CHRISTIAN MAGNAN DU COLLÈGE DE FRANCE ET LE PRINCIPE ANTHROPIQUE…. «WOW-T=2.7K?» OU LE RÊVE BIG-BANG DE LA NANO-PERSONNE HUMAINE CODÉE AU POINT OÙ L’AVANT BIG-BANG DE L’UNIVERS PEUT EN ÊTRE INTUITIONNÉ EN HYPOTHÈSE FORTE… EN ÉTUDIANT LE PRÉ-BIG-BANG DE LA NANO-PERSONNE-PLANÉTAIRE, ON PEUT ANALOGIQUEMENT DE FAÇON PROBABILISTE ANTHROPIQUE INVENTER DE FAÇON CONSTRUCTIVISTE RADICALE UNE HYPOTHÈSE FAIBLE COMME UNE HYPOTHÈSE FORTE

LE COSMOS, MIROIR DE L’HOMME ?

En accordant à l’Homme un rôle d’observateur très privilégié, le principe anthropique sème le trouble dans les esprits. La vie est-elle issue d’un concours de circonstances ? Ou l’a-t-elle au contraire provoqué ? Une controverse irrationnelle est lancée pour savoir qui, de l’Univers ou de l’Homme, a engendré l’autre…

Christian Magnan
Collège de France, Paris
Université de Montpellier II

•SECTIONS

1.Nous habitons un endroit privilégié
2.Coïncidences fortuites ou prévisibles
3.Modifions une donnée… et tout s’écroule
4.Avancer des propositions gratuites est inacceptable pour la science
5.Pour poser une question, il faut une théorie
6.La vie relève d’une suite invraisemblable de hasards

Nous habitons un endroit privilégié

Contrairement à ce que prétendrait un strict principe copernicien, la place que nous occupons dans l’Univers, du fait même qu’elle abrite la vie, a quelque chose d’exceptionnel. La Terre se situe exactement à la bonne distance d’une étoile de bonne température, cette « ajustement » ayant permis à l’eau d’exister sous forme liquide, ce qui a rendu possible le développement d’une chimie féconde en organismes vivants. Au contraire, sur Mars, la planète désertique, ou sur Vénus, l’étouffante fournaise, aucun être humain n’aurait pu naître pour remarquer que les conditions n’étaient pas propices… à son avènement. De même l’astronome Dicke fait remarquer que l’époque à laquelle nous nous trouvons, une douzaine de milliards d’années après le big-bang, n’est pas « arbitraire ». Plus tôt, et les étoiles n’auraient pas bénéficié du temps voulu pour fabriquer en leur sein les éléments dont nous sommes constitués ; plus tard, et les étoiles se seraient éteintes.

Le fameux « principe anthropique » (du grec anthropos : être humain), introduit explicitement en 1974 par Brandon Carter, astronome à l’observatoire de Meudon, exploite ce genre de réflexions en affirmant que les propriétés de l’Univers observé sont le signe de la présence de l’Homme. Sous sa forme « faible », le principe anthropique attire l’attention sur le fait irréfutable que les points de l’espace et du temps d’où nous observons la réalité appartiennent à la classe privilégiée de ceux où la vie possible. Sous l’apparence d’une pure évidence tautologique, le raisonnement a présenté à l’origine l’intérêt de nous inviter à distinguer parmi certaines relations physiques remarquables celles qui peuvent être déduites de lois plus fondamentales de celles qui relèvent de la coïncidence fortuite. Derrière ces dernières circonstances se cachent certaines conditions nécessaires à l’émergence de l’espèce humaine et sont donc liées à notre présence.

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Coïncidences fortuites ou prévisibles ?

Quelques coïncidences célèbres – qui ont alimenté les théories les plus hasardeuses – illustrent cette progression dans le niveau d’explication. Ainsi, l’énergie de liaison d’origine électrique d’un atome d’hydrogène est 1040 fois plus forte, en chiffres ronds, que l’énergie de gravitation de l’électron et du proton qui le composent. Par ailleurs, le nombre de particules dans une étoile est de l’ordre de 1060. Bien qu’à première vue ces deux chiffres n’aient rien à voir l’un avec l’autre une relation très simple les fait correspondre, l’exposant 40 du premier représentant les 2/3 de 60, l’exposant du second. S’agit-il d’une pure coïncidence ? Non. Ce rapport relève d’une explication scientifique à deux étages. Premièrement l’étoile doit posséder une température suffisante pour que ses atomes puissent vaincre les forces d’origine électrique et déclencher ainsi les réactions nucléaires. Deuxièmement, les forces de gravité doivent pouvoir compenser les forces de pression résultant de cette température et ayant tendance à faire exploser l’étoile. Numériquement, comme l’énergie de gravitation d’un système (ici l’étoile) croît comme la puissance 2/3 du nombre de particules mises en jeu, cette énergie rattrape l’énergie électrique, 1040 fois forte au départ, lorsque la limite précédente 1060 est atteinte.

