FÉLIX LECLERS, LE ROI HEUREUX… CHAP.2… UNE VILLE AVANT LA NUIT…. BASE DE DONNÉES POUR DOCTORAT

Chapitre 11 : UNE VILLE À FAIRE AVANT LA NUIT
Il est le fils de Nérée Leclerc, illettré, cuisinier dans les chantiers du «Seigneur Joly», ce hobereau de Lobinière dont le gouvernement de 1985 entretient encore la propriété comme un bijou national : le seigneur Joly faisait bien les choses en exploitant bien ses gens ; la maison est superbe et le parc offre une vue imprenable sur le Saint-Laurent. Malheureusement, Nérée Leclerc ne profitait pas tellement du paysage, à touiller les «beans» et le lard pour les bûcherons. Parfois, le patron venait visiter les chantiers, pas trop souvent, pour ne pas déranger, une à deux fois par an. Une vraie fête : Il débarquait de Québec ou d’Europe avec ses filles, devant le regard admiratif des durs à cuire. Il aimait écouter Nérée, le soir à la veillée : LE BOUGRE AVAIT DES TALENTS DE CONTEUR. Léo ne lui ressemblait pas tellement.
Pas un conteur, lui. Un homme « de fouet et de cordes», un homme de courses et de cheval, un homme de broue (Il pète de la broue, il fait de l’épate). «Peux-tu imaginer Harry Baur? Me demanda Félix. C’était mon père. » Un géant aux mains énormes, jovial et doux, parleur, charmeur, fonceur, aventurier. Mais foncièrement bon. Il rêvait d’aller plus loin, construire enfin la maison de sa vie, pour toujours. IL AIMAIT SE BATTRE POUR S’EN SORTIR.
(P.34) «Il était déjà allé dans l’ouest et déjà revenu quand quand ma mère le vit pour la première fois. Elle était sagement chez elle sur la galerie. Il poussait sur sa sleigh, orgueilleux comme un conquérant. Un peu plus fier au deuxième passage. Elle, plus émue. Lui, le costaud aux yeux bleus, plein d’idées folles, de fortunes lointaines. Et elle, la douce au chignon brun, aux yeux noirs. Un grand amour. Tu noteras cela : Ils s’aimaient.»

Elle ne manquait pas de prétendants, pourtant! Comme ce Napoléon Francoeur, un intellectuel empesé comme un livre, un savant! Mais pour une femme tendre et romantique et bien élevée et pieuse, une «harpe au vent», il fallait un fou qui sache l’entraîner dans son tourment, UN GARS DONT ELLE PUISSE ADMIRER LA DÉMESURE. Et qu’elle puisse domestiquer. De toute façon, la harpe commande au vent, tout le monde sait ça.
Si beau ce qu’il vit là-bas
Qu’il eut grand peur
Je vais tout vous dire cela
C’était vers 5 heures.
Ce qu’il vit… Mais j’y pense
Ne me dit pas isi mais ailleurs
Dans un puits, dans un lit de dormeurs
Une nuit à l’oreille d’un ange…
Et cet ange tremblera.
Oh si beau ce qu’il vit là-bas
C’était vers 5 heures…
(p.35)… Elle s’appelait Fabiola. Son père à elle était un français, Eugène Parrot, un horloger huguenot de la région de Besançon qui avait monté à Sainte-Emmélie de Lobinière un magasin général. La mère, Nathalie Langlois : une aïeule de rêve, ancienne institutrice, coquette, parfumée… On fit le mariage de la musique.. et de l’ouragan.
Léo travaille un peu à Sainte-Emmélie, rôdant, humant l’air, cherchant l’idée. Voici l’idée : Il enlève sa cavalière d’un bras et, aux Etats-Unis, à Belliford-Maine, il ouvre une boulangerie. Il va faire fortune.
Il n’est pas le seul à y croire : Certains auteurs comptent sept cent mille départs vers les Etats-Unis vers les «Etats» entre 1850 et la crise de 1929! Raoul Blanchard, étudiant sept localités des environs de Trois-Rivières, signale qu’entre 1880 et 1892, elles ont perdu mille deux cents personnes sur douze milels! On a tort de regarder le Canada d’est en ouest, son axe est nord-sud; contre les deux ou trois lignes de chemin de fer qui joignent l’Atlantique au Pacifique, IL Y A 84 PASSAGES DE LA FRONTIÈRE DES U.S.A.
