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l’Autre bord du lac

Mon blogue raconte la petite histoire d’un quartier mythique de La Tuque, la vie des gens qui l’ont habité, l’ont construit et lui ont donné une âme, celle de l’Autre bord du lac.

Au coeur de l’Autre bord du lac – 1943
Source: BAnQ – détail d’une carte postale 1943 – numérisation Gaston Gravel

lundi 2 février 2015
Faire de la glace
Mais quel raffut ! Qu’est-ce qui se passe? Ça vient du p’tit lac. Pourquoi ça crie comme ça?
Ma mère se doutait bien qu’un grand malheur venait de se produire. On entendait les hennissements d’un cheval mais plus que ça, on entendait des bruits de glace qui craque, qui casse, des bruits de sabots qui s’accrochent, qui glissent, des cris d’hommes paniqués. On est sortis sur la galerie et les voisins aussi. Nous sommes allés voir de plus près.
C’était la fin de l’hiver. Un cheval venait de passer à travers la glace du lac Saint-Louis et malgré qu’il avait l’habitude d’en sortir des blocs immenses, il s’était fait prendre par lui; la glace avait cédé et il esseyait de s’en sortir. Les hommes ne pouvaient rien y faire. Ils tentaient bien de lui passer une corde autour du cou et des pattes mais le cheval était entraîné malgré lui par tout son gréement. Il savait qu’il allait se noyer, ça paraissait dans ses grands yeux inquiets. Il se débattait, les hommes criaient, il calait et remontait, disparaissait à nouveau et puis… plus rien.
Nous sommes rentrés à la maison et c’est seulement à ce moment que j’ai compris que ces hommes et ce cheval faisaient de la glace sur notre p’tit lac.
Entaillage et coupage de la glace sur le Saint-Laurent
Gravure sur bois, James Duncan, 1859
Source: BAnQ
Scie à glace, 1825-1900
Source: Musée McCord
À La Tuque, les blocs était taillés dans la glace du lac Saint-Louis. D’imposantes installations avaient été construites sur la rive du lac au coin des rues Saint-Louis et du Lac pour entreposer la glace jusqu’à sa livraison chez les clients.
Installation pour l’entreposage de la glace en 1915
Source: Appartenance Mauricie et SHLT
Installation pour l’entreposage de la glace vers 1925
Source: Bibliothèque et Archives Canada
Collection Canadien National
Installation pour l’entreposage de la glace vers 1929
Source: Appartenance Mauricie et SHLT
Ce métier, aujourd’hui disparu, était physiquement difficile. Armés de scies à glace, ces hommes devaient s’aventurer sur les lacs, les rivières et le fleuve pour y tailler des blocs de glace, les hisser sur la surface gelée avec l’aide de chevaux ou de machines, les embarquer sur la chaine, les placer dans l’entrepôt et les recouvrir de bran de scie.
Coupeurs de glace à l’oeuvre, photo non datée
Lieu non précisé
Source: www.journalmetro.com
Sortie des blocs de glace à Berthierville en 1943
Source: BAnQ
Sortie des blocs de glace à bras d’hommes
sur un lac gelé du Yukon
Source: www.tc.gov.yk.ca
Entreposage de la glace chez le commerçant Grondin
à Shawinigan en 1944
Source: Appartenance Mauricie
À La Tuque, la principale entreprise de glace appartenait à Alfred Morissette dit Ti-Fred la glace mais il y en avait aussi une autre qui appartenait à Albert Tremblay.
Alfred Morissette dit Ti-Fred la glace, photo non datée
Source: LTGLE, affichage par Pierre Cantin
Provenance: Carole Jean, petite-fille d’Alfred Morissette
Camion à glace d’Alfred Morissette, photo non datée
Source: Appartenance Mauricie et SHLT
Roland Boudrault s’en souvient.

Je m’en souviens très bien. Si ma mémoire est bonne, il y avait aussi Albert Tremblay qui passait la glace. Les voitures à chevaux de Morissette étaient rouges et celles d’Albert Tremblay étaient vertes ou bleues. Quand nous allions chez mon grand-père LeBlanc, voisin de la maison de Michel Tremblay (…), on voyait les hommes couper la glace au godendard, ensuite elle montait sur la chaîne pour être transporter ailleurs. Les installations, que nous voyons sur les photos, n’étaient plus là.

Propos publié sur La Tuque, des gens, des lieux, des époques
Livraison de la glace à La Tuque, photo non datée
Source: Appartenance Mauricie et SHLT
Livraison de la glace à La Tuque, photo non datée
Source: Appartenance Mauricie et SHLT
À Montréal en 1859, la glace se vendait en blocs de 10, 20 et 30 livres. Il en coûtait 6$ par année pour se faire livrer quotidiennement du mois de mai au mois d’octobre un bloc de glace de vingt livres. (Source: Musée McCord)

Je ne sais pas combien la glace se vendait à La Tuque mais au milieu des années ’50, il y avait encore des glacières en usage dans les maisons puisqu’on y taillait encore la glace au lac Saint-Louis.
La glacière étaient un meuble en deux parties; celle du haut recevait la glace qui était remplacée tous les trois ou quatre jours. La partie du bas permettait de conserver au froid les aliments. La glace était récoltée l’hiver puis stockée dans des entrepôts isolés par de la sciure de bois.
Glacière en chêne
Source: www.michelprince.ca

L’entreposage de la glace coupée en hiver était également essentielle aux opérations dans les clubs de pêche comme en témoignent les nombreuses glacières installées à proximité des camps. Construites comme une cabane dans une autre et isolées au bran de scie, elles étaient remplies de blocs de glace ensevelis eux aussi dans le bran de scie. Certaines n’étaient que des appentis mais d’autres étaient de véritables petits bâtiments autonomes.
Glacière au lac Gagnon, club Menokeosawin 1948
Source: BAnQ

Dans les années ’50, nous n’avions pas de glacière dans notre maison de la rue Saint-Augustin mais un beau réfrigérateur dont la porte avait une poignée digne de la voute d’une banque.

Réfrigérateur de marque Frigidaire – 1930
Source: Internet

Emile Audy2 février 2015 à 13 h 28

Excellent texte (encore une fois) et fort bien documenté et illustré. Je me souviens fort bien du livreur de glace qui passait sur la rue Roy où nous demeurions. Nous y sommes restés jusqu’en 1957, quand nous sommes déménagés sur la rue Kitchener… Je me souviens fort bien des voitures qui livraient la glace et nous allions y voler des morceaux de glace pleins de bran de scie en ces jour chauds de l’été, pendant cette merveilleuse période qu’étaient les vacances d’été…

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COMMENTAIRE

CET ÉVÉNÉMENT D’UN CHEVAL QUI SE NOIE DANS LE LAC ST-LOUIS EN FACE DE CHEZ NOUS EST RESTÉ TRÈS VIF DANS MA MÉMOIRE

MERCI MICHEL