint-Maurice) 92 Brown Bulletin, juillet 1926, p.3. 93 René Verrette, op. cil. , p. 148 et p. 175. 135 compagnie y construit une dizaine de maisons entre 1910 et 1925, réservées à des cadres et techniciens haut placés et mariés. Une maison de pension est également à la disposition des célibataires. Ces résidences, situées à proximité du Community Club, composent le noyau de l’ élite anglaise de La Tuque94 . . Tout comme le relève Lise Cyr, les maisons de la Brown, presque toutes en bois, sont dotées d’une architecture anglaise de type cottage. Bien qu’elles soient distinctes les unes des autres, elles se ressemblent et assurent une certaine cohérence architecturale. La compagnie s’ occupe de l’ entretien et du chauffage des maisons
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La forte représentation du milieu rural au sein de la petite bourgeoisie latuquoise n’est pas anodine. Elle indique déjà ses origines sociales en laissant présager qu’ elle se compose majoritairement de fils de cultivateurs. Mais au-delà de cet aspect, les origines rurales permettent de comprendre les modalités de la formation de cette élite dans un contexte de colonisation. En d’autres mots, nous estimons que les racines rurales des individus influencent le type de sociabilité qu’ils exercent au moment de leur établissement dans la petite ville en essor qu’ est La Tuque au début du XXe siècle. N’oublions pas que cette dernière ressemble davantage à un village forestier à ses débuts, mais que sa fonction industrielle, ainsi que la rapidité avec laquelle elle aménage ses rues et accroît ses services publics et commerciaux, lui confèrent un caractère urbain en l’espace de quelques années à peine.
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La mobilité géographique constitue en soi une stratégie d’ascension sociale ou du moins une stratégie de survie. Le déplacement d’une famille répond habituellement à la volonté d’assurer l’ avenir de sa progéniture. L’exode rural est un phénomène maintes 51 fois abordé et les études démontrent que ce dernier est souvent la cause d’un manque de travail ou de l’insuffisance de la terre familiale. Des gens quittent alors leur village pour s’établir là où il y a de l’emploi, c’est-à-dire en villel 2 . La colonisation de La Tuque survient en pleine période de l’ accroissement de la population urbaine et de l’exode des Canadiens français vers les États-Unis. Ainsi, l’annonce de la construction d’une nouvelle usine et les emplois qui en découlent attirent de nombreuses familles ainsi que des jeunes hommes célibataires. La Tuque à ce moment devient donc un nouveau foyer de peuplement tant pour les fils de cultivateurs que pour les hommes d’ affaires et de profession qui y voient la création d’un nouveau marché.
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La cohésion plus ou moins forte de la petite bourgeoisie francophone est favorisée par ses antécédents ruraux. En effet, ses membres se servent individuellement et collectivement des outils qu’ils connaissent déjà soit la mobilisation des institutions religieuses à l’ élaboration d’ un cadre social, les solidarités régionales et familiales et l’engagement dans les différentes activités socioculturelles de la communauté. Et comme le dit bien Lucien Desbiens : « cet esprit de famille est bien compréhensible quand on songe, que la ville, par sa situation géographique toute spéciale, est isolée du reste de la Province
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Alors que le territoire s’organise avec la création de la paroisse Saint-Zéphirin en février 1908, le Village de La Tuque est fondé le 9 septembre 1909. Le premier conseil 58 municipal est composé du maire J. Achille Comeau et de six conseillers 17• Le Village de La Tuque englobe les premières habitations situées sur la rive du Saint-Maurice au pied de la côte où se situe aujourd’hui le quartier Bélair. Or, l’établissement du moulin à papier de la Brown Corporation, accompagnée de la construction des voies ferrées à l’ extrémité nord-ouest du territoire, entraîne un deuxième foyer de peuplement « drainant une grande partie de la population installée en bas de la ville vers le haut de la ville 18 ». Cette situation mène à la création d’une seconde municipalité nommée La Tuque Falls dont le développement est appelé à rapidement dépasser celui de son aînée 19. Wenceslas Plante devient le maire du nouveau village fondé le 4 avril 191020. Pendant quelques mOlS, les deux municipalités tentent de se développer séparément bien qu’ elles partagent la même église et les mêmes institutions. Les monographies locales racontent que la tension existant entre les deux communautés a mené au saccage de l’aqueduc du Village de La Tuque par des citoyens du village voisin. Ainsi, comme raconte Lucien Desbiens dans son livre Au cœur de la Mauricie, [ … ] deux villages se guettaient comme chien et chat. On a partagé le gâteau, mais les parts ne sont pas égales. Le village de La Tuque a pris la crème: le fleuve rêveur qui va se perdre vers Trois-Rivières; la chaîne de montagnes du sud et la forêt qui s’évade vers les terres fertiles de Rivièreaux-Rats.