Autre coïncidence remarquable : si l’on rapporte l’âge présumé de l’Univers, une douzaine de milliards d’années, à un temps caractéristique de l’échelle atomique, on trouve un nombre de l’ordre du fameux 1040 déjà rencontré comme rapport entre forces électriques et forces de gravitation. Après cette nouvelle correspondance de chiffres, encore plus étonnante puisqu’elle met en jeu l’infiniment petit et l’infiniment grand, le principe anthropique entre véritablement en scène. En effet, dès 1961, Dicke montre que si les deux nombres sont égaux entre eux, c’est que chacun est égal à un troisième, à savoir l’âge moyen d’une étoile. Voici pourquoi.

(i) La durée de vie d’une étoile est liée à son débit d’énergie, lequel dépend du délai nécessaire à la lumière pour s’en échapper. Or, du fait que les particules de lumière traversent l’étoile par une série de zigzags aléatoires, on montre qu’ils mettent pour sortir un temps proportionnel à la puissance 2/3 du nombre de particules que l’étoile contient. Comme cette « loi en puissance 2/3 » est identique à celle qui caractérisait plus haut la gravitation, on retrouve pour la durée de vie stellaire le fameux 1040.

(ii) L’égalité entre l’âge moyen d’une étoile et l’âge actuel de l’Univers se déduit quant à lui d’un raisonnement « anthropique » : notre présence implique que l’âge de l’Univers n’est pas quelconque par rapport à la durée de vie stellaire. En effet, comme les étoiles nous sont « vitales », il est nécessaire d’une part qu’elles aient eu le temps d’apparaître et d’autre part qu’elles n’aient pas eu le temps de disparaître.

En prime, nous expliquons pourquoi notre Univers est si vaste. Alors qu’un bon Soleil et une bonne Terre nous suffiraient, pourquoi cette débauche de centaines de milliards de galaxies contenant chacune des dizaines de milliards d’étoiles ? Réponse : pour un Univers en expansion, un âge de douze milliards d’années correspond à une taille de douze milliards d’années de lumière. Et comme les équations d’Einstein relient la dimension de l’espace à la masse qu’il contient, cette dernière est fixée elle aussi : elle correspond à la présence dans l’Univers d’au moins 1080 – soit 1040 (encore le nombre magique !) élevé au carré – particules. En revanche, un Univers qui se réduirait à une seule galaxie aurait une durée de vie de l’ordre de quelques jours seulement !

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Modifions une donnée… et tout s’écroule

Au-delà des explications précédentes, un problème demeure entier : pourquoi ces valeurs numériques plutôt que d’autres ? Pourquoi ce fameux 1040 et pas 1 ou 10 ? Peut-on invoquer un « principe anthropique » stipulant que la présence d’observateurs impose des contraintes aux propriétés même de l’Univers observé, y compris aux valeurs des paramètres fondamentaux de la physique qui le caractérise ?

Aiguillonnés par l’apparent succès du principe anthropique faible, des chercheurs ont essayé de voir ce qui se produirait dans leurs équations s’ils faisaient varier les quelques constantes fondamentales de la physique (masse du proton, masse de l’électron, constante de la gravitation, constante de Planck…). Ils découvrirent que s’ils touchaient à quoi que ce soit à l’édifice tout s’écroulait, au sens où toute possibilité de vie disparaissait. Par exemple, puisque l’immensité de l’Univers est liée la faiblesse relative de la force de gravitation, imaginons de rendre notre monde plus petit en augmentant la force de gravitation, que nous multiplierons par 1010. En reprenant textuellement les calculs présentés plus haut, le fameux 1040 devient 1030. Le nombre de particules dans une étoile, 1015 fois plus petit, tombe à 1045. Par contrecoup, la durée de vie de cette même étoile se retrouve 1010 fois plus faible qu’auparavant, pour atteindre l’ordre de l’année, ce qui est insuffisant pour qu’aient eu le temps de se produire les réactions physiques et chimiques complexes ayant conduit à l’être humain.

Le résultat est le même si on imagine de changer d’autres constantes. On aboutit ainsi à la conclusion que la fabrication des éléments chimiques et la mise en place des conditions nécessaires à la vie exigent un ajustement hautement subtil de tous les paramètres en jeu, lesquels ne tolèrent donc pas la moindre modification.