A Belliford, un premier enfant, Marthe naît en 1904. Tout va bien. La valse tourne. Léo fait faillite. Il revient à son point de départ, le temps de se refaire. Rien à dire.
La colonisation de la Mauricie est sa trouvaille suivante. La troisième, si je compte bien.
La Tuque n’existe pas encore. Il apprend que les Brown, une famille du New-Hampshire, ont acheté la chute pour y installer une usine à condition qu’un raccordement relie La Tuque au chemin de fer du lac Saint-Jean sur trente sept milles. Tout sera à créer, là-bas. Il va y aller. In fondera une ville, lui. Cette fois, Fabiola reste en arrière provisoirement. Tu me reviendras plus tard, dès QUE JE SERAI LE MAÎTRE DU MONDE. Bon d’accord
(p.36)…
Pour La Tuque, un seul itinéraire possible : par Trois Riviières, au sud. «On voit, en plusieurs endroits de l’histoire du Canada sous la domination française, des corps expéditionnaires partir de Trois-Rivières et aller par le Saint-Maurice attaquer les Anglais au milieu des glaces de la Baie d’Hudson». La route des conquérants est aussi la seule. Pas de passage au nord. Les colons venant du lac St-Jean doivent faire le détour par Québec et Trois-Rivières.
De là, il faut quatre jours pour parcourir cent milles : canot, portage, canot, portage. A quelques heures de l’arrivée, l’Italien meurt. Restera-t-il toujours un émigrant? Non car Léo Leclerc le charge sur son dos et le porte le long des derniers rapides : il en fera un colon.
La Tuque est devant ses yeux. Léo pose son fardeau et son rêve sur le sol. Regard circulaire. «Il n’y avait guère là que quelques familles de cultivateurs en 1907, aux abords de l’ancien poste de traite, transformé en magasin pour les chantiers et qui conservait ses palissades, son mur de protection.»
Regard circulaire : » Sur la haute terrasse qui épaule la bosse du verrou, des foules d’hommes. Il y eut des milliers de travailleurs à la fois sur cet étroi plateau et, bien qu’on eût bâti en toute hâte des hôtelleries, un magasin général, deux mille à trois mille devaient vivre SOUS LA TENTE. Les bagarres, les rixes étaient quotidiennes et, SANS L’AUTORITÉ DU CURÉ CORBEIL, ON EÛT VU DES MASSACRES.
Ca grouille en effet. ¨Tous les Leo du Canada français sont là, qui ahannent leur espoir et retournent et défoncent leur trouvaille commune. VOUS ÊTES DANS UN WESTERN. L regard de Leo, c’est la camera de Sergo Leone pour «Il était une fois dans l’Ouest.» A cette différence près : le shérif, ici, porte la soutane.
(P.37) Eugène Corbeil joue le rôle. Un gros homme que les photos disent inoffensif. Rond de tête et rond de corps : Cent kilos. Je suis tenté d’ajouter : tous ronds. Et sans arme. Celui qu’on présentera plus tard comme le fondateur de la ville fait la loi avec des sermons. Il y met autant d’énergie qu’il aura de componction, ensuite pour distribuer les indulgences. Le curé québécois est un curieux type d’homme à empenage variable : chef de bande dans les bois puis comptable des péchés véniels au nom du Bon Dieu. Un bon dieu affreusement bondieusard qui règne par la trouille sur tout le monde sans exception. Le curé retrousse les manches de la soutane et en avant : «On m’a mis à coloniser l’Ontario, dit l’un d’eux, je ne sais pas pourquoi j’y suis; mais enfin j’y suis. Et quand je me mets dans la tête de coloniser un endroit, je m’y mets! (…) Nous ne voulons pas de paresseux. Nous ne voulons pas non plus de vieux garçons. Si des vieux garçons veulent absolument venir chez nous, nous les accepterons à condition qu’ils se marient avec une veuve ayant une dizaine d’enfants.
Et bien, ça marche! De toute façon, ceux qui bossent là sont tous obligatoirement de bons chrétiens. Les autres font semblant. Tous derrière le curé! On n’est pas aux Etats : la paix est signée avec les Iroquois depuis 1701 : On a eu le temps de ranger les pétoires! Et ce qui fait l’ordre, ici, C’EST QUE L’ÉGLISE CATHOLIQUE MARCHE EN AVANT DES PIONNIERS. LE MISSEL REND INUTILE LE COLT : c’est-à-dire un exclu de la société. Ca marche.
