LE DROIT DES FEMMES AFGHANES

C’est le dernier conseil que le père de Farzana lui a donné le jour où elle a quitté l’Afghanistan.

Lorsque les talibans sont revenus au pouvoir en 2021, le père de Farzana a refusé de fermer l’école pour femmes qu’il dirigeait. Depuis, lui et sa femme, qui ont toujours cru en l’éducation des femmes, ont été kidnappés. Et Farzana, 23 ans, redouble d’efforts pour que le rêve de son père ne le soit pas aussi. Elle qui venait de terminer un baccalauréat en commerce en Inde au moment de la chute de Kaboul a créé une coopérative visant à rendre indépendantes financièrement les femmes de son village. Son objectif est de faire une maîtrise au Canada pour continuer à défendre les droits des femmes dans son pays.

Farzana est l’une de sept brillantes femmes afghanes que l’avocate Gabrielle Thiboutot tente de parrainer avec l’organisme Pour les réfugiés afin de leur permettre de poursuivre leurs études au Canada.

Des étudiantes exceptionnelles d’horizons divers (droit, médecine, génie, politique, etc.) qui ont vu leurs ailes coupées lors de la chute de Kaboul, le 15 août 2021. Depuis, les filles afghanes de plus de 12 ans n’ont plus droit de mettre les pieds à l’école

Dans l’urgence, l’avocate a tenté de l’inscrire au programme humanitaire du gouvernement canadien pour l’accueil de journalistes ou de défenseurs des droits de la personne afghans. En vain. Le programme affichait déjà complet et Sooriya ne se qualifiait pas dans les autres programmes visant à accueillir les réfugiés les plus vulnérables.

Alors que Sooriya a finalement réussi à fuir l’Afghanistan par ses propres moyens et à obtenir un permis d’études pour compléter sa maîtrise à l’étranger, Gabrielle Thiboutot ne pouvait se résigner à l’abandonner. On parle ici d’une femme extraordinaire qui est en train de créer une bibliothèque virtuelle rassemblant toutes les œuvres réalisées par des femmes afghanes afin qu’elles ne puissent pas être effacées par les talibans.

Je me suis dit : voyons donc que nous, au Canada, après avoir passé autant de temps en Afghanistan, avoir mis de l’avant les droits de la femme et l’éducation des jeunes filles afghanes, on ne puisse rien faire devant les talibans qui ont banni les femmes des écoles !

 MGabrielle Thiboutot, avocate en immigration

En cognant à la porte de l’Université d’Ottawa, son alma mater, l’avocate a réussi à obtenir pour Sooriya une lettre d’acceptation à la maîtrise en politique internationale. Comme les droits de scolarité sont très élevés pour les étudiants étrangers, elle a ensuite tenté d’obtenir une bourse d’études. On lui a dit non. Car si on faisait une exception pour une femme afghane, comment justifier qu’on ne le fasse pas pour d’autres ?

« Je suis un peu têtue dans la vie, avoue Gabrielle Thiboutot. Alors je me suis dit : si pour une femme, on ne veut pas m’aider, je vais créer quelque chose de tellement gros que personne ne va pouvoir me dire non ! »

C’est ainsi que l’initiative Horizons de résilience a été lancée. Quinze bourses d’études ont été obtenues pour soutenir le droit à l’éducation de femmes afghanes. Le projet a déjà l’appui de deux universités (Université d’Ottawa et Université Wilfrid-Laurier) et des discussions sont en cours pour créer d’autres partenariats. Une campagne de financement a aussi été lancée.

La Dre Anne-Chloé Bissonnette, qui est médecin et avocate, fait partie de la petite équipe bénévole qui travaille fort à ce projet. Comme Gabrielle Thiboutot, cette médecin qui a décidé de faire aussi son droit pour pouvoir aider mieux encore les populations vulnérables mesure sa chance et se sent solidaire des femmes afghanes. « Il est impossible de ne pas réagir devant ces femmes d’ailleurs qui se voient complètement bloquées de toutes les opportunités que nous, on se fait servir sur un plateau d’argent ! »

L’initiative a aussi interpellé Sharen Craig, une enseignante d’Ottawa à la retraite qui cherchait une façon de venir en aide à Niloofar, une ingénieure afghane rêvant de devenir ministre du Développement afghane, qui a dû fuir la persécution des talibans. En lisant son histoire dans le journal, Sharen a senti le besoin d’apporter sa contribution même si elle ne savait pas exactement comment s’y prendre.

« Je suis une femme ordinaire qui ne connaît rien au militantisme ! Mais il n’est pas nécessaire d’être un expert pour offrir son aide. Les gens peuvent faire beaucoup plus qu’ils le pensent ! »

Au hasard de ses recherches en ligne, Sharen Craig est tombée sur Gabrielle Thiboutot. Elles se sont rencontrées dans un café. Elles ont décidé d’unir leurs forces. Et c’est ainsi que Niloofar a trouvé sa place dans la cohorte des femmes afghanes exceptionnelles qui, espère-t-on, pourront poursuivre leurs études au pays dès l’automne 2024.

« Elles ont toutes très hâte d’être ici. Faire partie de ce projet leur donne de l’espoir », me dit Sharen Craig.

Sur le front politique, l’organisme Pour les réfugiés travaille fort pour pérenniser l’initiative afin que des centaines de femmes afghanes puissent en bénéficier dans les prochaines années.

En avril, l’organisme a déposé une politique d’intérêt public au bureau du ministre fédéral de l’Immigration, Marc Miller, pour demander que les femmes pour qui ce projet a été lancé aient droit à un traitement prioritaire et que l’on assouplisse les conditions d’obtention de leur permis d’études, comme le recommandait le Comité spécial sur l’Afghanistan en juin 2022.

Pour l’heure, même si toutes les candidates ont une bourse d’études complète et peuvent compter sur un organisme qui les prendra en charge à leur arrivée, Immigration Canada ne s’est toujours pas engagé à leur garantir un permis d’études à temps pour la rentrée universitaire de l’automne ni à dire combien de temps elles devront laisser leurs rêves en suspens. Toutes les demandes sont examinées « au cas par cas », s’est-on borné à me répondre.

Espérons que, inspiré par Farzana, Sooriya et toutes les Afghanes qui se battent pour le droit à l’éducation des femmes, le gouvernement canadien n’oublie jamais, lui non plus, les femmes exceptionnelles de ce pays et se montre à la hauteur de leur courage.