mon père et la ville de la tuque

TEXTE DU FILS DE LUCIEN JUTRAS …
Un gros trente secondes …

Nous descendions la rue Saint-Augustin en courant, traversions la rue de la Plage sans regarder et nous étions rendus au p’tit lac… comme je disais, un gros trente secondes !

On pouvait s’y baigner et même pêcher le brochet…

 mais un beau jour, quelqu’un a décidé de moderniser notre bel étang.  Promenade asphaltée, murets de béton, clôture en acier galvanisé, fontaine en plywood, canards, chevreuils et madone allaient faire partie dorénavant de notre décor quotidien.  C’était en 1961.
On s’est donc mis à nourrir les chevreuils avec des chips, les canards et les outardes avec des restes de pain et les truites avec du pop-corn.  On regardait le monde d’en-dehors pêcher des truites de pisciculture et nos élites faire des tours de bateau-à-moteur alors que les touristes se promenaient en pédalo.
Puis en 1965, l’adolescence nous est tombée dessus en même temps que les Beatles et le 24 heures de La Tuque, cette compétition internationale de nage par équipe.
–  Carmen, as-tu ma cédule du moulin?  Est-ce que je travaille pendant le 24 heures?
–  Oui Lucien, tu es de minuit à 8.
–  J’appelle Ti-Ken pour changer de shift.  Je ferai 16 heures lundi.
Mon père se préparait au moins une semaine à l’avance pour le 24 heures.  Il sortait ses jumelles Tasco, coupait le gazon en avant de la maison, huilait le canard en bois pour que ses ailes tournent bien avec le vent, nettoyait son flamand rose, alignait les chaises pliantes en aluminium sur la galerie, montait la tente dans la cour arrière au cas où il y aurait trop de visite, achetait de la bière, de la liqueur et des chips.
En même temps que mon père se préparait pour la fête, le p’tit lac changeait d’allure au fur et à mesure que l’événement approchait.
Faut dire qu’on voyait tout en direct de la galerie avant de notre maison de la rue Saint-Augustin.
–  Lucien, ils viennent d’installer les gallons d’eau de javel autour du lac !
–  Demain, ce sera le quai flottant pour les relais.  Les tentes sur la plage, c’est prévu pour vendredi en après-midi.
–  Aye p’pa, la boule de CFLM vient d’arriver !–  Aye p’pa, la boule de CFLM vient d’arriver !
Et ça durait des jours comme ça…
Puis les nageurs professionnels arrivaient en ville, débarquaient au Pignon Rouge pour le lunch et à l’Hôtel Windsor pour la nuit.  Plusieurs avaient des noms exotiques: Herman Willemse (le Flying Dutchman), Marwan Shidid, Abu Heif, Horacio Iglesias, Nabil El Shazli et Claudio Plitt.  Je trouvais qu’ils venaient de bien loin pour se baigner au p’tit lac.
À chaque tour, nous passions devant le kiosque à patates le long de la promenade du côté de la rue de la Plage, puis devant les tables à pique-nique qui servaient à bien d’autres choses pendant le 24 heures.  Tout près, dans le pied de la côte, s’alignaient les jeux pour enfants où aboutissait le long escalier qui descendait de la rue Saint-Honoré.  En face, pour les petits, on avait construit deux piscines … dans le lac.
 et toute cette perspective était surveillée, que dire protégée, par une madone bien installée dans sa fausse grotte de béton alors que tant de choses se passaient dans son dos…
Puis, on tournait face au sud vers l’enclos à chevreuils qui, regroupés le long de la clôture arrière, regardaient de leurs grands yeux de cervidés apeurés les promeneurs tournant en rond autour du lac.

 

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l'Autre bord du lac: Le lac Saint-Louis

 

l'Autre bord du lac: Le lac Saint-Louis

 

l'Autre bord du lac: 2014