La Tuque Falls a gardé, par contre, la partie la plus consistante de la galette: les chutes, les usines, les gares de chemin de fer, l’église et le couvent La situation étant néfaste au développement de chacune des municipalités, le conseil du Village de La Tuque Falls propose un projet de fusion lors de la séance du 26 novembre de 1910 : Considérant que cette localité se développe rapidement, que les deux municipalités ne sont séparées que par une ligne imaginaire et que les intérêts des contribuables sont identiques. Considérant que ces intérêts communs nécessitent une administration unique et les pouvoirs plus étendus que confère une organisation de ville, que ce conseil de la municipalité du Village de La Tuque Falls entreprenne de concert avec le conseil de la municipalité du Village de La Tuque la procédure annexatoire [ … ] dans le but de réunir les deux municipalités dans une seule et d’ ériger en ville avec charte toutes les tertiaires des deux municipalités
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La Commission scolaire de La Tuque35 est fondée par le curé Eugène Corbeil en 1908. Fondateur de la paroisse de l’Ascension dans les Laurentides, il y demeure jusqu’ en 1908. C’ est alors qu’ il reçoit la mission de fonder la paroisse SaintZéphirin de La Tuque. Le curé Corbeil fait appel à différentes congrégations religieuses afin de dispenser les services essentiels à la population. Il fait alors construire une église, un couvent, un orphelinat, un hôpital ainsi que des écoles. Eugène Corbeil est également l’ instigateur de nombreux mouvements laïques et l’aumônier de plusieurs associations
Figure importante de la petite bourgeoisie francophone, le curé Eugène Corbeil est reconnu pour son humanisme et ses talents d’orateur. On le compare plus d’une fois au curé Labelle, qui fut d’ailleurs l’ami de son père. Il sait s’allier avec les élus municipaux afin d’assurer le contrôle des mœurs notamment par la mise en place de règlements touchant les débits de boissons
Il entretient également de bons rapports avec les dirigeants de la Brown Corporation. À son décès le 8 septembre 1939, on peut lire dans Le Bien Public: D’un physique imposant, il avait une constitution pour résister aux épreuves qu’il aurait à surmonter. Dans sa large poitrine, battait un cœur d’apôtre et de patriote. Malgré la finesse de son esprit cultivé, le jeune prêtre avait un tempérament pour s’adapter sans peine à la couleur locale; dynamique, inépuisable, enthousiaste, rude au besoin, il saurait animer, insuffler l’ardeur chrétienne et patriote et contrôler les emportements trop fougueux.
o. Le premier projet d’envergure est celui d’un pensionnat pour filles. Selon l’entente prise avec les Sœurs de l’Assomption en mars 1910, la commission scolaire s’occupe de la construction du bâtiment d’une valeur de 25 000 $ et s’engage à fournir les équipements nécessaires de même que de s’occuper des frais liés à l’entretien, aux assurances et aux taxes municipales. La congrégation s’engage en retour à fournir les institutrices nécessaires moyennant un salaire annuel de 150 $ pour chacune.
Une entente semblable est prise entre la commission scolaire et la communauté des Frères Maristes afin de dispenser l’enseignement aux garçons. Installé dans des locaux temporaires, le Collège Saint-Zéphirin ouvre enfin ses portes en 1912. Au cours des années 1920, l’augmentation de la population amène la commission scolaire à procéder à
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Rappelons néanmoins que les deux premiers maires du village de La Tuque et de La Tuque Falls sont tous deux des boulangers aux origines plutôt modestes. Par conséquent, comme nous l’avons énoncé plus tôt, il nous apparaît difficile de déceler une certaine évolution dans la composition du conseil municipal.
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Le champ d’influence de Charles-Romulus Ducharme s’étend bien évidemment au niveau régional et national, et ce, au-delà de notre période d’étude. Soulignons qu’il contribue fortement au développement de la municipalité et de ses environs en travaillant pour l’obtention des subventions publiques pour la construction des routes reliant La Tuque à Grand-Mère en 1925 et au Lac-Saint-Jean en 1955
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Dans le cas de La Tuque, les dirigeants de la Brown Corporation, leaders économiques de la localité, s’ avèrent absents de la scène politique. Étant logés par la compagnie, ils ne sont pas propriétaires et ne détiennent en aucun cas le droit de vote. Les gros marchands anglophones et étrangers semblent quant à eux préférer rester à l’ écart de la vie politique. Ainsi, tout au long de notre période, le conseil de ville est exclusivement canadien-français, ce qui laisse place à la prépondérance de la petite bourgeoisie.
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Le contexte socioculturel de La Tuque au début du XXe siècle Pendant les années qui nous intéressent, la communauté latuquoise est en profonde mutation. La population s’accroît rapidement et les migrants, porteurs de traditions rurales, parviennent généralement à conserver leurs réseaux de sociabilité. L’appropriation d’un nouvel espace social se fait, entre autres, par la mise en place d’associations locales. Les premières organisations sont naturellement très près de la paroisse Saint-Zéphirin. À l’époque, le clergé occupe le premier rôle dans l’organisation d’une vie sociale et culturelle et assure le maintien des bonnes mœurs. La Tuque ne fait pas exception avec la participation du Curé Eugène Corbeil dans la création de la Ligue du Sacré-Cœur en 1914 et à titre d’aumônier de plusieurs mouvements laïcs dont les Zouaves pontificaux et les Dames patronnesses fondées par les Sœurs de l’ Assomption.
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Hormis les mouvements de nature religieuse, la jeune communauté procède à la création de divers clubs et associations. Parmi les plus anciennes organisations, nous retrouvons le Mechanic’s Band (1909), renommée l’Harmonie de La Tuque en 1935,
La vie socioculturelle et sportive se limite principalement au Cercle paroissial avant la création du Community Club par la Brown Corporation en 1922 dont il sera question dans le prochain chapitre.
En juin 1927, le comité chargé de la route nouvellement construite entre Saint-Tite et La Tuque envoie une lettre au gouvernement dans laquelle il déplore l’état lamentable de la route et exige que des améliorations soient effectuées pour faciliter l’accès aux automobiliste
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à 120 kilomètres de Grand-Mère et 170 kilomètres de Trois-Rivières4 , de même qu’ à plus de 140 kilomètres de Roberval5 ,
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La Tuque demeure une ville mono-industrielle jusqu’aux années 1940.
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La Brown Company, connue à l’époque sous le nom de la Berlin Mills Company, dirige ses opérations au Canada par l’ intermédiaire de sa filiale la St. Maurice & Quebec Industrial Company qui devient la Brown Corporation en 1917. L’ usine de La Tuque restera la propriété de la Brown Company jusqu’à sa vente à la Compagnie Internationale de Papier en 1954.
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. Nous ferons d’abord connaissance avec la famille Brown, propriétaire de la Brown Corporation, avant d’étudier son rôle dans les champs politique, économique et associatif à La Tuque
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Selon Claude Bellavance, le patronat désigne l’ensemble des individus qui exercent les pouvoirs économiques dominants au sein de l’entreprise. Ce groupe peut alors développer, par l’idéologie paternaliste, une volonté d’encadrement social des employés à l’intérieur comme à l’extérieur de l’usine.
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article paru en 2004, Neil White définit les villes de compagnie comme étant des communities constructed, owned, administered by, and dependent upon a sole industrial enterprise. They were characterized by a marked degree of industrial paternalism grounded in a utilitarian business ethic. Employers sought to ” control ” or administer the lives of their workers, the majority of residents, in order to ensure a stable, efficient workforce and secure a profit. At the same time, residents created community by engaging in various forms of negotiation with the companies55 .
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Selon les définitions courantes, la ville de compagnie se caractérise par un contrôle majeur de l’entreprise en matière de développement urbain. C’est à partir de ce constat qu’est apparue l’expression « villes planifiées 56 » qualifiant l’émergence de villes construites selon un modèle préétabli par les promoteurs industriels.
