LA PLUS GRANDE ÉCHELLE… TEXTE COSMOLOGIQUE AU SUJET DU TELESCOPE JAMES WEBB

Depuis bientôt une année, le télescope James Webb fournit au monde des images de l’Univers qui sont en train de bouleverser nos connaissances. Ce nouveau télescope, construit au coût de 10 milliards de dollars, et auquel a contribué l’astrophysicien québécois René Doyon, nouveau récipiendaire de la distinction la plus prestigieuse décernée par la NASA⁠1, succède au célèbre télescope Hubble.

Publié à 0h46 Mis à jour à 9h00Partager
Le télescope James Webb nous offre des images 100 fois plus précises que Hubble, en incluant des intensités lumineuses – les infrarouges, invisibles à l’œil humain – qui nous échappaient jusque-là. Il est tellement puissant qu’il serait théoriquement possible de détecter la présence de lumière artificielle émise sur une exoplanète dans une galaxie lointaine – un peu comme celle que nous produisons dans les villes, la nuit –, bref de découvrir l’existence d’autres formes de vie.

Il n’y a rien de plus inactuel que les galaxies, me direz-vous, et vous aurez bien sûr raison. Elles ont plusieurs milliards d’années, étaient là bien avant nous, et le seront bien après, l’aventure humaine représentant à l’échelle de l’histoire de l’Univers une infime parenthèse. « La fin de l’homme ne sera pas la fin du monde », comme le chante Daniel Bélanger. Et pourtant chaque semaine, le télescope James Webb fait l’actualité avec des découvertes qu’on peut suivre en temps réel⁠2. Tenez, au début de juin, le télescope a découvert des molécules organiques dans une galaxie située à 12 milliards d’années-lumière, les plus lointaines jamais observées, dont l’image forme ce que les scientifiques appellent un anneau d’Einstein⁠3. Et la semaine dernière, le télescope a fourni des données au sujet de l’atmosphère d’une planète rocheuse semblable à la Terre, poétiquement appelée TRAPPIST-1c, en orbite autour d’une naine rouge de la taille de Jupiter.

Cette découverte fait suite à l’identification de traces de vapeur d’eau trouvées sur une autre planète, GJ-486b, située tout près de nous, à « seulement » 26 années-lumière. À vrai dire, on ne sait pas encore si l’eau émane de la planète ou de l’étoile autour de laquelle elle trace son orbite, mais le seul fait qu’on s’interroge à propos d’un objet aussi lointain m’apparaît tout simplement phénoménal.

Il faut apprécier le chemin parcouru depuis l’époque de Galilée, il y a quatre petits siècles, qui à travers sa lunette apercevait pour la première fois les anneaux de Saturne.

Ce que j’aime particulièrement dans cette aventure, c’est le recul qu’elle nous offre sur nous-mêmes. Il y a une vraie dimension philosophique à l’exploration spatiale, qui me rappelle le conte de Voltaire, Micromégas, publié en 1752, où un géant extraterrestre, venu d’un système solaire lointain, arrive sur la Terre après un long voyage dans l’espace. Au début, il ne distingue rien, sinon quelques baleines, qui sont pour lui de minuscules poissons qui frétillent dans une flaque d’eau. Il lui faut du temps et de grands efforts d’attention pour apercevoir les créatures microscopiques qui s’agitent à la surface du globe : les humains. En prêtant l’oreille, il s’étonne de ce que ces étranges microbes racontent, de ce qu’ils prétendent savoir, eux qui se comportent comme si l’Univers leur appartenait. Il s’étonne surtout des querelles qui les divisent : entre Français et Anglais, entre chrétiens et musulmans, entre riches et pauvres, on se fait la guerre. Le géant ne comprend pas qu’on soit prêt à s’égorger pour des territoires qui ne sont pour lui rien plus que de vulgaires tas de boue.

On ignore encore l’étendue de ce que le télescope James Webb nous révélera. Bien souvent, les plus grandes découvertes, comme les plus grandes leçons, sont celles que l’on n’attend pas.

Prenez l’aventure de Voyager 1, une sonde spatiale lancée à la fin des années 1970, équipée d’un ordinateur primitif d’une force comparable à celle d’un vieux modem, et qui poursuit son voyage dans l’espace intersidéral – à une distance d’environ 24 milliards de kilomètres, la sonde est aujourd’hui l’objet humain le plus éloigné de la Terre⁠4. Après avoir livré les premières images en haute résolution de Jupiter et de Saturne au tournant des années 1980, Voyager 1 devait éteindre sa caméra avant de continuer sa route. Mais le responsable du programme, Carl Sagan, a une idée : il veut profiter de la sonde pour prendre une photo de la Terre. Après deux années de préparation en vue de ce selfie géant, alors que la sonde a dépassé l’orbite de Pluton, la photo est enfin prise, le 14 février 1990.

La suite de l’histoire est fascinante, car une fois la photo imprimée, la responsable de l’analyse, Candy Hansen-Koharchek, n’arrive pas à identifier la Terre. Le sujet de la photo est introuvable, et on croit d’abord à une erreur technique⁠5. Et puis soudain, après de nouveaux efforts d’attention, exactement comme le géant de Voltaire arrivé sur la Terre, la responsable distingue quelque chose d’infime sur l’image, une petite saleté, à peine un grain de poussière, qu’elle gratte pour le détacher. Or, le grain de poussière ne se détache pas, parce qu’il fait partie de la photo : c’est la Terre. L’image fait moins d’un pixel, c’est un tout petit point bleu pâle, l’une des photos les plus célèbres de l’histoire de l’exploration spatiale, le Pale Blue Dot⁠6. Et c’est sur ce petit point de rien du tout, à peine visible, que nous sommes embarqués.

Cette photo est peut-être l’une des plus belles choses que l’exploration spatiale puisse nous donner : la conscience de notre fragilité. Pendant les vacances d’été, alors que je contemplerai le ciel à la recherche de planètes et d’étoiles filantes, j’essaierai de me rappeler qu’il suffit parfois d’un peu de distance pour renouer avec l’essentiel, et comprendre que certaines querelles n’ont guère d’importance quand on les rapporte à la plus grande échelle.