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Avancer des propositions gratuites est inacceptable pour la science

Face à cet enchevêtrement incroyable de coïncidences, les inventeurs du principe anthropique fort déclarent : si le monde a les caractéristiques que nous observons, c’est parce que nous sommes là pour les observer (puisque, s’il était différent, nous ne serions pas là…). C’est donc notre présence qui détermine les propriétés de l’Univers. À ce niveau, le « principe anthropique » est inacceptable pour un scientifique car il ne répond à aucun des critères qui distinguent la science parmi d’autres formes de pensée.

Le principe anthropique fort contient une hypothèse implicite massive : il suppose qu’il existe d’autres univers de caractéristiques différentes, dotés de paramètres physiques de valeurs numériques quelconques. Parmi ces univers multiples et hypothétiques, seul un infime sous-ensemble, dont notre Univers, serait susceptible d’abriter la vie. Mais les difficultés que soulève une telle proposition sont insurmontables.

Déjà, pour avoir un rapport avec la réalité, une proposition scientifique doit pouvoir être soumise à une interprétation physique et à une vérification par la mesure, directement ou indirectement (dans ce cas, par une expérience imaginaire dont la réalisation, impossible en pratique, ne s’oppose pas à un principe). Or il est parfaitement impossible de tester l’hypothèse de l’existence d’autres mondes qui par définition même sont inaccessibles ! En effet, on peut se demander dans quel « espace » et quel « temps » se situeraient de tels univers puisque selon nos théories actuelles notre propre Univers, étant lui-même « espace – temps – matière », englobe la totalité de l’espace et du temps. Parler d’autres univers est donc une proposition purement gratuite pour un scientifique.

Proposer, comme une variante aux multi-univers, que notre Univers constituerait une portion d’espace « vivable » au sein d’un univers infini est également absurde car l’infini, concept mathématique, n’est pas une notion physique. Utiliser l’adjectif « infini » à propos du monde réel est donc abusif et trompeur.

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Pour poser une question, il faut une théorie

Pour être valable, une proposition scientifique doit répondre à une deuxième condition : être formulée dans le cadre d’une théorie. En imaginant que l’on puisse changer et choisir les paramètres physiques d’un univers, les tenants du principe anthropique font appel ipso facto à une théorie de « création des univers à paramètres libres », laquelle… n’existe pas ! Si la relativité générale nous a permis de comprendre quelque chose à l’évolution de l’Univers, elle est incapable de traiter de sa naissance. Remontant le temps, elle rencontre en effet au départ une singularité, connue sous le nom de big bang, exclue du modèle : l’Univers ne contient pas son origine.

Il faut reconnaître que la cosmologie, étude de l’Univers dans son ensemble, occupe une place à part en sciences parce qu’elle se heurte à au moins deux difficultés de principe qu’il est utile d’analyser.

(i) La science ne raisonne que sur des classes d’objets. Forcée d’établir ses lois en comparant des situations analogues dans le fond mais diversifiée dans la forme, elle ne peut rien déduire d’une observation isolée. L’Univers étant par nature absolument unique et non duplicable, la science se trouve complètement désarmée devant cette unicité embarrassante qui lui interdit de procéder à des comparaisons expérimentales.

(ii) Ensuite, notre monde existe, au sens le plus fort du terme, c’est-à-dire comme le donné essentiel qui ne laisse précisément aucun choix. Or, cette vertu d’existence est totalement étrangère à la science, qui ne possède pas encore (!) la moindre « théorie de l’existence ». Le principe anthropique, en se permettant de parler de ce qui existerait ici-bas ou dans un au-delà inconnaissable, sort du cadre scientifique en ouvrant la porte aux déviances de toutes sortes.

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La vie relève d’une suite invraisemblable de hasards

Quelle est la place de l’Homme dans l’Univers ? Les discussions engagées autour du principe anthropique ont sans conteste fait avancer la question, mais en aboutissant à un résultat inattendu. La conclusion qui se dégage en effet c’est que l’apparition de la vie repose sur une telle série de chances qu’elle apparaît comme l’exception, même dans un Univers soi-disant « spécialement conçu » pour l’abriter. Pour bon nombre de partisans de ce principe anthropique, nous sommes très vraisemblablement les seuls habitants de l’Univers (et c’est notamment la conclusion développée dans le livre de Barrow et Tipler, The anthropic cosmological principle), ce qui est un comble pour qui voyait au départ l’Univers comme le reflet de l’Homme ! Ainsi, plus que jamais, en dépit des prétentions anthropiques, l’être humain reste-t-il (d’un strict point de vue scientifique, bien entendu) étranger à l’Univers !

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D’après un article paru dans
Ciel et Espace
Numéro Spécial juin-juillet-août 1991 Dernière modification : 16 octobre 2010

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