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u’à différents degrés selon les cas, les entreprises ont organisé l’aménagement urbain selon un plan et des normes architecturales spécifiques. L’emplacement des résidences suit généralement un ordre logique marqué par la ségrégation sociale et ethnique. Les compagnies participent également à la création des institutions publiques, telles que les écoles, les hôpitaux et les clubs communautaires afin d’offrir un climat de vie favorable à leurs travailleurs. En somme, elles agissent aussi au niveau politique et s’assurent de contrôler la ville soit en régentant le conseil municipal, souvent formé de ses propres cadres, et en se votant des exemptions fiscales, soit en faisant adopter le système de gérance municipale, fonction généralement assumée par un ingénieur à l’emploi de la compagnie. Elles offrent aussi une expertise technique [ … ] ce qui peut leur redonner une certaine influence dans l’aménagement de la ville57 •
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À ce sujet, les auteurs expliquent, dans un article collectif, qu’à leurs débuts les entreprises établies en territoire vierge devaient financer des infrastructures urbaines, telles que des routes, afin d’assurer leur réussite. Ceci, tout en contribuant au développement régional, aurait limité la capacité d’expansion de ces entreprises les obligeant ainsi à appliquer diverses stratégies de financement telles que l’obtention de crédit sur leurs possessions
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Les études suivantes sont guidées par l’idée que dans les nouvelles villes de la Mauricie des XIXe et XXe siècles « la discipline sociale ne se serait pas implantée aussi rapidement sans l’intervention de trois forces principales : les entreprises, l’Église et la petite bourgeois
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e. Il définit le paternalisme intéressé par le désir d’une entreprise d’intervenir seulement dans les domaines qui l’intéressent. Ainsi, la Laurentide souhaite encadrer les employés afin de protéger ses propres intérêts, mais elle le fait en investissant le moins possible dans le développement urbain. Ces interventions sont donc ponctuelles et visent à favoriser de bons rapports avec le conseil municipal et la population. Bien que très pertinente, l’ étude de Ruest, en se concentrant sur la sphère politique, omet tout un pan des pratiques élitaires que nous souhaitons inclure dans notre analyse
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Cadre d’étude: «La Tuque, ville qui jaillit de la forêt …. La région de la Haute-Mauricie est découverte en 1651 par le jésuite Jacques Buteux lors d’un voyage sur la rivière Saint-Maurice durant lequel il sympathise avec les Atikamekw. Pendant son deuxième voyage en 1652, le père Buteux est fait martyr lors d’un raid perpétré par des Iroquois. Plus d’un siècle s’écoule avant la création de postes de traite pour le commerce des fourrures en Haute-Mauricie à Kidendatch en 1775 puis à Weymontachie et à la Rivière-aux-Rats
Selon Claude Gelinas, un poste de la King’s Post.Company est en activité vers 1820 à La Tuque précédant ainsi l’établissement du poste de la Compagnie de la Baie d’Hudson en 1828
Ce n’est qu’ au milieu du XIXe siècle que la Haute-Mauricie devient digne d’intérêt pour le gouvernement du Canada-Uni, qui y voit l’immensité des richesses forestières. Il investit alors des sommes considérables afin d’ aménager le Saint-Maurice pour en faciliter la navigation.
Parallèlement, l’État procède, dès 1852, à la distribution de concessions forestières à un petit groupe d’entrepreneurs souhaitant en faire l’exploitation. L’organisation du territoire se poursuit avec l’érection du canton Mailhot en 1877. Les années 1880 marquent un tournant avec l’arrivée des papetières étrangères ‘ intéressées par la forêt mauricienne. Parmi elles, la pionnière est la Laurentide Pulp Company, qui s’ établit à Grand-Mère.
Jean-Baptiste Tessier, reconnu comme étant le premier colon de La Tuque, s’établit sur la rive ouest du Saint-Maurice vers 1850. Quelques années plus tard, en 1863, on compte déjà onze familles composées de Canadiens français, d’Amérindiens et de Métis à La Tuque.
. La communauté jusque-là destinée à demeurer une petite bourgade connaît un élan de colonisation au début du XXe siècle. En effet, la construction des voies ferrées reliant La Tuque à Québec ainsi qu’au Lac-Saint-Jean amène un flot d’ouvriers qui s’ ajoutent aux travailleurs forestiers déjà présents dans la région. L’achat récent des chutes de La Tuque et d’importantes concessions forestières par une compagnie américaine, la Brown Company, laissent entrevoir un nouveau développement industriel attirant, par le fait même, des familles et des jeunes hommes célibataires des régions voisines.
