Bertrand le Meignen
Soljenitsyne
sept vies en un siècle
biographie
acte sud 2011
p.324 à 326
extrait
1958
Ce qu’il est convenu d’appeler « l’affaire Pasternak» préfigura alors, par bien des aspects, ce que Soljenitsyne allait connaître quelques années plus tard.
Boris Pasternak se vit décerner le 24 octobre 1958 le prix Nobel de littérature (après avoir déjà été proposé pour ce prix en 1947 et en 1954) «pour ses contributions remarquables à la poésie contemporaine ainsi que dans le domaine de la grande narration russe». Il l’accepta aussitôt, mais immédiatement ses proches eurent peur, pressentant que «quelque chose d’illicite, de compromettant, d’absolument inutile s’était passé».
En effet, l’attribution du prix déclencha un énorme scandale dans les milieux officiels soviétiques (qui espéraient que le prix irait à Cholokhov) et fut suivie d’un torrent d’injures, de menaces, d’insultes et d’intrigues ignobles contre le lauréat. L’union des écrivains s’en prit à cette « trahison envers le peuple soviétique… payée au moyen du prix Nobel». Dans la presse, on le traita «d’ennemi du peuple», de «Judas» et de «cochon souillant son propre sol». On traita son roman d’ouvrage mesquin, insignifiant et vil… d’une ordure littéraire. On réclama son exclusion de l’Union des écrivains et son bannissement. On exerça sur lui de très fortes pressions pour qu’il ne donne pas suite à cette brillante récompense. Et Khrouchtchev lui-même ne se priva pas de lancer des attaques ordurières contre le lauréat et des menaces de déportation, s’il persistait à accepter le prix. Alors, Pasternak devint «méconnaissable, gris, décomposé. Il était devenu vieux. Il avait mal partout. Mais des lettres de soutien arrivaient aussi par paquets ainsi que des approbations du monde entier…
p.326
…. Alors enseignant à Riazan, notre écrivain – bien que jugeant sévèrement la langue et la prose du Docteur Jivago (dont il lut des extraits en samizdat) enviait Pasternak, comme il le confie dans ses mémoires, espérant qu’il allait profiter de sa célébrité pour accomplir tout ce dont lui-même rêvait: PRONONCER UN DISCOURS ÉCLATANT, publier toutes ses autres œuvres, tout ce qu’il devait retenir et qu’il n’avait pas oser publier jusque-là au risque de tout perdre, AVEC LA CERTITUDE QU’AINSI, PAR SON SACRIFICE,******* IL CHANGERA LE MONDE ENTIER*******
Fort de son expérience concentrationnaire, Soljenitsyne n’imaginait pas que Pasternak put voir ou accepter les choses autrement et, rapidement déçu, il frissonna «de honte pour lui comme si c’eut été pour moi», ne comprenant pas qu’il se laisse intimider par quelques invectives qu’il puisse flancher devant la menace d’un bannissement et se ravaler à implorer le gouvernement et à marmonner des contritions et des expressions convenues pour l’éviter….
«Si on m’appelle au combat- et, qui plus est, dans des circonstances aussi exceptionnelles, va et vers la Russie! lança Soljenitsyne. Il condamna sévèrement son ainé « ne lui trouvant aucune excuse» et comprit alors
ET DÉCIDA MÊME QU’IL LUI FALLAIT CE PRIX LE PLUS TÔT POSSIBLE, COMME POINT D’APPUI DANS LA BATAILLE QU’IL S’APPRÊTAIT À LIVRER POUR POUVOIR FRAPPER D’AUTANT PLUS FORT.
Pour sûr, j’agirai alors tout à l’inverse de Pasternak: J’accepterai hardiment, j’y partirai hardiment, je prononcerai le discours le plus hardi. Résultat, ils ne barreront le chemin du retour (que l’écrivain imaginait cependant au bout de peu d’années).
PAR CONTRE, JE PUBLIERAI TOUT! JE PROFÈRERAI TOUT| SE HISSER JUSQU’À LA TRIBUNE DU PRIX NOBEL ET DÉFLAGRER.
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