LA RIVIÈRE ST-MAURICE ET LE ROCHER DE LA TUQUE FACE À FACE

Le Saint-Maurice, venant de Montachingue, roule
ses flots noirs avec une grande majesté ; il est profond,
c’est le roi du Nord qui s’avance. Mais tout à coup
une montagne, la Tuque, se rencontre juste sur son
passage ; voilà deux majestés en présence; il y a combat,
mais il faut bien que le fleuve cède. Il se détourne
à regret, et trouve à côté de la montagne un
passage de quelques pieds seulement. Quoi ! un si
.petit espace pour le roi du Nord ! Deux rochers s’élèvent
de chaque côtl, impassibles dans leur masse, et le
fleuve est obligé de se contenter de l’espace qu’on lui
laisse. Il s’enfle, il gronde, puis il se précipite-avec
fracas et forme la première cascade. Ses flots ne sont
pas encore apaisés, qu’une arête de rocher se trouve
encore sur son passage : il frappe, il bondit, il s’irrite,
mais le rocher tient bon, et le fleu\e est obligé de
sauter lourdement pardessus l’obstacle. Il écume de
rage, et pendant l’espace d’un arpent, il lance son onde
vers le ciel en jets multipliés, comme pour menacer
•encore le rocher si dur qu’il vient de rencontrer.
Cependant il lui faut faire un troisième et dernier saut ;
alors on ne lui voit plus cette majesté qu’il déployait
à la première et à la deuxième cascade : tout couvert
d’écume, il s’élance irrégulièrement tantôt d’un côté,
tantôt de l’autre ; c’est la colère! impuissante et lassée
de ses propres excès.
Mais ici les rochers s’éloignent subitement, le
fleuve comprimé voudrait prendre tout l’espace qu’il a
maintenant devant lui, il s’élargit outre mesure, court
encore quelque temps sans but et sans raison, puis il
s’apaise peu à peu, et à là fin il s’endort comme d’épuisement.
Pendant son sommeil, il laisse tomber les
terres au’il tenait.en.susqensioru, et forme dei s îles qui
se couvrent ensuite de verdure. L’île aux Goélands
est un rêve du St-Maurice endormi.