Léo est un bon chrétien, à peu près. Malin et travailleur. Il a monté un commerce. A la réflexion, le magasin général cité plus haut est peut-être le sien. Peu de temps après, Fabiola arrive avec Marthe. Léo n’est pas vice-roi mais il a quand même construit une belle maison sur la rue Tessier, au 168, LE LONG DE LA VOIE FERRÉE, à proximité de l’usine. Trois étages – ce qui, à la française, fait deux étages – chauffée par le sous-sol confortable. Il vous vend tout ce que vous voulez : cordes, bois, foin, grain, scies, haches; il vous loge si vous êtes un draveur et si on est en hiver; il vous promène si vous êtes de mariage ou de baptême; il vous vendra aussi de la bière – mais discrètement – si vous êtes assoiffé. Il n’a pas de licence mais comme il est brave homme, personne n’y trouve à redire. Et surtout, il achète et il vend des chevaux. Maquignon, à part d’ça, comme on dit ici.
(p.38) Un détail : l’enseigne est en anglais : «Leo Leclerc, wood-dealer, livery stable»…
Le voilà un des personnages clés de la paroisse. Il sera même, de 1924-1926 «contremaître général» chargé des travaux publics de la ville. Le désordes des débuts se calme en effet. UNE MUNICIPALITÉ EST ÉLUE EN 1911. Un maire est invalidé en 1923 pour fraude électorale, ce qui prouve que les mœurs civilisés ont vaincu la forêt. Des trottoirs en bois, un éclairage public qu’un employé à bicyclette allume chaque soir, quelques autos – dix ou quinze en 1925 qu’on va accueillir au train en cortège. Voilà le train : Un tous les deux jours. « Il stoppait à la petite station, essoufflé, en nage, penaud, ahuri..» On en débarque un piano de marque Lindsay, acheté pour Marthe qui se découvre des talents de musicienne.
La famille s’agrandit : Clémence, Jean-Marie, Grégoire, Gertrude, Félix… Tous les deux ans… RÉGULIERS COMME DES SACREMENTS. Si le couple ne va pas assez vite en besogne, le curé québécois se charge de le rappeler à l’ordre naturel : EN DESSOUS DE DIX ENFANTS, UNE FEMME EST UNE PÉCHERESSE. Pa d’échappatoire! Bons québécois.
Léo sympathise avec Jos Lamarche, qui possède l’hôtel Windsor, juste derrière chez lui. Et Filion, un jeune de Chicoutimi qui, sitôt marié, est venu jouer au forgeron à La Tuque. Le fils à Filion, Lucien, a l’âge de Felix. Maire de la ville, inamovible depuis 1961, il le serait encore s’il n’était pas décédé subitement, une semaine après m’avoir reçu, en septembre 1985. Il dit de Léo : Il avait beaucoup d’entregent, il vendait n’importe quoi, il savait tout, il connaissait tout le monde. Il circulait sans cesse. Il était aimé de tous…
(P.39)… Tous, c’est-à-dire, principalement des ouvriers. Ca la colonisation, pour le plus grand nombre, C’EST LE TRAVAIL EN USINE ET RIEN DE PLUS. La plupart des hommes de La Tuque MONTENT LÀ-HAUT TOUS LES MATINS. À CINQ HEURES, LE COUP DE SIFFLET LIBÈRE DES CENTAINES D’OUVRIERS. Deux par deux, trois par trois, les pionniers d’une sorte de pays; celui de l’industrialisation.
DES PAUVRES. Evidemment, le système agri-forestier, autartique et le reste, qui permettait de nourrir tant bien que mal une très nombreuse famille, ne fpnctionne plus aussi bien. OUVRIER D’USINE AVEC DOUZE OU QUINZE ENFANTS, LA HIÉRARCHIE CATHOLIQUE N’A PAS PRÉVU LE CAS. Il lui faudra des décennies avant de réagir. La réaction, ce sera le peuple québécois qui l’aura : autour de la seconde guerre mondiale, finies les grandes familles et ADIEU L’ÉGLISE VERS 1960. Ils ne se marieront plus, ils ne feront plus d’enfants et ils seront heureux quand même.
EN ATTENDANT, ILS SONT PAUVRES.
En plus de son autorité naturelle, Léo a une réelle générosité. Il n’a pas le cœur du commerçant qui s’enrichit sauvagement. Chacun ici, fait crédit au moins chanceux : Les solidarités campagnardes jouent encore Félix : Un jour, je lisais en cachette dans son gros livre de comptes. Je pouvais avoir huit ans. Je vois soudain un gros doigt apparaître sous mon nez puis montrer une filée de zéros : Une corde de bois pas payée – zéro… etc.
