13 FÉVRIER ….LA GRANDE DÉMISSION … ENJEU DE MON 45 MINUTES CONFIDENCES AVEC ORIZON

arché du travail La « Grande Démission » des Américains

PHOTO DAMON WINTER, ARCHIVES THE NEW YORK TIMES

Selon les données du réseau social professionnel LinkedIn, près de 1,5 million de postes sont toujours à pourvoir aux États-Unis.

Plus de 25 millions d’Américains ont démissionné de leur emploi au cours des six derniers mois de 2021. Une « Grande Démission » causée par une grande remise en question.

Publié à 6h00
Richard Hétu

RICHARD HÉTUCOLLABORATION SPÉCIALE

L’avènement des remises en question

Comme tout le monde, Ranee Soundara, ex-cheffe de produit marketing pour une société de technologie établie à New York, avait déjà entendu parler d’épuisement professionnel et de stress post-traumatique. Mais elle n’aurait jamais pensé que des médecins lui diagnostiqueraient un jour ces deux formes de souffrances mentales.

« Ils m’ont expliqué en gros que beaucoup de gens, surtout pendant la pandémie, traversent des situations mentales différentes qui ont un impact sur leur santé. C’est vraiment le genre de chose qui m’a fait réfléchir », a-t-elle raconté lors d’une entrevue récente.

PHOTO FOURNIER PAR RANEE SOUNDARA

Ranee Soundara

La célibataire de 37 ans a reçu son diagnostic en janvier 2021. Mais elle n’a pas abandonné tout de suite l’emploi exigeant qui lui faisait passer des nuits blanches dont elle émergeait avec des envies de vomir. Elle a d’abord transformé sa vie afin de mettre de côté un maximum d’argent.

Puis, en juin 2021, elle a remis à son employeur une lettre de démission annonçant son départ prochain. Elle a ainsi grossi les rangs des quelque 4,1 millions d’Américains qui ont quitté leur travail en juillet 2021, selon le Bureau des statistiques du travail. Elle a également ajouté son nom à une tendance lourde.

Au cours des six derniers mois de 2021, 25,6 millions d’Américains ont démissionné de leur emploi, un phénomène que les médias ont baptisé la « Grande Démission ».

Anthony Klotz, professeur de gestion à l’Université A&M du Texas, a inventé cette expression en mai 2021 lors d’une entrevue accordée à Bloomberg. Il l’a utilisée en prédisant que les Américains se mettraient à quitter leur emploi en masse quand leurs patrons les forceraient à retourner au bureau. L’expression est restée, même si le phénomène qu’elle décrit est loin de se limiter à la seule explication évoquée par le professeur. Ranee Soundara incarne elle-même un trait important de cette tendance lourde.

La « grande remise en question »

« Les gens parlent de la Grande Démission, mais pour moi, c’est plutôt la grande remise en question de mes priorités et de mes valeurs, dit-elle. L’une de mes priorités était de m’occuper de ma santé mentale, de prendre de vraies vacances pour la première fois en quatre ans et de réfléchir à la prochaine étape de ma carrière. » Depuis sa démission, Ranee Soundara a notamment séjourné pendant huit semaines à Florence, en Italie, où elle a étudié la peinture et la sculpture. Elle a aussi passé du temps avec sa mère, qui vit à Seattle, avant de se remettre en quête d’un nouveau travail. Mais pas n’importe lequel.

« J’ai beaucoup d’amis qui vivent la même expérience que la mienne », dit-elle.

Nous sommes à ce stade de nos vies où nous ne voulons plus retourner à ce que nos carrières ont été au cours des 15 ou 20 dernières années. Nous répudions ce que beaucoup d’entre nous considèrent comme une culture hostile.

