DÉBRIS DE LA MÉMOIRE DU K-OEUR 5 …..

DÉBRIS DE LA MÉMOIRE DU K-OEUR 5

Débris de la mémoire du K-œur… 5, …… ÇA RESSEMBLE À DES ENFANTS …PHRASE AB-XIOMATIQUE  TIRÉE D’UNE TACHE TEXTUALE ONÉRIQUE DU 18 SEPTEMBRE 2016

 

Blogue (1408)  du 18 septembre 2016

Théorie du drône
Grégoire Chamayou
la fabrique éditions, 2013

Prélude p.10-20

La base de Creech est le berceau de la flotte des drones de l’US Air force. Les militaires la surnomment « la demeure des chasseurs » L’organisation antiguerre « code pink » la décrit plutôt comme « un lieu d’incrudilité, de confusion et de tristesse ».

Le travail est d’un ennui extrême. Des nuits à ingurgiter des Doritos ou des M&M face à l’écran, pour voir le plus souvent toujours les mêmes images d’un autre désert, de l’autre côté de la planète, à attendre que quelque chose se passe : « des mois de monotonie pour quelques milisecondes de grabuge ».

Demain matin, un autre « équipage » viendra prendre le relais aux commandes de l’appareil. Le pilote et l’opérateur au volant de leur 4×4 pour retrouver, à 45 minutes de là, femme et enfants dans l’environnement tranquille d’une banlieue pavillonnaire de Las Végas.

Les passagers des trois véhicules partis de leur petit village de la province de Daikundi ne le savent pas, mais cela fait déjà assez longtemps que des dizaines de pupilles les observent. Parmi ces spectateurs invisibles, le pilote et « l’opérateur des capteurs » mais aussi « un coordonnateur des missions », un « observateur de sécurité », une équipe d’analystes vidéo, et un « commandant des forces terrestres » qui finira par donner le feu vert pour la frappe aérienne. Ce réseau d’yeux est en communication permanente, ils parlent entre eux, et, en cette nuit du 20 février 2010, comme à l’accoutumée, leur conversation est enregistrée.

0.45 GMT – 5h15 en Afghanistan.

Le pilote : Est-ce que c’est un putain de fusil là ?

L’opérateur : Peut-être juste une tache chaude là où il était assis, je ne peux pas vraiment le dire, là, mais ça ressemble vraiment à un objet.

Le pilote : j’espérais qu’on puisse repérer une arme, mais tant pis.

1.05
L’opérateur: ce camion ferait une belle cible.
ok c’est un 4×4, un Chevy Suburban.
Le pilote: ouais
l’opérateur: ouais.

1.07
Le coordonnateur: Le screeber a dit qu’il y a au moins un ENFANT près du 4×4.
L’opérateur: Putain de merde… où ça?
Envoie-moi un putain de cliché, mais je ne crois pas qu’ils aient des GAMINS à cette heure-ci, je sais bien qu’ils sont tordus, mais faut pas pousser….

L’opérateur : Bon peut-être un ADOLESCENT mais je n’ai rien vu d’aussi petit, et ils sont tous regroupés là.

Le coordonnateur : Ils vérifient.

Le pilote : Ouais, qu’ils vérifient cette merde… Pourquoi Est-ce qu’il a pas dit : « ENFANT éventuel » alors ? Pourquoi ils sont si pressés de parler de putains d’ENFANTS mais pas de putains d’armes ?

Le coordonnateur : Deux ENFANTS à l’arrière du 4×4.

01.47
Le coordonnateur: ça ressemble à des couvertures. Ils étaient en train de prier, ils avaient…
Le pilote: Jag 25, Kirk97, le compte est bon ou pas encore?
l’opérateur: ils prient, ils prient.

01.48
L’opérateur: C’est ça, au final, leur force. Prier ? Je veux dire, sérieux, c’est ça qu’ils font.
Le coordonnateur: Ils manigancent quelque chose.

01.50
Le coordonnateur: ADOLESCENTS près de l’arrière du 4×4.
L’opérateur: Ouais, ben, des ADOLESCENTS, ça peut se battre.
Le coordonnateur: Prends une arme et t’es un combattant, c’est comme ça que ça marche.

01.52
L’opérateur: Un type encore en train de prier devant le camion.

Le pilote: Pour Jag25 et Kirk 97, tous les individus sont en train de finir de prier et se rassemblent maintenant près de trois véhicules.
L’opérateur: Ph, la belle cible. J’essaierais de passer par l’arrière pour la mettre en plein dans le mille.
L’opérateur: Oh, ça serait parfait!

02.41
L’opérateur: Monsieur, Est-ce que ça vous dérangerait si je faisais une pause toilettes rapide?

Le pilote : Non, pas du tout mon gars.