Il faut être généreux… Un silence… Un sourire… Regarde!
Le père soulève le régistre : 150 piastres sont cachées dessous! Et le lendemain, il achète une pouliche!
Il est bon «Un rôdeur avait volé une livre de beurre dans la glacière de la voisine, accrochée sur la galerie. On l’avait surpris.
(p.40)L’homme s’était caché dans notre grange.» moi général. Le père y va, seul, ayant d’abord attaché son chien.. Pas de lumière. Dans l’obscurité, il avance en parlant au voleur. De la maison, la famille le regarde disparaître. Il parle calmement, sans hargne. IL FAIT SORTIR LE VAGABOND. Pas de coups. Rien qu’une AMICALE PITIÉ. Fabiola est fière. Félix a tout vu. Dans sa tête, il y a un royaume où règne un roi débonnaire, sans peur et sans haine. Léo Leclerc.
Et le bonheur. Et l’amour.
«Quand j’avais 12 ans, les matins de décembre
La porte de cuisine, chez nous était couverte de givre à l’intérieur, comme dans une étable.
Quand on y pense!
Le verrou et la clenche et la vitre étaient glacés de blanc.
Pas de tambours dehors, n’y de deuxième porte
Quand j’y pense!
Qu’est-ce qui nous faisait chanter quand même?
L’assurance du printemps tout proche?
Je ne me souviens pas d’avoir froid
C’est après sa mort que j’ai connu le froid
(Je parle de ma mère)
Et le bonheur
«Lorsque la famille était réunie à table et que la soupière fumait ses parfums jusqu’à nous étourdir, maman disait parfois :
Cessez un instant de boire et de parler
Nous obéissions
Regardez-vous, disait-elle doucement
Nous nous regardions sans comprendre, amusés.
C’est pour vous faire penser au bonheur»
——
(P.41) L’enfance décrite dans Pieds nus dans l’aube est-elle une enfance vécue ou imaginée? Probablement vécue beaucoup et imaginée quelque peu. Ce qui est sûr, c’est qu’à part des changements de noms, l’enquêteur n’a pas trouvé d’erreurs ni de mensonges en confrontant les témoignages. Lédéenne Hardy était «la petite blonde» de Félix; elle habitait en face chez lui et a donné son prénom à une des sœurs du héros du livre. Le père du maire Filion, c’est le forgeron Bérubé. L’oncle Richard, l’ancien draveur de la Gatineau, frère de Nérée, a bien vécu 20 ans chez Léo son neveu. Et Fidor Comeau, le petit acadien qui n’allait pas à l’école a bien existé avec ce nom-là. Il a quitté la ville vers 1930; il est mort dans les années 70 sans avoir revu Félix.
Oui, l’hôtel Windsor a bien brûlé. C’est une scène villageoise typique : en mars 1924, les enfants ont fêté hier l’anniversaire du curé Corbeil en donnant une «séance». Aujourd’hui ils ont congé. Félix court dans la montagne. Il est midi. L’hôtel est en feu! Il y a des photos dans les archives de La Tuque. Gros succès populaire.
La famille s’agrandit encore : Cécile, Thérèse, Gérard, Brigitte, Sylvette. Félix suit les cours des frères maristes à l’école Saint Zéphyrin. C’est évidemment la seule école de garçons. Elève moyen, pas trop sur de lui. IL EST RÊVEUR.
Nous partirons
Nous partirons seuls
Nous partirons seuls loin
Pendant que nos parents dorment.
—–
Il brille dans le théâtre scolaire où in tient toujours le rôle principal. On joue la fée bonbon et la revanche de Croquemitaine.