Ranee Soundara

Âgé de 38 ans, Joseph Jalbert déplore de son côté les « heures folles » qui rythmaient sa vie à New York en tant que producteur délégué pour une chaîne de télévision consacrée à la cuisine. « J’étais ni plus ni moins sur appel 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 », a-t-il dit en entrevue. Pour échapper à ce tempo infernal, il a accepté un emploi à Atlanta lui permettant de mettre ses expériences passées au service d’une entreprise en démarrage du secteur de la santé. Mais son rythme de travail n’était pas moins infernal qu’avant. D’où sa décision de quitter son emploi en septembre dernier. Sa femme, en revanche, a continué à travailler pour la même entreprise.

PHOTO ED JONES, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Au cours des six derniers mois de 2021, 25,6 millions d’Américains ont démissionné de leur emploi, un phénomène que les médias ont baptisé la « Grande Démission ».

« Heureusement, nous étions dans une position financière assez bonne pour que je n’aie pas à avoir un autre emploi en vue avant de quitter l’autre », a dit le natif du Massachusetts. Ces derniers mois, Joseph Jalbert a ainsi pu consacrer du temps à des projets qui lui tenaient à cœur, dont l’adoption d’un chiot et la mise en chantier de projets créatifs.

« Un temps pour respirer »

« J’ai commencé à écrire un livre pour enfants. J’ai un tas d’idées pour des émissions de télévision que je n’avais jamais eu le temps de coucher sur papier auparavant, par manque de temps », dit-il. En parlant des derniers mois, Joseph Jalbert ajoutera : « Ç’a été un temps pour tout simplement respirer. »

Aucun secteur n’est vraiment épargné par la Grande Démission.

Selon les données du réseau social professionnel LinkedIn, près de 1,5 million de postes sont toujours à pourvoir aux États-Unis, dont 4,4 % des emplois du secteur de l’éducation, 6 % des emplois du commerce au détail, 8 % des emplois du secteur de la santé et 9 % des emplois de l’hôtellerie et de la restauration.

Ce manque de personnel a facilité les décisions professionnelles de certains Américains.

Jordan, une New-Yorkaise dont nous taisons le nom de famille à sa demande, fait partie de ce groupe. Avocate de formation, elle a quitté l’an dernier son emploi dans une entreprise de marketing, désirant s’éloigner de l’univers du 9 à 5 et se rapprocher de la carrière d’actrice dont elle rêve.

Ainsi, quand un de ses amis lui a demandé si elle connaissait quelqu’un qui voudrait travailler dans un grand restaurant de Chelsea, à Manhattan, elle a répondu : « Moi. »

« J’ai fait confiance à mon ami, se souvient Jordan. Il m’a dit : “C’est un excellent endroit où travailler, très flexible. Tout le monde est un chanteur, un danseur ou un acteur. Je n’ai jamais eu de problème si je dois partir pour une audition.” » Des mois plus tard, Jordan ne regrette pas d’avoir démissionné de son ancien emploi pour en prendre un qui correspond davantage avec le style de vie qu’elle veut mener. « Avec la pandémie, les gens réalisent que la vie est trop courte, dit-elle. On ne sait vraiment pas quand notre dernier jour arrivera. »

« Les employés sont en contrôle »

Le marché du travail n’a plus de secrets pour Danny Nelms. En 2021, l’organisation dont il est le président, le Work Institute, a interviewé 28 000 employés démissionnaires pour connaître la raison de leur départ. Il a à son tour accepté d’être interviewé par La Presse pour discuter de ses constats.

PHOTO TIRÉE DE TWITTER

Danny Nelms, président du Work Institute

Comment expliquez-vous la « Grande Démission » dont on parle tant aux États-Unis ?

La Grande Démission a été alimentée par un certain nombre de facteurs. Il est évident que la pandémie mondiale a ouvert la voie à un changement important dans la manière dont le lieu de travail est organisé aujourd’hui. Je pense que beaucoup d’employés ont découvert qu’il y avait un éventail d’occasions dont ils pouvaient se prévaloir. Il est clair que le redressement de l’économie après la crise causée par la pandémie a été beaucoup plus rapide que lors d’une récession normale. Les employés sont en contrôle. Et si nous ne faisons pas tout notre possible pour trouver une façon de les retenir et de les motiver, ils vont trouver d’autres occasions.

