LE BURLESQUE QUÉBÉCOIS A PRODUIT UN AUTHENTIQUE GÉNIE COMIQUE…. LA POUNE… dixit Jean-Claude Germain

Le burlesque québécois et américain
textes inédits
Chantal Hébert
centre de recherche en littérature québécoise
préface
Jean-Claude Germain

Dans le sketch de Bye Bye 70 qui l’a hissé à tout jamais au rang d’un mythe, Olivier Guimond campe un soldat de l’armée canadienne. Nous sommes pendant la crise d’octobre et le troufion Tizoune fait les cent pas devant la maison d’un riche anglophone de Wesmount qui pourrait aussi bien être un francophone d’Outremont. A l’instar de l’agent secret canadien-français IXE-13 qui, en fin de carrière, écopait de la mission honteuse de pourchasser les premiers séparatistes, le rejeton de Ti-coq et de Joseph Latour d’Un simple soldat a hérité, en fin de lignée, d’une tâche tout aussi ingrate, celle de protéger les nantis.

C’est la veille de Noël et le maître de la maison quitte un instant ses invités pour offrir un remontant au soldat qui monte la garde devant sa porte. Flatté par l’attention qu’on lui manifeste, Tizoune rinque volontiers avec son hôte et, de fil en aiguille, il lui confie que, d’où ils se tiennent, on peut apercevoir le quartier populaire Saint-Henri, dont on distingue les lumières au loin, en bas de la côte. Un dernier verre, une dernière claque dans le dos, puis le bourgeois retourne à son réveillon, laissant derrière lui un soldat éméché aux prises avec un escalier qui n’arrête plus de se dérober sous ses pieds – un numéro qu’OLIVIER GUIMOND A MIS UNE VIE À PARFAIRE.

En un raccourci saisissant, du moins si on adopte le point de vue du haut de la côte, c’est toute la relation du burlesque et de la bonne société qui se trouve résumée dans ce sketch. Pour l’élite québécoise, comme pour Radio-Canada qui en a été jusqu’à tout récemment l’expression fidèle, on peut certes frayer avec le comique populaire sur le bord de la porte, sur le perron, sur le trottoir, dans la rue, mais il n’est pas question de l’inviter à l’intérieur d’une maison où il va de soi que les fêtes se déroulent derrière les portes closes, entre gens de même éducation. Le burlesque n’a-t-il pas été de tout temps UNE SOUS-CULTURE DES NON-INSTRUITS ET LES VALETS DE COMÉDIE, DES CARICATURES DE LEURS MAÎTRES? De même, la culture instruite ne s’attend-elle pas à voir la culture populaire perdre pied et s’aplatir devant elle comme le p’tit gars de Saint-Henri devant la porte que Wesmount lui ferme au nez?

D’en bas, la perspective est différente, et si on rêve d’aller à la fête d’en haut, c’est pour y semer la zizanie. La fonction première du comique populaire, comme le démontre Chantal Hébert dans son livre EST DE CONTESTER L’ORDRE ÉTABLI AU NOM DE L’ANARCHIE. Le rire burlesque n’a qu’un but: avoir le dessus, même temporairement, sur l’autorité paternelle, politique, judiciaire, policière ou morale. Et pour y parvenir, tous les moyens sont bons. Le comique populaire n’est pas mal élevé par manque d’éducation, mais bien par esprit de provocation. Son innocence est toujours feinte, mais jamais son impertinence, son impudence et son impénitence.

Dans l’esprit du burlesque, l’épouse trompée, par exemple, n’est l’objet d’aucune compassion. Dans un sketch truculent que Chantal Hébert a retrouvé pour notre plus grand plaisir, LA POUNE interprète une «guidoune» qui revient sur les lieux du crime. Négligeant la présence de la légitime avec un SANS-GÊNE MAGNIFIQUE, elle récupère les «caneçons» qu’elle a égarés quelques heures auparavant derrière le sofa lors d’un échange qu’on ne peut plus explicite avec le mari. C’est la loi du genre que de laisser la bienséance, les bonnes mœurs et le bon goût au vestiaire. Pour être admis au cénacle, les adeptes DU RIRE GRAS se doivent de déboutonner mentalement leurs braguettes ou de dégrafer leurs soutiens-gorge.

