SOYEZ HEUREUX DE NE PAS AVOIR VÉCU À L’AN 536

Soyez heureux de ne pas avoir vécu en l’an 536

Publié le vendredi 23 novembre 2018 à 13 h 28
Mis à jour à 5 h 06

On voit le détail du tableau.Cette toile de l’artiste américain Thomas Cole de 1836, « Le cours de l’empire : destruction », représente une cité antique ravagée par la guerre et les catastrophes. Photo : New York Historical Society

Existe-t-il une « pire année de l’histoire humaine »? Certains scientifiques et historiens croient que l’an 536 pourrait remporter cette palme. Non seulement en ont-ils trouvé les preuves dans des textes historiques, mais ils ont même réussi à identifier un responsable… au cœur d’un glacier suisse!

Un texte de Renaud Manuguerra-Gagné

Nous avons tous vécu au moins une mauvaise année dans notre vie au cours de laquelle rien ne s’est déroulé comme nous l’aurions espéré, alors que tout semblait se retourner contre nous. Certains se réconfortent en se comparant, pensant qu’il y aura toujours quelqu’un qui traversera quelque chose de pire.

Toutefois, pour les humains ayant vécu en l’an 536, cette comparaison ne s’applique pas. Selon des chercheurs, ces derniers ont eu la malchance de vivre la pire année de l’histoire humaine.

Cette année-là, des bouleversements climatiques rapides, liés à d’importantes éruptions volcaniques, ont engendré des famines, précipité des bouleversements sociaux et contribué à l’éclosion d’épidémies à l’échelle planétaire.

Malgré ces répercussions, personne ne pouvait clairement indiquer la provenance de ces éruptions. Or, les travaux d’une équipe de scientifiques européens et américains ont finalement trouvé un coupable.

Leurs indices, cachés au cœur d’un glacier dans les Alpes suisses, expliquent en même temps pourquoi la population européenne a été particulièrement frappée par cette période.

Une année où il ne faisait pas bon vivre

En combinant des informations provenant de textes anciens avec des études sur la croissance d’arbres à travers les derniers millénaires, les chercheurs avaient remarqué un refroidissement climatique assez important au cours du 6e siècle.

Selon certains écrits, tout aurait débuté avec l’arrivée d’un nuage mystérieux qui aurait traversé l’Europe, le Moyen-Orient et certaines régions de l’Asie en 536, plongeant cette partie du globe dans une pénombre qui aurait duré 18 mois. Cet été-là, les températures moyennes auraient diminué de 1,5 à 2,5 degrés Celsius, et des récoltes auraient été perdues dans tout l’hémisphère Nord, entraînant des famines de l’Irlande à la Chine.

L’étrange brouillard s’était à peine levé que l’Europe dut faire face à sa première pandémie de peste. La vague, nommée peste de Justinien, aurait tué entre le tiers et la moitié de la population vivant autour du bassin méditerranéen. Au même moment, le continent devait composer avec une importante crise économique.

Même si plusieurs autres régions ont été frappées de tragédies importantes à travers l’histoire, la proportion de la population humaine malmenée en l’an 536 en a fait une année où il ne faisait définitivement pas bon vivre.

La glace comme livre d’histoire

Tous ces malheurs semblaient commencer avec l’arrivée de ce mystérieux brouillard et, bien que plusieurs historiens aient soupçonné l’influence d’une éruption volcanique, personne ne savait quelle montagne en était responsable.

Cette réponse est venue de la part de chercheurs utilisant des carottes glaciaires pour mieux comprendre la situation économique de l’Europe au cours de cette période.

Les glaciers sont de véritables livres d’histoire, enregistrant année après année les composantes atmosphériques qui s’y déposent. Ces carottes permettent donc de retracer non seulement les émissions des activités humaines, mais aussi les éruptions volcaniques, les tempêtes de sable et toute autre manifestation environnementale de grande ampleur.

En 2013, une carotte de 72 mètres a été extraite du glacier Colle Gnifetti, en Suisse, permettant de récupérer une multitude d’informations sur une période de 2000 ans, au mois près.

Au printemps de l’an 536, des particules uniques firent leur apparition dans la glace, soit du verre volcanique, accompagné de soufre et de bismuth. Ces éléments indiquent l’avènement d’une importante éruption volcanique.

Des analyses subséquentes ont permis aux chercheurs de relier ces particules à des roches volcaniques islandaises. Cette éruption n’était toutefois pas la seule, et deux autres couches de ces particules ont été retrouvées dans les segments de glace représentant les années 540 et 547.

Cette triple éruption volcanique aurait projeté une grande quantité de cendres dans l’atmosphère, bloquant la lumière du soleil, changeant le climat et touchant les populations humaines à travers le monde.

De plus, les particules permettant de mesurer l’activité humaine qui sont piégées dans la glace indiquent que l’Europe ne se remettra pas du ralentissement économique avant l’an 640, moment où la quantité de plomb retrouvée dans la carotte indique une reprise de l’industrie.

Les chercheurs auront besoin de plus d’indices pour déterminer avec précision quel volcan islandais a été responsable d’une aussi grande éruption. Entre-temps, cette étude montre que l’analyse glaciaire couplée aux études de textes anciens permet de comprendre des événements historiques comme jamais auparavant
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