Changements climatiques : il y a 30 ans, James Hansen de la NASA tirait la sonnette d’alarme
Changements climatiques : il y a 30 ans, James Hansen de la NASA tirait la sonnette d’alarme
Publié le vendredi 22 juin 2018 à 12 h 03
Mis à jour à 5 h 11
Une photographie d’archive datant de 1989 illustre James Hansen parlant devant deux micros.James Hansen s’adresse à un sous-comité du Sénat américain sur le transport en 1989. Photo : Associated Press/Dennis Cook
Le 23 juin 1988, lors d’un célèbre exposé devant le Sénat américain, James Hansen avertit les élus que le réchauffement de la planète est une réalité. Le climatologue de la NASA crée une onde de choc. Mais 30 ans plus tard, qu’en est-il? Les experts tirent toujours la même sonnette d’alarme… et les politiciens hésitent toujours à prendre des mesures à la hauteur du défi.
Un texte d’Étienne Leblanc, journaliste spécialisé en environnement
James Hansen aurait voulu s’être trompé. Mais les données de l’Institut Goddard en sciences spatiales de la NASA qu’il dirigeait à l’époque laissent peu de place au doute : « L’effet de serre est détecté et il modifie déjà notre climat », dit-il sans détour aux sénateurs américains le 23 juin 1988.
L’histoire veut que ce soit l’ex-secrétaire d’État américain John Kerry, alors sénateur, qui avait invité James Hansen à venir présenter ses résultats de recherche aux membres du Comité sénatorial sur l’énergie et les ressources naturelles. Le même John Kerry qui a joué un rôle crucial dans la signature de l’Accord de Paris sur le climat en 2015.
Dans un exposé qui n’aura duré que vingt minutes, il dit aux élus ce que la plupart des scientifiques se gardaient d’affirmer avec autant de certitude jusque là : la planète se réchauffe, et les actions de l’homme en sont responsables.
Les sénateurs sont curieux d’entendre James Hansen. En ce début d’été 1988, ce qui deviendra une des pires sécheresses du 20e siècle aux États-Unis commence à se faire sentir. Un désastre qui durera plus d’un an, mettant en péril l’agriculture américaine.
La rumeur dit même que John Kerry s’était arrangé pour que l’air conditionné de la salle soit éteint afin que les élus aient chaud. La météo s’est chargée d’aider M. Hansen, car à 2 heures du matin le 23 juin, la température avait déjà atteint 37 °C.
Le témoignage de Hansen fait son effet. Les principaux journaux américains, dont le New York Times et le Washington Post, en font leur une.
Première page du New York Times du 24 juin 1988 L’exposé de James Hansen avait fait la une de plusieurs journaux. Photo : Archives du New York Times
Quelques mois plus tard, les Nations unies et l’Organisation météorologique mondiale (OMM) donnaient naissance au GIEC, le Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat. Une organisation qui est rapidement devenue la référence en matière de science du climat.
Des prévisions audacieuses, mais justes
James Hansen, debout derrière un lutrin, semble désigner quelque chose derrière lui alors qu’il s’adresse à plusieurs personnes assises devant lui dans une pièce du Capitole de Washington. James Hansen donnant une conférence au Capitole de Washington en 2008. Photo : Associated Press/Susan Walsh
Trois décennies plus tard, force est de constater que le réchauffement que prédisait James Hansen en 1988 s’est, pour l’essentiel, avéré.
Quelques mois après le témoignage de 1988, M. Hansen et son équipe publient une étude dans laquelle ils évoquent trois scénarios différents pour les émissions de gaz à effet de serre (GES) : élevées, moyennes et faibles. Les chercheurs se concentrent sur le cas intermédiaire.
Avec ces données, James Hansen et ses collègues prédisent que d’ici 2017, la température moyenne de la Terre sur cinq ans serait d’environ 1,03 °C supérieur à la moyenne calculée par la NASA entre 1950 et 1980.
Ils n’étaient pas loin de la réalité : la température moyenne mondiale calculée par la NASA pendant la période 2012-2017 était de 0,82 °C supérieure à la moyenne des 30 dernières années.
L’ancien vice-président du GIEC, le climatologue belge Jean-Pascal van Ypersele, salue l’audace de James Hansen, notamment sur son affirmation selon laquelle les activités humaines contribuent au réchauffement.
«Il a pris des risques! Tous les scientifiques, à cette époque-là, n’étaient pas prêts à dire les choses aussi clairement que lui. Il faut lui reconnaître ça et il faut reconnaître qu’il a eu raison.»
—Jean-Pascal van Ypersele
30 ans plus tard : un dialogue de sourds?
James Hansen dans son salon à New York. Trentre ans après avoir tiré la sonnette d’alarme sur les changements climatiques, James Hansen est devenu un activiste. Photo : Associated Press/Marshall Ritzel
Trois décennies après le témoignage historique de Hansen, peu de disciplines ont évolué aussi rapidement que la science du climat. Le phénomène des changements climatiques est aujourd’hui un des champs de la science les plus étudiés de la planète. Des dizaines d’articles scientifiques sur le sujet sont publiés toutes les semaines dans les grandes revues de la planète.
Mais malgré ce dynamisme réel, les décideurs politiques sont-ils davantage à l’écoute des experts du climat qu’il y a trente ans?
« Oui et non, répond Jean-Pascal van Ypersele. Il y a des exceptions, notamment à la Maison-Blanche, mais la plupart des décideurs politiques du monde entier ont maintenant bien compris que les changements climatiques constituaient un problème sérieux et qu’il fallait agir pour réduire les émissions à zéro le plus vite possible. »
Jean-Pascal van Ypersele devant une enseigne illuminée de Radio-Canada.Jean-Pascal van Ypersele, ancien vice-président du GIEC et professeur de climatologie à l’université catholique de Louvain Photo : Radio-Canada/Étienne Leblanc
Jean-Pascal van Ypersele affirme toutefois que le fossé entre la réalité climatique que décrivent les scientifiques et les actions prises par les gouvernements est toujours immense : « Quand on compare cet objectif d’en arriver à des émissions mondiales nulles, qui est nécessaire si on veut préserver le climat de la Terre, à ce qui est fait aujourd’hui […] on doit constater que même si on est un peu plus écoutés gentiment par les décideurs, l’action n’est pas du tout au niveau de l’ambition nécessaire », dit-il.
Il en donne pour preuve les engagements des 195 pays qui ont signé l’Accord de Paris sur le climat en 2015. Les cibles de réduction des émissions qui sont actuellement sur la table nous mènent vers un réchauffement de 2,9 à 3,4 °C d’ici 2100, selon une étude du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE).