Le QUANTIQUE représente une nouvelle industrie et plusieurs pays y investissent massivement, notamment la Chine avec plus d’un milliard de dollars pour son Laboratoire national des sciences de l’information quantique. Au Québec, le MEI propulse le Québec Quantique qui se développe en grande partie à l’Institut quantique de l’Université de Sherbrooke (INTRIQ). Tentons ici d’y voir plus clair et examinons quel rôle peut jouer le quantique dans les systèmes intelligents.
Nous sommes actuellement au cœur même de ce qui est appelé la deuxième révolution quantique. Tâchons de nous situer à travers les moments forts de cette théorie et essayons de la comprendre, malgré le fait qu’elle soit plutôt contre-intuitive. Puis, veillons à entrevoir son implication parmi les objets intelligents qui nous entourent.
I. LES DEUX RÉVOLUTIONS QUANTIQUES
A) LE QUANTIQUE 1.0
Considérée comme étant disruptive et contre-intuitive, la physique quantique nous a tout d’abord amené à repenser l’infiniment petit. Le quantum, signifiant littéralement combien en latin, désigne alors la plus petite mesure indivisible.
Ces unités ou quanta, en physique, sont utilisées par exemple, pour mesurer l’énergie, la quantité de mouvements ou encore la masse. Pour décrire les ondes lumineuses, on parlera de photon. C’est le fameux quantum de lumière à l’origine des procédés au laser et notamment de l’optique quantique.
La première révolution quantique est venue apporter de nouvelles lois physiques, permettant de mieux comprendre le monde microscopique des atomes. Elle a, depuis, fait place à la mécanique quantique.
Pourquoi parle-t-on maintenant d’une deuxième révolution ?
B) LE QUANTIQUE 2.0
La deuxième révolution quantique va utiliser ces nouvelles lois physiques pour développer des technologies inédites et fait apparaître, entre autres, l’informatique quantique. La plus petite unité indivisible, le quantum, ne sera pas le bit, équivalent au chiffre binaire (1 ou 0), mais plutôt le Qubit. Ce dernier, comprend simultanément la binarité des unités 1 et 0.
Une superposition de plusieurs états en même temps, allant au-delà du binaire, permet de sauter les étapes dites classiques, en informatique, et ainsi d’accélérer le calcul. Par cette promesse de grande vitesse, nous pouvons imaginer le potentiel incroyable des ordinateurs quantiques qui sont alors appelés superordinateurs ou supercalculateurs.
La vitesse des ordinateurs fait rêver, mais elle ne représente qu’un des aspects de l’impact du quantique. Les systèmes quantiques, par exemple, sont capables de simuler le comportement précis des molécules et ouvrent de nouveaux champs de recherche en biochimie.
C) DES IMPACTS POUR L’IA
On peut aussi se demander comment les principes quantiques sont utilisés dans l’apprentissage-machine. Comme cet apprentissage fonctionne selon un processus statistique, nous avons de bonnes raisons de croire que le quantique apportera de nouvelles réponses. Un algorithme quantique d’apprentissage-machine, utilisant une méthode probabiliste, aurait alors la capacité d’identifier des connexions autrefois impossibles à discerner.
La cybersécurité liée à cette théorie constitue un autre enjeu. On soupçonne le quantique de pouvoir décrypter rapidement des informations hautement sécurisées. C’est pourquoi, aujourd’hui, la National Security Agency cherche à construire un ordinateur quantique capable de déchiffrer la plupart des types de cryptages.
II. POURQUOI LES PRINCIPES QUANTIQUES SONT-ILS CONTRE-INTUITIFS ?
A) L’EFFET DE TAILLE QUANTIQUE OU LA QUANTIFICATION
Avec le quantique, que mesure-t-on exactement ?
« Mesurer un objet quantique, c’est jeter un pont entre deux mondes situés à des échelles différentes et obéissant à des logiques différentes. »
Michel Brune, Pour la Science.
Les théories quantiques supposent que l’énergie émise par un atome lors d’une transition entre plusieurs états excités peut être quantifiée. Mais le verbe quantifier prend ici un sens bien particulier et on doit le replacer dans l’infiniment petit.
Il y a quantification lorsqu’on attribue un certain quantum à un phénomène mesurable comme l’espace, les mouvements électroniques ou les ondes.
B) L’INCERTITUDE
L’univers théorique du quantique est un univers probabiliste. C’est un monde d’infinies possibilités, mais également un monde flou auquel nous ne sommes pas habitués.