PHOTO MARK LENNIHAN, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

« Il est évident que la pandémie mondiale a ouvert la voie à un changement important dans la manière dont le lieu de travail est organisé aujourd’hui », explique Danny Nelms, président du Work Institute.

Quelles sont les raisons les plus souvent évoquées par les employés pour expliquer leur démission ?

Nous avons constaté deux ou trois choses et nous disposons maintenant de suffisamment de données pour pouvoir dégager des tendances. Il est évident qu’en 2020, lors de la vague initiale de la pandémie, nous avons constaté une augmentation considérable de démissions liées à des raisons de santé ou familiales. Beaucoup de gens essayaient d’éviter d’être exposés à la COVID-19 ou d’exposer des membres de leur famille. D’autres avaient des enfants à la maison. Beaucoup d’autres encore ont décidé de devancer leur retraite.

Cependant, à partir de 2021, nous avons constaté un changement de tendance important. La plupart des départs étaient liés à des raisons de carrière. Les gens voyaient d’autres occasions de développement, de croissance. Certains ont décidé de changer complètement de carrière. Et je pense qu’une partie de cela a été alimentée par la pandémie et la prise de conscience qu’il y avait beaucoup d’occasions intéressantes.

Qu’en est-il des raisons pécuniaires ?

Nous avons constaté une augmentation du nombre de personnes qui partent pour des raisons pécuniaires, mais j’aime souligner qu’il y a encore moins d’un employé sur dix qui dit que l’argent est la raison principale ou la cause fondamentale de sa décision de partir.

D’où tenez-vous cette donnée ?

En 2021, nous avons mené plus de 28 000 entretiens de départ avec des employés aux États-Unis et au Canada. Voilà d’où nous tenons cette donnée. La réalité est que quand les gens quittent leur emploi, ils obtiennent généralement un meilleur salaire. Mais ce n’est pas la cause première de leur décision de partir.

Comment les employeurs s’y prennent-ils pour retenir leurs employés ?

C’est là que la voix des employés devient si importante. Les employeurs doivent être à l’écoute de leurs employés. Je pense qu’ils doivent mettre en place des outils et des processus pour être en mesure de répondre aux besoins et aux exigences de leur personnel. Il y a certainement une forte pression en ce moment pour mettre en œuvre des choses comme les entretiens de fidélisation. Et je dirais qu’ils sont absolument essentiels en ce moment.

Nous parlons donc littéralement aux individus ou aux employés de ce qui améliorera leur situation, de leurs objectifs à long terme, de ce qui les aidera à affronter certaines circonstances. Au début de la pandémie, d’énormes efforts ont été déployés dans ce sens. Je pense que nous nous en sommes éloignés jusqu’à un certain point et je pense que cette exigence sera permanente.

De façon générale, les employeurs en font-ils assez pour retenir leurs employés ?

Je pense que les employeurs ont tendance à être complaisants. Ils ont longtemps toléré un roulement d’employés élevé en sachant qu’il leur suffisait d’afficher un poste pour avoir beaucoup de postulants. Mais l’offre et la demande ne sont plus ce qu’elles étaient. Et je pense que ce problème durera encore longtemps.

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nfance et études[modifier | modifier le code]

Charles Darwin à l’âge de sept ans en 1816, un an avant la mort de sa mère.

Charles Darwin est né dans la maison familiale, dite « maison Mount »8. Il est le cinquième d’une fratrie de six enfants d’un médecin et financier prospère, Robert Darwin (1766-1848), et de Susannah Darwin (née Wedgwood) (1765-1817). Il est le petit-fils du célèbre naturaliste et poète Erasmus Darwin (1731-1802)B 1 du côté paternel et de Josiah Wedgwood (1730-1795), du côté de sa mère. Chacune des deux familles est de confession unitarienne, bien que les Wedgwood aient adopté l’anglicanisme. Robert Darwin, plutôt libre-penseur, accepte que son fils Charles soit baptisé à l’église anglicane. Néanmoins, les enfants Darwin fréquentent avec leur mère la chapelle unitarienne. Le prêcheur de celle-ci devient le maître d’école de Charles en 1817. En juillet de la même année, Susannah Darwin décède alors que Charles n’a que huit ans. En septembre 1818, il entre au pensionnat de l’école anglicane voisine, l’école de ShrewsburyA 2. Aimant peu les matières théoriques scolaires, il préfère galoper à cheval dans la campagne avec son chien, chasser, herboriser, collecter des animaux et des pierres9.