Du vivant d’Olivier Guimond, un grand nombre de comédiens et de comédiennes de théâtre admiraient sincèrement son talent comique. En même temps, la plupart d’entre eux rêvaient de le voir jouer un «vrai» rôle dans une «vraie» pièce, préférablement un classique, ce qui, dans leur esprit, aurait eu pour effet non seulement de confirmer ledit talent mais également de l’ennoblir. Or le burlesque n’est pas un art noble: c’est un art populaire qui ne recule pas devant la grossièreté et la vulgarité pour faire rire. D’ailleurs, quand il s’assagit, IL MEURT. Ou il devient autre chose, la plupart du temps du théâtre, comme les nazzis des acteurs de la commedia dell’arte sont devenus des pièces de Molière. Il n’y a qu’une façon d’accorder au comique populaire ses lettres de créance, c ‘est de l’accepter tel qu’il est.

C’est précisément le propos de Chantal Hébert: étudier le burlesque dans son contexte, sans le trahir ni le magnifier. L’auteure a écrit un livre savant d’où le burlesque québécois sort grandi parce qu’il n’est pas comme on le croyait une pâle copie du burlesque américain, mais bien UNE CRÉATION AUTOCHTON, dont l’originalité indéniable tient à une particularité: son public, contrairement à celui des États-Unis qui est masculin, est composé, encore aujourd’hui (1989) majoritairement de femmes.

LA CONTRIBUTION DU BURLESQUE À L’ÉVOLUTION CULTURELLE DU QUÉBEC n’est donc ni mineure ni inexistante, comme on le supposait, mais bien majeure, et ce n’est pas le moindre mérite de l’ouvrage de Chantal Hébert que de nous l’avoir révélé. Elle est majeure parce que le COMIQUE POPULAIRE proposait, dès 1930, une bonne partie DES CHANGEMENTS DE MOEURS qui devaient attendre les années soixante pour s’imposer. Elle est majeure aussi parce qu’en plus d’interprètes de grand talent tels que Tizoune père, Olivier Guimond fils, Juliette Pétrie, Manda et Gilles Latulippe, le burlesque a produit UN AUTHENTIQUE GENIE COMIQUE: LA POUNE. Elle est majeure encore parce qu’à cette époque où le théâtre était toujours au ruralisme du Prespytère en fleurs de Léopold Houlé, le burlesque s’avérait résolument QUÉBÉCOIS, MODERNE ET URBAIN.

LE PÈRE LEGAULT ET LA POUNE SONT QUÉBÉCOIS TOUT COMME ESCHYLE ET ARISTOPHANE ÉTAIENT GRECS, mais, dans un cas comme dans l’autre, ils ne mangent pas à la même table. Eschyle , à la rigueur, aurait pu s’encanailler à la table d’Aristophane en oubliant, le temps d’un repas, qu’il était Eschyle. De la même manière, l’élite québécoise se permettait à l’occasion d’assister à un spectacle de La Poune en prenant toutefois la précaution d’oublier, le temps d’une soirée, qu’elle était bien-pensante. Aristophane, en revanche, ne pouvait jamais oublier qu’il était Aristophane. Le burlesque est depuis toujours UN BRAS D’HONNEUR AU POUVOIR ÉTABLI, CELUI DE L’ETAT COMME CELUI DE L’EGLISE ET CELUI DU THEATRE. La richesse du rire du burlesque, c’est tout ce que les tenants du pouvoir politique reproches encore aujourd’hui AUX PAUVRES; la paresse, la ruse, la liberté sexuelle, le désordre et l’anarchie. Et cette richesse-là, il semble bien que le burlesque québécois en ait fait bon usage!

Jean-Claude Germain
dramaturge

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Pierrot vagabond

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MICHEL LE CONCIERGE