LE CRI DE MUNCH COMME FONDEMENT DE LA PHILOSOPHIE D’EN BAS LIBÈRENT CHAQUE EXISTENCE HUMAINE INDIVIDUELLE ET LIBRE DE LA FANTOMATISATION ERRANTE IMPOSÉE PAR TOUTE PHILOSOPHIE D’EN HAUT

UN TEXTE EXCEPTIONNEL
DE LAURENT VEREY 2011
SUR LE CINEASTE ABEL GANCE

ce document

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De tous les cinéastes ayant vécu la période du premier conflit mondial, Abel Gance est le seul, à notre connaissance, dont l’œuvre se trouve autant marquée par ce drame qui n’a jamais cessé de le hanter. La guerre, qu’il n’a pourtant pas faite (sur le moment, il a éprouvé un important sentiment de culpabilité, qui se mua en soulagement par la suite), a été pour lui une expérience à la fois traumatisante et stimulante. Elle ne fut pas seulement une source d’inspiration pour son imagination débordante, mais un choc moral qui suscita de puissantes émotions créatrices et une véritable esthétique eschatologique unique en son genre. Gance a cru, comme la majorité de ses contemporains, à cette force mystique de la terrible conflagration qui laissera en lui, à tout jamais, une profonde cicatrice1. À ce titre, l’amitié avec Blaise Cendrars, qui fut parmi les tout premiers à parler de l’effroyable brutalité du combat2, et plus tard avec Louis Ferdinand Céline, dont il envisagea d’adapter Voyage au bout de la nuit3, joua sans doute un rôle non négligeable.

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On sait depuis longtemps que les processus d’élaboration artistique, quels qu’ils soient, renvoient à l’environnement socioculturel dans lequel ils ont été conçus. En ce sens, les créations ne sont pas isolées, coupées des réalités de leur temps. Bien au contraire, elles s’en nourrissent. Par conséquent, les séparer de leur contexte revient presque toujours à en brouiller l’exacte compréhension. Au lendemain de l’armistice, Dominique Braga, dans les colonnes du journal Le Crapouillot, partant justement du constat que l’art est toujours le produit d’une histoire, d’un moment, s’interrogeait sur les modifications que les événements récents allaient lui faire subir :

Tout ceci changera puisque notre époque change. Un romantisme créateur et imprécis parcourt les masses fécondes d’Europe. Il se révèle au hasard des peuples en gestation par ces impulsions d’instinct où se devine une espérance qui se cherche. Il ne peut pas ne pas passer dans les esprits et se manifester dans l’art. Le bouleversement social lancera sur la surface du continent des créations spontanées qui exprimeront sa volonté nouvelle. Et l’art renaîtra de là. Il sera dans ceux qui sortiront de la mêlée avec la souffrance et l’inquiétude plein leurs entrailles. Il sera dans ceux qui s’intégreront à l’angoisse des jours pour en crier tout le désir.4

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Cette prédiction semble parfaitement convenir pour expliquer l’orientation nouvelle du cinéma de Gance. Les répercussions de la violence extrême et de la mort massive ont été considérables sur l’évolution de sa sensibilité à l’issue du conflit. Une sensibilité qui s’inscrit dans un contexte où l’on s’interroge sur le sens de tant de souffrances consenties, et où l’on vit dans la hantise d’un nouveau conflit.

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C’est bien dans cette matrice cruelle, ce remords collectif, cette crainte de l’avenir, qu’il faut chercher le fondement de ses convictions universalistes, de son pacifisme viscéral, l’origine de son souci constant de rappeler à l’ordre une communauté oublieuse afin qu’une telle catastrophe ne se reproduise plus. De là viennent également ses rêves chimériques concernant les capacités du cinéma (en particulier du sien), ses attentes messianiques, ses illusions perdues sur l’impact de la « résurrection lumineuse ». Selon lui, réaliser des films, « ces grandes associations d’images » pour reprendre ses mots, « c’est créer pour toute l’humanité une mémoire unique, une sorte de musique de la foi, de l’espoir, des souvenirs »5.

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La prégnance de ce drame laisse une trace perceptible dans ses écrits et certains de ses films où les références sont plus ou moins flagrantes. C’est donc à la lumière de ce constat qu’il faut revoir une partie de son travail pour mieux en saisir toute la portée. Il y a en effet, de toute évidence, une continuité évolutive (dont on pourrait dire que le fil conducteur est le personnage de Jean Diaz) entre ses premiers projets datant de 1914-1918, où ferveur patriotique et religieuse se mêlent inextricablement à une forte charge émotionnelle, et le J’accuse de 1937, qui, tout en étant le point culminant de son rapport à la Grande Guerre, est également une sorte de synthèse de ses considérations idéalistes. En passant, bien sûr, par sa fresque évangélique la Fin du Monde réalisée en 1930, qui est une étape intermédiaire importante. En d’autres termes, nous n’avons pas l’intention d’effectuer une interprétation exhaustive du contenu de tous ces films où Abel Gance a mis tant de lui-même, mais de les mettre en perspective les uns avec les autres, pour mieux comprendre le cheminement de sa pensée changeante, ainsi que les circonstances qui ont permis à ses projets de voir le jour.