Devant la population flottante de travailleurs installés dans des abris temporaires et l’établissement de plusieurs centaines de personnes qui s’ensuit, Mgr NarcisseZéphirin Lorrain confie la mission de La Tuque au curé Eugène Corbeil en 1908. Le mandat du jeune prêtre est d’ encourager et d’encadrer la colonisation de ce nouveau foyer de peuplement. Il fait alors appel à des congrégations religieuses pour l’implantation d’institutions médicales et scolaires de confession catholique. La construction du moulin à pâte et d’un barrage hydroélectrique par la Brown Company en 1909 mène à la fondation de deux municipalités distinctes, les villages de La Tuque et de La Tuque Falls, qui fusionnent pour former la Ville de La Tuque en 1911.
L’étude du cas de La Tuque entre 1907 et 1939 s’avère un cadre géographique et temporel de choix compte tenu des particularités entourant la fondation ainsi que l’évolution de cette ville industrielle en région éloignée. Étant donné son isolement, La Tuque doit se doter d’institutions et d’infrastructures urbaines essentielles plus rapidement qu’ailleurs. Son développement engendre donc un investissement supérieur à la moyenne puisque la municipalité ne peut compter sur la proximité de villes voisines pour répondre aux besoins de sa population. À ce sujet, il faut savoir que pendant une partie de notre période les voies d’accès au territoire sont limitées à la navigation et au chemin de fer. En 1925, une route apparaît enfin entre les Piles et La Tuque, mais celleci est plutôt rudimentaire71 . La route est asphaltée en 1955 seulement, soit environ deux ans avant l’ouverture de la route longtemps espérée entre La Tuque et le Lac-Saint-Jean.
s. À titre d’ exemple, parmi ceux qui se déclarent marchands lors du recensement de 1911, nous retrouvons 20 Canadiens français, trois Russes, un Polonais, quatre Syriens, un Italien, un Autrichien, ainsi qu’un Canadien anglais. On peut donc constater que la majorité des marchands sont d’origine française, mais qu’il existe tout de même une certaine diversité ethnique dans le monde des affaires dès le début de notre période. Cela dit, nous avons décidé d’exclure certains marchands prospères, notamment Henry Hillier et Frank Spain afm de rester fidèle à notre étude sur la création d’une petite bourgeoisie canadienne-française locale
Pour ce qui est de la Brown Corporation, nous estimons qu’elle détient un pouvoir important puisqu’elle contribue au financement de plusieurs projets de développement, ce qui lui permet de conserver un certain contrôle politique en obtenant des exemptions fiscales et en faisant adopter la gérance municipale. Toutefois, nous croyons que la petite bourgeoisie sait prendre sa place dans l’espace public, non seulement par l’intermédiaire du conseil de ville et de la commission scolaire, mais aussi par sa présence accrue dans le monde commercial et associatif. C’est dans cette optique que nous souhaitons aller audelà de l’étude du conseil municipal et insérer les autres dimensions de la société locale à notre analyse. Cela permet de tenir compte d’un plus grand nombre d’individus susceptibles d’être inclus dans notre conception de l’élite.
Notre hypothèse est que les rapports entre la petite bourgeoisie et la Brown Corporation, bien qu’ils soient par moments conflictuels, évoluent généralement sous le signe de la collaboration. Nous estimons alors que La Tuque se distingue du modèle commun des villes de compagnie par la présence d’une élite francophone, exerçant une domination du conseil de ville, tout en travaillant, en coopération avec les cadres anglophones de la grande entreprise, au développement urbain et socioculturel de la communauté
2) L’arrivée des Leclerc : Félix qui baigne dans la poésie de son père conteur et la musique de la shop.
3) Appropriation du ‘’rêve-désir’’ des Brown par le village, touché en plein cœur. Formation de 2 orchestres
4) Répercutions d’être musicien. Amour de la musique. Recherche de s’élever dans la société. Être plus attractif (mon oncle Paulo)
5) Le bal, vision poétique d’un soirée. Naissance du chansonnier-poète FELIX LECLERC.
6_ L’HISTOIRE DE TON PÈRE, le cinquantenaire
7) TA RENCONTRE AVEC FÉLIX; Les valeurs personnelles qui viennent de cette période pour créer la magie des 2 pierrots.