(p.42) Il sait chaque fois son texte avant les autres. Il invente des pièces qu’il fait jouer à ses sœurs. Il chante à chorale des petits. Il est un des piliers de la musique des zouaves. C’est lui au centre, sur la photo derrière la grosse caisse, le calot bien proprement posé sur la tête. Il a du talent, tout le monde le sait. Il ne force pas son talent, tout le monde le voit. Ce bel enfant plaît à tous. Il est farceur mais pas méchant. On part castagner les anglais : Une centaine de familles d’américains cadres de l’usine. Ils ne font de mal à personne. Ils se tiennent à part sagement. Le maire Filion cite même le représentant de Général motors qui a passé toute sa vie à vendre des milliers de voitures à La Tuque sans jamais éprouver le besoin d’apprendre le français. Que leur reprocher? Rien à dire. Les gosses vont castagner les anglais. Par dévouement à l’histoire probablement car il s’agit d’une vieille tradition nationale. Confirmée par René Lévesque : « C’était une aventure permanente entre gangs de petits canadiens français et de petits anglais (…) on se cognait sur la gueule. Ils nous traitaient de pea soup, et nous, je ne sais pourquoi, on les traitait de crawfish (…) Je trouvais ça normal. Ca faisait partie de la vie. Le petit Félix n’aime pas les anglais. Mais, pas trop bagarreur, il suit…
Pas trop bagarreur, il tire ce trait de sa mère : «Je me moque de vos muscles, le danger est ici, disait la mère en se touchant le front… Initiés par elle au bonheur, juger nous était défendu et, nous arrivait-il d’être pris dans la laideur, elle nous levait le menton et disait : Regarde en haut pendant que tes pieds se débrouillent.»
La pureté, c’est mon enfance. ON AURAIT VOULU ÊTRE DES ENFANTS DE 12 ANS POUR L’ÉTERNITÉ. Ne pas vieillir, ne pas devenir des hommes.
(p.43)… Mais il a quand même fallut marcher, rencontrer des mots atroces (…) On entre malgré soi dans la maturité. Tout en étant blessé, se tenir droit, marcher et s’émerveiller quand même.
Cet enfant sans histoires a tout pour lui. D’ailleurs le curé Corbeil le choisit, honneur insigne, pour servir sa messe quotidienne au couvent de l’Assomption qui est aussi l’école des filles. Félix : importante promotion. J’étais regardé comme un jeune dieu. A la sacristie, tous les matins, je trouve une orange, une fleur. C’était Marie-Ange Pinaud. Je l’ai su plus tard : Je l’ai surprise avec une orange dans sa main tremblante…
Et en 1985, Marie-Ange Pinaud vit encore à La Tuque.
Léo Leclerc s’ennuie.
Dans la maison chaleureuse, Marthe joue Mozart, Bach, Schubert. La ville va trop bien. Léo enrage de n’avoir à replanter que des poteaux de téléphone et livrer des cordes de bois. Et la fortune, Léo, ça vient?
La maladie de partir. Comme une chanson qui tourne dans l’esprit. La route est enfin arrivée à La Tuque en 1925. L’approvisionnement se fait mieux. Il y a maintenant un chef de police qui vient chercher Léo quand l’affaire est risquée. La colonisation reflue : pas d’habitants sur le bord de la route. Rien que des arbres. Les affaires vont moins bien. Les enfants grandissent et il faudra songer à leur payer des études. Léo n’a pas fait fortune. Léo s’ennuie, se civilise, boursicote. Il gagne, il perd. Il participe au conseil municipal. Figurez-vous que le gérant de la ville (directeur des services) est payé directement par l’usine. Ca durera jusqu’en 1961. Mais à part ça, ce ne sont pas les anglais qui commandent, on est en démocratie.
Un jour, quelqu’un parle de l’Abitibi, des mines d’or et d’argnt, d’une nouvelle colonie. Léo rêve.
(p.44)
Demain si la mer est docile
Je partirai de grand matin
J’irai te chercher une île
Celle que tu montres avec ta main
—–
Ce territoire est rattaché au Québec en 1898. Par le Témiscamingue, l’Abitibi était jadis la route des missionnaires vers les indiens de la Baie d’Hudson. La région est traversée depuis 1912 par le Transcontinental qui relie Québec à Winnipeg et au Pacifique. En juin 1914, il n’y a que 953 âmes dans cette solitude. Soudain, en 1920, un prospecteur, Edmond Horne, y découvre de l’or sur les bords du lac Osisko. C’est la ruée. Un an plus tard, près de 15,000 habitants! Il y en aura 40,000 en 1940. En quinze ans, 226,000 claims vont être marqués et 675 compagnies minières constituées. Curé en tête, les colons sont entraînés dans l’aventure. Les nouveaux cantons de l’Abitibi reçoivent les noms des régiments de Montcalm : Royal Roussillon, Languedoc, La Reine, La Sarre, Berry, Béarn et les noms des officiers de ces régiments : Roquemaure, Pâlmarolle, Trécesson, Senneterre etc. : Le Québec poursuit toujours son Histoire…

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