Darwin passe l’été de 1825 comme apprenti médecin auprès de son père qui soigne les pauvres du Shropshire. À l’automne de la même année, il part en Écosse, à l’université d’Édimbourg pour y étudier la médecine, mais il est révolté par la brutalité de la chirurgie et néglige ses études médicales. Il apprend la taxidermie auprès de John Edmonstone, un esclave noir libéré, qui lui raconte des histoires fascinantes sur les forêts tropicales humides d’Amérique du Sud. Plus tard, dans La Filiation de l’homme et la sélection liée au sexe, il se sert de cette expérience pour souligner que, malgré de superficielles différences d’apparence, « les Nègres et les Européens » sont très prochesK 1.

Durant sa seconde année, Charles Darwin rejoint la Société plinienne (ainsi nommée en hommage à Pline l’Ancien considéré comme le premier naturaliste), un groupe d’étudiants spécialement intéressés par l’histoire naturelleC 1 et au sein de laquelle il fait quelques allocutions10. Il devient un élève de Robert Edmond Grant, partisan de la théorie de l’évolution du naturaliste français Jean-Baptiste de Lamarck, tout comme son grand-père Erasmus Darwin l’avait été. Sur les rivages du Firth of Forth, Charles participe aux recherches de Grant sur les cycles vitaux des animaux marins. Ces recherches portent sur l’homologie, théorie selon laquelle tous les animaux ont des organes similaires ne différant que par leur complexité, ce qui indique leur ascendance communeA 3. En mars 1827, Darwin fait un exposé devant ses camarades pliniens sur sa propre découverte : les spores noires souvent trouvées dans des coquilles d’huîtres sont selon lui les œufs d’une sangsueC 2. Il suit également les cours de Robert Jameson, s’initie à la stratigraphie géologique, à la classification des plantes et utilise les riches collections du muséum de l’université, l’un des plus riches d’Europe de son tempsA 4.

En 1827, son père, insatisfait par l’absence de progrès de son jeune fils, l’inscrit pour obtenir un Bachelor of Arts au Christ’s College de Cambridge. Il s’agit de lui donner un diplôme de théologie, dans l’espoir que Charles devienne pasteur anglicanA 5. Néanmoins, Darwin aime mieux monter à cheval et chasser que se consacrer à ses étudesL 1. Avec son cousin William Darwin Fox, il commence à se passionner pour la collection des coléoptèresL 2. Fox lui fait rencontrer le révérend John Stevens Henslow, professeur de botanique et grand connaisseur de ces insectes. Darwin rejoint alors les cours d’histoire naturelle d’Henslow et devient son élève préféré. Il est alors connu des autres professeurs comme « l’homme qui marche avec Henslow »A 6,L 3. Quand les examens se rapprochent, Darwin se concentre sur ses études et reçoit des cours privés d’Henslow. Le jeune homme est particulièrement enthousiaste au sujet des écrits de William Paley, dont la Théologie naturelle (1802) et la conception divine de la nature le fascinentL 4.

« Pour passer l’examen de bachelier, il était également nécessaire de posséder les Évidences du christianisme de Paley et sa Philosophie morale. J’y mis un grand soin, et je suis convaincu que j’aurais pu transcrire la totalité des Évidences avec une correction parfaite, mais non, bien sûr dans la langue de Paley. La logique de ce livre, et je puis ajouter, de sa Théologie naturelle, me procura autant de plaisir qu’Euclide. L’étude attentive de ces ouvrages, sans rien essayer d’apprendre par cœur, fut la seule partie du cursus académique qui, comme je le sentais alors et comme je la crois encore, se révéla de quelque utilité pour l’éducation de mon esprit. Je ne me préoccupais pas à cette époque des prémisses de Paley ; m’y fiant d’emblée, j’étais charmé et convaincu par la longue chaîne de son argumentation. »