0.317
Un inconnu: Bon, c’est quoi le plan les gars?
Le pilote: Je sais pas, j’espère qu’on va pouvoir shooter ce camion avec tous les mecs dedans.
L’opérateur: ouais.

(Le drone Prédateur n’ayant plus qu’un seul missile à bord- insuffisant pour cibler trois véhicules- ordre est donné à deux hélicoptères Kiowa, nom de code « Bam bam41 », de se mettre en position pour l’attaque. Un plan est arrêté : les hélicoptères tireront les premiers, puis le drone finira le travail en tirant son missile Hellfire sur les survivants.)

03.48
L’opérateur: Opérateur paré, que la fête commence!
….
L’opérateur: Tu sais quoi, on pourrait avoir toute une flotte de « preds » ici.
Le pilote: Oh, si seulement mec…

04.06
Le pilote:…Ecoute mec, on va probablement être en train de poursuivre des types qui s’éparpillent dans tous les sens. Euh, dans la descente, ne te préoccupe pas d’un guidage de ma part ou de Jaguar, tu n’as qu’à suivre ce qui te paraît le mieux. Reste sur celui où t’as le plus de probabilités de tirer dessus. Je suis avec toi sur ce coup. Donc je te brieferai sur un profil de tir, on aura un briefing d’attaque dès qu’on sait ce qu’on va shooter.

04.11
Les hélicoptères Kirk97, Bambam41, vous reçoit cinq sur cinq.
Le pilote: Ok Bambam41, Kirk97, vous reçoit cinq sur cinq aussi. Je comprends que vous avez pris en chasse nos trois véhicules, vous avez besoin qu’on vous dise, ou vous les avez ?

Les hélicoptères: 41 les a juste du côté sud de la passe de la grille indiquée, Une Highland blanche suivie de deux 4×4.
Le pilote: Kirk 97, bien reçu. Ce sont vos trois véhicules. Environ 21 hommes en âge de combattre, environ trois fusils positivement identifiés jusque-là dans le groupe et, ah, ce sont vos trois cibles.

04.13
Le pilote: le tir a l’air cool.

L’opérateur : Oh, magnifique.

Les hélicoptères (inaudible)… armes et communications avec manœuvre tactique. Stop, Hum, comprenons que nous avons le feu vert pour l’engagement.

Le pilote : ok, il a le feu vert pour l’engagement, donc il a le type 3. Je vais faire tourner nos missiles aussi.

04.16
L’opérateur: Roger. Et, oh… et ça y est ? (Les hélicoptères tirent sur le convoi).

L’opérateur: J’ai un autre mec… ils l’ont eu eux aussi? Ouais
Le pilote: Ils ont dégommé le premier et, euh, le dernier, ils vont revenir.

04.17
Le coordonnateur: Vous voulez qu’on passe sur une autre fréquence?
Le pilote: J’ai essayé, personne ne me parlait là-bas…
L’opérateur: On dirait qu’ils se rendent.
L’opérateur: Ils ne courent pas.

04.18
L’opérateur: Ce type est allongé? ils ne courent pas.
l’observateur: Les gars, c’est bizarre.
L’opérateur: ils s’éloignent juste en marchant.

L’observateur: Vous voulez regarder s’il y a des gens à l’arrière?
un inconnu: Oui…
L’observateur: Près de cette troisième épave…
L’opérateur. Quelques-uns  … deux ou trois …
L’opérateur: Oui ils décompressent.
Le pilote: zoome là-dessus une seconde pour moi. Le troisième là.
L’opérateur: le troisième?
Le pilote: Ouais. Ils l’ont explosé? ils l’ont fait non?
L’observateur: non, ils l’ont pas fait.
Le pilote: Ouais, ce truc a bien l’air détruit, pourtant non?
L’observateur: Ouais, ils l’ont touché. Il y a de la fumée.

L’opérateur : Ils l’ont touché. Vous… ces types sont juste… (Une roquette frappe le véhicule central)
Un inconnu: oh|
le pilote: Putain de Dieu!

04.22
L’opérateur: identifiez positivement les armes, je n’en vois aucune…
L’opérateur: J’ai un truc qui brille sur celui à droite.
L’opérateur: juste
L’opérateur: c’est bizarre…
Le pilote: pas la moindre idée ce qu’ils foutent.
L’opérateur: probablement en train de se demander ce qui vient de leur arriver.
L’observateur: Il y a un autre à gauche sur l’écran
L’opérateur: oui je les vois.
L’observateur: ils portent des burkas?
L’observateur: ça y ressemble en tout cas.
Le pilote: Mais ils étaient tous positivement identifiés comme hommes. Pas de femme dans le groupe. L’opérateur: Ce mec a l’air de porter des bijoux et des trucs comme une fille, mais ce n’est pas une fille, si ce type est une fille, c’est une grosse.

