11 août 2018
Chronique
Chroniques
S.O.S. Hollywood
Maya Ombasic
11 août 2018
le devoir
C’est mille fois pire que vous ne le croyez. Nous sommes au bord du gouffre et la fin de la Terre telle que nous la connaissions est devant nous. Non, ce n’est pas pour un autre siècle. C’est pour d’ici deux, trois décennies. Le réchauffement planétaire montera entre 5 °C et 8 °C d’ici 2050. Non, je n’exagère pas. Mon discours est cohérent avec notre course effrénée vers la croissance.
L’Accord de Paris, qui visait la barre du réchauffement sous 2 °C, est un conte de fées. Le pergélisol, cette surface gelée qui recouvre 20 % de la planète, est en train de fondre elle aussi et libérera au passage des milliards de tonnes de carbone alias méthane, en plus de tous les virus qui seront libérés eux aussi et dont on ne connaît même pas la nature.
Puis il y aura un manque de nourriture relié aux sécheresses et les guerres qui viendront avec, et voilà qu’il faudra donner raison à Claude Lévi-Strauss et aux Jared Diamond de ce monde : toutes les grandes civilisations se sont écroulées à la suite de la rupture de la chaîne alimentaire. On sera vivants, vous et moi, et on vivra de grandes catastrophes ensemble. Il faudra se tenir tricotés serrés, oublier les nœuds identitaires de repli sur soi, car nous serons dépliés et détricotés sur une bouée de sauvetage, comme les migrants ballottés d’une rive à l’autre.
Merci de nous laisser un monde de merde. C’est à nous, maintenant, de porter la responsabilité de vos conneries ! Silhouette mince et fantasmagorique disparue dans la brume comme le soldat inconnu. Était-ce un rêve ?
Le droit de rêver
Je suis restée plusieurs jours à me morfondre de culpabilité. Je lui ai dépeint un monde en écroulement sans rien lui proposer en retour, à part la nécessité d’être un citoyen responsable : recycler, réduire la durée de nos douches, ne pas gaspiller, ne pas surconsommer, puis quoi encore ?
Ah oui, je l’ai obligée à lire Edgar Morin : « Alors que la crise planétaire montre une communauté de destin pour tous les humains en péril, cette crise provoque non pas une prise de conscience de cette communauté, mais au contraire, la rétraction sur une identité particulière, ethnique, nationale ou religieuse » (Où est passé le peuple de gauche ?, Éditions de l’Aube).
« Oui, mais ça ne me dit toujours pas comment nous en sortir », chuchota-t-elle avant de disparaître, en me mettant devant un fait on ne peut plus ahurissant : notre consommation individuelle ne fait aucun poids à côté de la consommation globale et du pillage pathologique des ressources naturelles.
Comment stopper l’inévitable ? Et surtout comment ne pas nous faire porter le poids de vos irresponsabilités ? Telles sont les questions concrètes que les générations actuelles posent avec perspicacité et droit.
Renverser le récit
Puis, un fait réel me poursuit comme un mantra récurrent chaque fois que j’ouvre la radio au hasard, que je lis un livre sur l’état actuel du monde ou que j’entends une conversation anodine sur une terrasse en fleurs. Elle vient aussi de me surgir en pleine face dans le très juste ouvrage de Cyril Dion Petit manuel de la résistance contemporaine (Actes Sud, 2018).
L’auteur rapporte lui aussi un fait inquiétant dans lequel se love peut-être notre salut. À la question : quelle est selon vous la nation qui a le plus contribué à la défaite de l’Allemagne en 1945 ? On relate que 57 % de la population en 1945 disait que c’était l’URSS et seulement 20 %, les Américains. En 2004, 59 ans plus tard, les proportions étaient renversées : 58 % disaient que c’était les Américains et 20 %, les Russes. À partir de 2015, la courbe est en ascension : près de 61 % des Français et 52 % des Allemands désignaient les Américains…
Attachez vos tuques tant qu’il fait encore froid et notez bien ce que précise Cyril Dion : l’industrie cinématographique américaine raconte incessamment depuis 60 ans un autre récit, une « fausse nouvelle », loin de la vérité historique factuelle (entre 9 et 12 millions de soldats russes ont trouvé la mort contre 415 000 soldats américains), afin de gagner la « bataille de l’imaginaire ».
Puisque nous sommes, comme l’a si bien démontré Nancy Huston, une espèce fabulatrice, nous avons un urgent besoin d’un nouveau récit pour donner sens à notre vie. Seul un récit fort, avec les moyens hollywoodiens, aidera nos cerveaux à ne plus faire l’autruche devant la fin immanente de notre monde.
« Il faut donner un visage à ce monde nouveau, le rendre profondément désirable pour que le génie créatif et la force de travail de centaines de millions d’Occidentaux (dopés aux énergies fossiles) se mettent au service de ce projet et lui donnent corps. » Notre survie n’est-elle pas suffisamment désirable ? À Hollywood maintenant de jouer, s’il veut sa propre survie.
Comment stopper l’inévitable ? Et ne pas porter le poids de vos irresponsabilités ?
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