— Autobiographie, p. 16

Von Sydow a avancé l’idée que l’enthousiasme de Darwin pour l’« adaptationisme » religieux de Paley a paradoxalement joué un rôle, plus tard, lors de la formulation de sa théorie de la sélection naturelle11. Il passe ses examens en janvier 1831 et, s’il réussit bien en théologie, il remporte de justesse les épreuves de littérature classique, de mathématiques et de physique, arrivant dixième sur une liste de 178 élèves reçusC 3.

Les obligations universitaires obligent Darwin à rester à Cambridge jusqu’en juin. Suivant les conseils d’Henslow, il ne hâte pas son entrée dans les Ordres. Inspiré par le journal de voyage du naturaliste allemand Alexander von Humboldt, il organise un voyage dans l’île de Tenerife avec quelques camarades d’études eux-mêmes fraîchement diplômés, afin d’étudier l’histoire naturelle des tropiques. Pour mieux se préparer, Darwin rejoint les cours de géologie du révérend Adam Sedgwick et, durant l’été, l’assiste à la réalisation d’une carte géologique dans le pays de GallesC 4. Après avoir passé une quinzaine de jours avec des amis étudiants à Barmouth, Darwin retourne chez lui et découvre une lettre d’Henslow qui le recommande comme naturaliste approprié (même si sa formation n’est pas complète) pour un poste non payé auprès de Robert FitzRoy, capitaine de l’HMS Beagle, lequel part quatre semaines plus tard pour faire la cartographie de la côte de l’Amérique du Sud. Son père s’oppose d’abord à ce voyage de deux ans qu’il considère comme une perte de temps, mais il est finalement convaincu par son beau-frère, Josiah Wedgwood II, et finit par donner son accord à la participation de son filsA 7.

Voyage du Beagle[modifier | modifier le code]

Sur les cinq années de l’expédition du Beagle (1831-1836), Darwin passe les deux tiers du temps à terre. Il fait un grand nombre d’observations géologiques, récolte des organismes vivants ou fossiles, et conserve avec méthode une riche collection de spécimens, bon nombre d’entre eux étant nouveaux pour la science12. À plusieurs reprises durant le voyage, il envoie des spécimens à Cambridge, accompagnés de lettres sur ses découvertes. Cela va contribuer à établir sa réputation de naturaliste. Ses longues notes détaillées montrent sa capacité à théoriser et forment la base de ses travaux ultérieurs. Le journal qu’il tient alors, à l’origine destiné à sa famille, est publié sous le titre The Voyage of the Beagle (Le Voyage du Beagle). Il y récapitule ses observations, et fournit des informations sociales, politiques et anthropologiques sur un grand nombre de personnes qu’il rencontre, coloniaux comme indigènesA 8.

Avant le départ, Robert FitzRoyN 1,C 5 avait donné à Darwin le premier volume des Principles of Geology de Sir Charles Lyell qui explique les reliefs terrestres par l’accumulation de processus graduels sur de très longues périodes de temps. À leur première escale à l’île de Santiago au Cap-Vert, Darwin observe une bande blanche en altitude dans des falaises volcaniques, bande composée de fragments de coraux et de coquillages cuits. Cette observation, conforme au principe de Lyell sur la lente montée ou descente des reliefs, ouvre à Darwin une nouvelle perspective sur l’histoire géologique de l’île, et lui donne l’idée d’écrire un livre sur la géologieC 6. Cette découverte sera suivie par d’autres encore plus décisives12. Il observe que les plaines de Patagonie sont constituées de galets et de coquillages, comme des plages surélevées ; par ailleurs, après un tremblement de terre au Chili, il remarque des bancs de moules au-dessus du niveau des pleines mers, ce qui indique que le niveau de la terre a été récemment surélevé. En altitude, dans les Andes, il observe que des arbres fossiles se sont développés sur une plage de sable, à proximité de coquillages marins. Enfin, il émet la théorie selon laquelle les atolls coralliens se forment sur des cônes volcaniques en cours de submersion, ce qu’il confirme après que le Beagle est passé dans les îles CocosA 9,L 5,O 1.