Un quantum peut avoir simultanément plusieurs états. Nous avons vu que le Qubit peut comprendre à la fois l’état du bit 1 et celui du bit 0. Aussi, pour chaque état quantique parfaitement spécifié, il existe toujours au moins une mesure dont les résultats sont parfaitement certains, et simultanément au moins une mesure dont les résultats sont aléatoires.
« Tout ce qui m’importe est que la théorie prévoie correctement le résultat d’une expérience. »
Stephen Hawking
Les notions de hasard sont donc intrinsèquement présentes dans cette théorie et nous semblons loin d’un monde déterministe où tout serait déjà prévu sous l’égide de la « Providence ».
C) LA SUPERPOSITION
C’est le principe de superposition qui permet l’effet de simultanéité. On suppose avant tout qu’un événement peut se réaliser de multiples façons. Ensuite, on admet que ces différentes façons, ou manières d’être, sont des états impossibles à discerner.
L’interprétation quantique sera alors en mesure de superposer simultanément ces différents états pour les comprendre. C’est ce principe de superposition qui permet, entre autres, l’accélération dans le calcul mathématique.
D) L’EFFET DE TUNNEL
A priori, le tunneling est une sorte d’aberration. C’est la capacité pour un quantum, un électron par exemple, de se trouver dans un espace inattendu.
On dit alors que le quantum franchit une barrière de potentiel, normalement infranchissable. Le quantum (ou l’objet quantique) ne possède pas suffisamment d’énergie pour franchir cette barrière, mais le fait tout de même.
On peut penser à un mur qui se comporterait comme une onde pouvant ainsi être traversée. Ce mur serait assez mince, ou encore il vacillerait d’une telle manière, qu’on puisse en saisir plusieurs côtés en même temps.
L’effet de tunnel permet donc à un élément de sortir d’un système ou d’y entrer en le laissant intact. C’est un effet contre-intuitif, mais il nous laisse imaginer toutes sortes de situations de téléportation.
E) L’INTRICATION OU NON-LOCALITÉ
Des systèmes peuvent être intriqués de sorte qu’une interaction, en un endroit du système, a une répercussion immédiate, en d’autres endroits.
Ce principe permet donc d’émettre des corrélations autrefois impossibles. L’état du système est alors une superposition simultanée de toutes ces corrélations.
F) LA DÉCOHÉRENCE
Le principe de décohérence suppose qu’un système quantique ne doit pas être considéré comme isolé, mais en interaction constante avec un environnement aléatoire. Le simple fait d’éclairer un phénomène change son état. Or, ces interactions sont tellement complexes qu’elles en deviennent incohérentes.
Ce principe, qui souhaite rattacher la physique quantique à la physique classique, tente d’expliquer pourquoi certains états quantiques superposés disparaissent au niveau macroscopique.
CONCLUSION
Si on revient rapidement sur les concepts du quantique, on comprend à quel point cette théorie peut être contre-intuitive. L’approche probabiliste ébranle notre façon de concevoir la réalité. Elle semble manquer de fondements, ou d’assises et plus précisément d’ontologie.
« Il n’y a pas de monde quantique. Il y a seulement une description physique abstraite. »
Niels Bohr, physicien danois de la mécanique quantique.
Le savant Bohr continue ainsi : « Il est erroné de penser que la tâche de la physique est de découvrir la façon dont la nature existe. La physique concerne ce que nous pouvons dire de la nature ». Un constat susceptible d’ébranler nos consciences.
De plus, la superposition nous éloigne du cartésianisme qui nous conduisait d’une chose simple à l’autre. L’effet de tunnel nous fait penser à de la magie car la matière traverse certains murs. Puis, la non-localité, nous amène à tenter de concevoir des dimensions parallèles. Enfin, la décohérence nous plonge dans un monde où rien n’est stable et tout est en mouvement. Autant de paramètres qui brouillent notre manière de concevoir le monde, car nous ne sommes pas habitués à cette impression de flou en science.
Que penser alors de l’utilisation du quantique dans l’apprentissage machine ? On peut s’attendre à beaucoup d’innovations. On en constate déjà pour des tâches « allant de la classification, à la génération de distributions ou encore à la détection d’anomalies », selon l’Institut quantique (IQ) de l’Université de Sherbrooke.
BILBIOGRAPHIE
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