Publié le 11 février 2018 à 05h00 | Mis à jour à 05h00
Mon coloc a un prix Nobel
Seth Shelden est un jeune avocat et professeur… (Photo Martin Chamberland, La Presse)
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Seth Shelden est un jeune avocat et professeur de droit à l’Université de la ville de New York.
Photo Martin Chamberland, La Presse
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Rima Elkouri
La Presse
« Mon coloc a un prix Nobel. » Avouez que ça se glisse bien dans une conversation…
C’est le genre de choses que pourrait dire, sans vraiment exagérer, ma collègue Laura-Julie Perreault, qui a hébergé ces derniers jours son ami new-yorkais et ex-colocataire Seth Shelden, de passage à Montréal à l’invitation du Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal (CERIUM).
Seth Shelden est un jeune avocat et professeur de droit à l’Université de la ville de New York (CUNY). Laura-Julie l’a connu à l’époque où elle faisait ses études aux États-Unis. Un avocat atypique, homme de théâtre à ses heures, qui, par son parcours, incarne en quelque sorte les avantages collatéraux de l’ère Trump : l’émergence, dans l’adversité, d’une inspirante rébellion chez les progressistes américains.
Après l’élection de Donald Trump, Seth Shelden a décidé qu’il ne pouvait plus être simple spectateur d’une catastrophe annoncée et qu’il devait plus que jamais contribuer à changer les choses. Il aurait pu se complaire, avec un gros salaire, dans le confort d’un grand bureau d’avocats et ruminer ses idées progressistes dans des salons chics pendant quatre ans. Il a plutôt choisi de vivre simplement et de se porter volontaire pour donner un coup de main à la coalition antinucléaire ICAN, à l’origine de la Campagne internationale pour l’abolition des armes nucléaires.
La coalition, établie à Genève, avait besoin d’un avocat pour faciliter les négociations d’un traité anti-armes nucléaires à l’ONU. « Pourquoi pas moi ? », s’est dit Seth Shelden.
Il a envoyé un simple courriel pour proposer bénévolement ses services à un comité d’avocats affilié à ICAN à New York. « Que puis-je faire pour vous aider ? »
Il ne se doutait pas que ce courriel l’amènerait à négocier aux Nations unies, aux côtés d’une petite équipe de militants, le premier traité international interdisant l’arme nucléaire, adopté le 7 juillet 2017 par 122 pays. Il ne se doutait pas non plus que ce travail de l’ombre le mènerait à Oslo un vendredi matin de décembre, alors qu’ICAN y a reçu le Nobel 2017 de la paix.
La nouvelle, inespérée, l’a pris par surprise. « Je me suis réveillé un matin avec un déluge de notifications sur Facebook. J’ai pensé que quelque chose de terrible venait de se produire. Et là j’ai vu cet article – je crois que c’était dans le New York Times – que tout le monde relayait. Je n’arrivais pas y croire ! Je n’ai jamais pensé que c’était même une possibilité ! »
Ce prix Nobel vient souligner les efforts déployés par ICAN pour en arriver à ce traité antinucléaire historique. Et Seth Shelden insiste pour dire que ce n’est pas « son » prix Nobel à lui, mais bien celui de toute une coalition. « Je partage un petit morceau de ce prix avec d’autres. »
Seth Shelden était préoccupé par la question nucléaire bien avant l’arrivée de Trump au pouvoir.
« Quiconque a grandi en Amérique dans les années 80 a nécessairement pensé à cet enjeu. Après la guerre froide, on a pensé que c’était réglé. On a pensé que ce n’était plus un problème. Mais c’en était encore un », dit-il.
Lorsque Trump a été élu, Seth Shelden était au Japon, où il enseignait dans le cadre du Fulbright Specialist Program. « J’ai visité Hiroshima et Nagasaki à ce moment-là. C’était très chargé d’émotion pour moi. Cela a ramené à mon esprit ces enjeux auxquels j’avais déjà réfléchi. Je savais à l’époque que, fort probablement, avec Donald Trump, le danger d’une situation déjà dangereuse allait augmenter. »
Il est rentré aux États-Unis le jour de la prestation de serment de Donald Trump. Il a participé à la Million Women March. Et il a senti l’urgence d’agir. « Je me disais que c’était maintenant ou jamais. »
Le jeune avocat, issu d’une famille de musiciens de Brooklyn, n’avait pas l’habitude de hurler ou de militer. Mais l’adversité l’a poussé à le faire. Lorsque le décret migratoire visant les musulmans a été adopté, Seth Shelden faisait partie de ces avocats qui se sont rendus spontanément à l’aéroport John-F.-Kennedy pour tenter de venir en aide aux voyageurs frappés par l’interdiction d’entrer au pays. Une façon de contribuer à ce mouvement de résistance prêt à dire haut et fort : « Nous n’accepterons pas qu’une telle chose soit considérée comme normale. »
Lorsque la chaîne américaine Fox a continué, 24 heures après un démenti de la police, de relayer la fausse nouvelle voulant qu’un jeune musulman de Québec soit un des suspects de l’attentat du 29 janvier, Seth Shelden ne pouvait pas non plus accepter qu’une telle chose soit considérée comme normale. Il a spontanément offert de représenter pro bono le jeune homme dans une cause de diffamation devant les tribunaux américains – ce qui ne s’est pas concrétisé finalement, le principal intéressé n’ayant pas voulu suivre cette voie.
Cette première année de l’ère Trump qui l’a mené jusqu’à un prix Nobel a plus que jamais convaincu Seth Shelden qu’il n’y a absolument rien d’irréaliste ou de naïf à l’idée de penser à un monde où les armes nucléaires seraient abolies. « Ce qui est irréaliste, c’est de penser que personne ne va, accidentellement ou volontairement, utiliser une de ces armes et détruire l’humanité. »
« Making America Nuclear Again », titrait la semaine dernière le magazine Time, en faisant référence au dangereux jeu de « poker nucléaire » de l’administration Trump. La nouvelle stratégie nucléaire annoncée par Washington, qui prévoit le développement d’armes nucléaires nouvelles de portée limitée, est aussi trompeuse que dangereuse, croit Seth Shelden. Et elle rend l’abolition encore plus urgente.
« Aujourd’hui, plus que jamais, nous nous trouvons au seuil d’une catastrophe nucléaire, car des dirigeants sont prêts à appuyer sur le bouton. »
– Déclaration de Beatrice Fihn, directrice générale d’ICAN, devant le Parlement européen, mercredi
« Je comprends que l’on puisse penser que c’est difficile de faire une différence, observe Seth Shelden. Mais si cette année m’a appris une chose, c’est que c’est vraiment possible. »
Il pense à ces mots célèbres de Margaret Mead : « Ne doutez jamais qu’un petit groupe de personnes peuvent changer le monde. En fait, c’est toujours ainsi que le monde a changé. »
Il n’en doute plus, déterminé à poursuivre le combat.
«Après l’élection de Trump, Seth Shelden a décidé qu’il ne pouvait plus être simple spectateur d’une catastrophe annoncée et qu’il devait plus que jamais contribuer à changer les choses.»
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