Alors que le Beagle explore les côtes sud-américaines (ici la Terre de Feu), Darwin commence à théoriser sur les merveilles de la nature autour de lui. Peinture de Conrad Martens réalisée pendant le voyage.

En Amérique du Sud, Darwin découvre des fossiles de mammifères géants éteints inclus dans des couches de coquillages marins récents, ce qui indique une extinction récente sans pour autant révéler de traces de catastrophe ou de changement climatique. Bien qu’il identifie correctement l’un de ces fossiles à un Megatherium et qu’il reconnaisse des fragments de carapace de tatou local, il estime que ces restes sont reliés à des espèces africaines ou européennes ; c’est seulement après son retour que Sir Richard Owen démontre que ces restes sont en réalité proches de créatures ne vivant qu’en AmériqueC 7,13,A 10.

Le deuxième volume de l’ouvrage de Charles Lyell argumente contre le transformisme de Lamarck et explique la distribution des espèces par des « centres de création » (la création divine ne se serait pas déroulée en une fois, mais en plusieurs fois, après des catastrophes ayant fait disparaître les espèces précédentes)A 11. Darwin le reçoit et le lit avec attention, il en déduit des idées qui dépassent ce qu’avait imaginé LyellA 12. En Argentine, il observe que les deux types de nandous occupent des territoires séparés mais se chevauchant en partie. Sur les îles Galápagos, il collecte des miminis et note qu’ils diffèrent en fonction de l’île de provenance. Il avait également entendu dire que les Espagnols vivant dans ces régions sont capables de dire d’où viennent les tortues à leur simple aspect, mais les Espagnols ont conclu qu’ils les ont eux-mêmes introduitesA 13. En Australie, l’ornithorynque et le rat-kangourou lui semblent si étranges qu’ils semblent avoir été l’œuvre de deux créateurs différentsM 1.

Au Cap, Darwin et FitzRoy rencontrent Sir John Herschel, qui avait depuis peu écrit à Lyell au sujet du « mystère des mystères », l’origine des espèces. Lorsqu’il organise ses notes pendant son voyage de retour, Darwin écrit que si ses soupçons au sujet des miminis et des tortues sont justes, « de tels faits sapent la stabilité des espèces », puis, il ajoute prudemment le conditionnel « pourraient »14,15. Il écrit plus tard que « de tels faits m’ont semblé jeter un peu de lumière sur l’origine des espèces »N 2.

Trois indigènes de la Terre de Feu qui avaient été accueillis par le Beagle lors de son précédent voyage sont à bord : ils y reviennent comme missionnaires. Durant leur séjour de deux ans en Angleterre, ils sont devenus des « civilisés », aussi leurs proches apparaissent-ils à Darwin comme des « sauvages malheureux et avilis »16. Un an plus tardN 3, les missionnaires qui ont été laissés sur place ont abandonné leur mission et seul Jemmy Button vient à leur rencontre ; il est en effet retourné à la vie sauvage et il leur annonce qu’il n’a « aucun désir de retourner en Angleterre » et qu’il est « content et comblé » de son sortM 2. À cause de cette expérience, Darwin vient à penser que l’homme n’est pas tant éloigné des animaux, et que la différence est surtout due à des différences d’avancées culturelles entre civilisations plutôt qu’à des différences raciales. Il déteste l’esclavage qu’il a vu ailleurs en Amérique du Sud, et est désolé des effets du peuplement européen sur les aborigènes d’Australie comme sur les Māori de Nouvelle-ZélandeC 8. FitzRoy est chargé d’écrire le récit officiel du voyage du Beagle ; peu avant la fin du périple, il lit le journal de Darwin et lui demande de le retravailler afin d’en faire le troisième volume, celui consacré à l’histoire naturelleC 9.