04.32
L’observateur: Un des types en haut à gauche est en train de bouger.
L’opérateur: ouais, je le vois. Je crois que je l’ai vu bouger tout à l’heure, mais je ne sais pas s’il est…. s’il est en train de bouger ou s’il a des spasmes?
L’opérateur: Eh, je crois qu’il a bougé, pas beaucoup, mais…
L’opérateur, je ne peux pas, je ne peux pas les suivre tous les deux.
Le coordonnateur: il y a un type qui s’assoit.
L’opérateur ( s’adressant à un individu au sol)
avec quoi tu joues?
Le coordonnateur: avec son os.

04.33
L’observateur: Oh putain. Ouais, vous avez vu le sang juste là, à côté du…
Le coordonnateur: ouais, je l’ai vu tout à l’heure.

04.36
Le coordonnateur: ç’en est deux? Un type qui soutient l’autre type?
L’observateur: On dirait
L’opérateur: On dirait ouais
Le coordonnateur: Le secourisme à la rescousse.
L’observateur: J’ai oublié, comment tu traites une blessure à boyaux ouverts?
L’opérateur: les remets surtout pas à l’intérieur. Tu les emballes dans une serviette. Normalement ça marche.

04.38
Le pilote: Putain, ils essaient de se rendre, non?
L’opérateur: J’ai l’impression aussi.
Le coordonnateur: Ouais je crois que c’est ce qu’ils font.   04.40
L’opérateur: C’est quoi ceux-là? Ils étaient dans le véhicule du milieu.
Le coordonnateur: DES FEMMES ET DES ENFANTS. L’opérateur ; ÇA RESSEMBLE À UN ENFANT

L’observateur : OUAIS, CELUI QUI AGITE LE DRAPEAU. 04.42
L’observateur: Je vais leur dire qu’ils sont en train d’agiter leur…
L’opérateur: ouais… là maintenant je ne serais… JE NE SERAIS PAS, PERSONNELLEMENT,  À L’AISE,  POUR TIRER SUR CES GENS [1]….Le coordonnateur. Non

 

 

 

 

 

[1]  (1409) blogue du 18 septembre 2016, Théorie du drone, Grégory Chamayou, p.67, extrait

 

David Rhode, journaliste du New York Times kidnappé en 2008 et détenu en Waziristan pendant sept mois, fut un des premiers occidentaux à décrire les effets que cette surveillance létale persistante produit sur les populations qui la subissent. Évoquant un ENFER SUR TERRE, il ajoute : Les drones étaient terrifiants. Depuis le sol, il est impossible de déterminer qui ou quoi ils sont en train de traquer pendant qu’ils décrivent des cervles au-dessus de votre tête. Le bourdonnement lointain du moteur sonne comme le rappel constant d’une mort imminente.

 

Les témoignages accumulés dans cette région par les auteurs du rapport VIVVRE SOUS LES DRONES établi en 2012, vont dans le même sens : Ils nous surveillent en permanence, ils sont toujours au-dessus de nous et, vous ne savez jamais quand ils vont frapper. Tout le monde a peur tout le temps. Quand nous nous rassemblons pour faire une réunion, nous avons peur qu’il y ait une frappe. Quand vous pouvez entendre le drone tourner dans le ciel, vous savez qu’il peut vous frapper. Nous avons toujours peur, cette peur dans notre tête. J’ai toujours les drones dans ma tête. Ça m’empêche de dormir. C’est comme les moustiques. Même quand vous ne les voyez pas, vous pouvez les entendre, vous savez qu’ils sont là. LES ENFANTS, LES ADULTES, LES FEMMES, ILS SONT TOUS TERRIFIÉS. …. Ils crient de terreur. Un habitant de Datta Khel, une localité qui a été frappée à plus de trente reprises par les drones au cours des trois dernières années ajoute, à propos de ses voisins : Beaucoup ont perdu la tête (…) ils sont enfermés dans une pièce. …. Les drones, en effet, pétrifient. Ils produisent UNE TERREUR DE MASSE, INFLIGÉE À DES POPULATIONS ENTIÈRES. C’est cela, outre les morts et les blessés, les décombres, la colère et les deuils. L’effet d’une surveillance létale permanente; UN ENFERMEMENT PSYCHIQUE, dont le périmètre n’est plus défini par des grilles, des barrières, et des murs, mais par LES CERCLES INVISIBLES qui tracent au-dessus des têtes les tournoiements sans fin DES MIRADORS VOLANTS.