LA POSITION PRÉ-SOCRATIQUE UNIQUE DE CHERCHEUR-VAGABOND DANS UN SYSTÈME UNIVERSITAIRE SOUS PRESSION ÉCARTELÉ ENTRE L’INIQUITÉ DES CHARGÉS DE COURS VERSUS LES CHERCHEURS INSTITUTIANOLISÉE DONNE À NOTRE ÉQUIPE DE RECHERCHE (AULD, WOODARD, ROPCHETTE) UNE POSITION ÉPISTÉMOLOGIQUE UNIQUE DANS L’HISTOIRE DE LA RECHERCHE UNIVERSITAIRE AU CANADA

Au Canada, la précarité menace de plus en plus le personnel enseignant universitaire caractérisé notamment par l’anxiété chronique.

Jessica Nadeau

4 septembre 2018

Les chargés de cours sont de plus en plus nombreux au sein du personnel enseignant dans les universités canadiennes. Et la précarité cause d’importants problèmes de santé mentale pour la très grande majorité d’entre eux, révèle un rapport de l’Association canadienne des professeures et professeurs d’université (ACPPU) rendu public aujourd’hui.

Entre 2005 et 2015, le nombre de professeurs permanent a diminué de 10 %, alors que le nombre de chargés de cours a bondi de 79 %, peut-on lire dans le rapport De l’ombre à la lumière : les expériences du personnel académique contractuel.

« Les postes non permanents sont, pour les établissements d’enseignement postsecondaires, un moyen détourné de se soustraire aux engagements continus sur le plan des salaires, des avantages sociaux et du développement de carrière auxquels ils sont tenus à l’endroit des employés à temps plein permanents », écrivent les auteures du rapport.

Karen Foster, professeure agrégée au Département de sociologie et d’anthropologie sociale de l’Université de Dalhousie, et Louise Birdsell Bauer, agente de recherche à l’ACPPU, ont sondé plus de 2600 chargés de cours travaillant dans des collèges et des universités canadiennes l’automne dernier pour tenter de faire la lumière sur leur situation.

Les membres du personnel universitaire contractuel sont des « travailleurs très compétents et engagés, mais qui sont sous-payés, croulent sous le travail, manquent de ressources et qui sont laissés de côté dans les établissements postsecondaires au Canada », résument-elles.

La majorité d’entre eux passent d’un contrat à l’autre depuis plus de cinq ans, certains même depuis plus de vingt ans. Et ce n’est pas par choix. Ils aspirent généralement à faire carrière en tant que titulaires d’un poste à temps plein.

Santé mentale

La sécurité d’emploi est leur principale préoccupation. Et cette précarité leur cause une source de stress considérable, ajoute-t-on.

Ainsi, 87 % des répondants estiment que leur emploi a eu des répercussions négatives sur leur santé mentale, caractérisée notamment par l’anxiété chronique.

« Ce résultat est troublant, affirme David Robinson, directeur général de l’ACPPU. Nous savions, évidemment, que lorsqu’un employé a un emploi précaire, qu’il ne sait pas si son contrat va être renouvelé alors que c’est sa source première de revenu, ça met beaucoup de stress sur une personne et sa famille. Mais nous ne savions pas que les problèmes de santé mentale étaient à ce point répandus dans la profession. »

L’insécurité amène plusieurs d’entre eux à prendre « tout ce qui se passe » de peur de se retrouver sans revenu, « alternant surcharge de travail et chômage ».

Ils sont nombreux également à se sentir « méprisés », « humiliés » ou « marginalisés » à cause de leur statut de contractuel.

Ils ressentent une « contradiction entre le prestige de l’université et leur situation précaire au sein de cette université ». Ainsi, lorsqu’ils sont questionnés sur leur emploi, plusieurs restent flous sur la nature exacte de leur travail, se sentant « gênés » par leur situation.

Revenus instables

« La plupart des gens supposent que je suis un professeur permanent vu mon âge, mon expérience et mes études, que je gagne bien ma vie […] ils ne se doutent pas que ma famille vit presque dans la pauvreté, que nos services d’électricité et de gaz naturel sont souvent coupés parce que je suis incapable de payer les factures », raconte un chargé de cours de façon anonyme dans le rapport.

Le rapport indique également que « le genre et la race avaient une incidence sur le revenu », ces deux groupes étant surreprésentés dans les échelons salariaux inférieurs.

À peine 19 % des répondants soutiennent que leur établissement d’enseignement est un « employeur modèle ».

À l’Association canadienne des professeures et professeurs d’université, on demande à ce que les gouvernements provinciaux légifèrent pour contrer cette « stratégie » des universités qui consiste à remplir les classes avec de la « main-d’oeuvre à bon marché ».

David Robinson donne en exemple des pays d’Europe, où des lois empêchent un employeur d’embaucher une personne à contrat à répétition, l’obligeant à lui offrir un poste après un certain nombre d’années.

« Quand on a des chargés de cours qui sont encore à contrat après vingt ans, c’est la preuve qu’on a un problème, conclut le directeur général. Les gens ne sont pas nécessairement au courant, mais ce rapport démontre clairement qu’il y a de grandes disparités économiques et sociales, et que cela a de grands impacts sur la vie des gens. »

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Claude L. Normand

6 septembre 2018
Lettres
Lettres

Ce que l’article de Jessica Nadeau sur les universités (« Au Canada, la précarité menace de plus en plus le personnel enseignant universitaire », 4 septembre 2018) ne dit pas, c’est que la plupart des personnes embauchées à titre de chargés de cours ne répondent pas aux critères d’embauche des postes de professeurs universitaires menant à la permanence. Un professeur d’université doit détenir au minimum un doctorat. Pour tout dire, il est encore plus souhaitable qu’il ait terminé des études postdoctorales. Et vlan dans les dents de tous les détenteurs d’un diplôme de 2e cycle, qui n’ont pas eu la chance et le privilège de terminer et de soutenir avec succès une thèse de doctorat (car plusieurs ont la scolarité sans le diplôme de 3e cycle).

En outre, c’est le dossier de chercheur qui est tributaire du succès d’un candidat au poste de professeur d’université. L’expérience et le talent en enseignement sont des atouts secondaires. Le chercheur étoile peut même se passer de toute expérience d’enseignement — ça s’apprend. Ce que les doctorants qui aspirent à devenir professeurs d’université doivent savoir, c’est que, dès qu’ils s’investissent en enseignement à titre de chargés de cours, ils réduisent paradoxalement leurs chances d’obtenir un poste menant à la permanence. D’une part, ils n’ont plus le temps de s’investir à fond dans un programme de recherche ; d’autre part, les comités de sélection savent qu’ils pourront continuer de compter sur eux à titre d’enseignants s’ils préfèrent embaucher un chercheur prometteur (tout nouveau, tout beau !).

À quand la valorisation de l’enseignement dans nos établissements d’enseignement postsecondaires ? Certaines universités canadiennes ouvrent la voie, en créant des postes d’enseignant menant à la permanence, réduisant ainsi l’anxiété générée par la précarité d’emploi et la non-reconnaissance de la contribution inestimable des personnes chargées de cours dans le parcours universitaire des étudiants en formation. Pendant ce temps, les chercheurs peuvent jouir de s’investir à fond dans leurs tours d’ivoire et laboratoires sans subir l’inconvénient de devenir de meilleurs enseignants. Tout le monde peut être gagnant !
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