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À cet égard, l’examen des archives conservées au département des Arts du spectacle de la Bibliothèque nationale de France est très instructif : notes et remarques provenant des carnets du cinéaste ; correspondances, articles divers et documents connexes ; mais surtout, pour chaque film, les étapes de l’écriture du scénario (textes manuscrits, puis dactylographiés, presque toujours annotés), tout cela apporte des indications précieuses et éclairantes6.

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On a souvent dit et écrit que c’était un personnage ambigu, que ses prises de position étaient contradictoires. Certains historiens du cinéma ont été beaucoup plus loin. Ainsi Jean Mitry affirmait-il ironiquement à propos de la Fin du Monde qu’il s’agissait d’une « cacophonie de naïvetés emphatiques et de platitudes socialo-philosophiques », et que le second J’accuse était « un délayage philosophico-sentimental »7. Nous défendrons au contraire l’hypothèse que les paradoxes apparents dans ses œuvres cinématographiques successives sont révélateurs des relations particulières qu’entretient la société française avec la guerre de 1914 à 1918, puis, une fois la paix retrouvée, avec son souvenir.

La guerre : entre répulsion et fascination créatrices

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Abel Gance, comme la plupart des hommes de sa génération, pensait que la civilisation était nécessairement synonyme de progrès. La guerre ébranle sérieusement cette certitude. D’où l’idée de la perversion de la science qui devient une constante dans son cinéma à partir de 1915. Son univers est peuplé de savants, d’inventeurs visionnaires qui deviennent fous, dont les trouvailles, si elles n’étaient pas détournées de leur sens premier, pourraient servir l’humanité. Ses carnets montrent que très souvent il envisage de faire des films fantastiques à partir de procédés ou de découvertes techniques dont il a eu connaissance et qui exercent un pouvoir d’attraction puissant sur son imagination. Il est vrai que la Grande Guerre est le premier conflit militaro-industriel où la science joue un rôle aussi déterminant. Tous les belligérants cherchent en effet, dans les laboratoires et les usines, à mettre au point de nouvelles armes destructrices pour tenter de s’imposer. La presse publie fréquemment des articles à ce sujet. Gance s’en sert pour écrire ses scénarios.

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L’un des premiers semble daté de la fin de l’année 1914, il s’intitule L’aéro-infernal8. Il y est question d’un avion équipé d’un appareil permettant d’enflammer à distance de dangereux explosifs qu’un industriel peu scrupuleux cherche à substituer à son inventeur pour le vendre aux Allemands. D’après ses carnets intimes, il envisage aussi de faire référence, dans « un épisode patriotique », à des bombardements aériens au-dessus de certains quartiers de Paris. Quoi qu’il en soit, le projet le plus ambitieux sur lequel il travaille à ce moment-là est le Spectre des tranchées9. Il précise qu’il s’agit-là de son plus beau scénario, qu’il va faire des repérages sur le front anglais (cela est interdit du côté français), et que les scènes de guerre seront réalisées à Fontainebleau. Mais son producteur, Louis Nalpas, ne semble guère avoir partagé l’enthousiasme de Gance. En parcourant le dossier constitué par le cinéaste, on découvre les deux coupures de presse avec illustration étant à l’origine de ce film qui ne sera pas tourné. La première concerne une certaine « cuirasse d’Achille », légère et pliante pour le transport, dont les fabricants assurent qu’elle protège les soldats, ni plus ni moins, contre les coups de baïonnette ou de sabre, les éclats d’obus, les balles de shrapnells… La seconde parle d’un masque de fer, lui aussi présenté comme une invention exceptionnellement efficace :

C’est le heaume des paladins du temps de Charlemagne ou de Philippe Auguste, mais consolidé et habilement adapté aux nécessités de l’heure présente. Frappé du trop grand nombre, hélas ! de sous-officiers ou d’officiers observateurs mortellement ou grièvement atteints au moment où ils haussaient la tête au-dessus de la tranchée, pour repérer à la lorgnette les positions ennemies, un officier d’administration de l’armée territoriale, le capitaine Broyant, a imaginé ce casque protecteur dont la terrifiante silhouette, à elle seule, exercera sur les Boches une intimidation salutaire. L’armature est en tôle d’acier dur, chromé au nickel pur et imperforable. Non seulement la face de l’observateur se trouve ainsi protégée mais aussi ses mains ; les jumelles, grâce à un mécanisme aussi simple qu’ingénieux, étant mises au point automatiquement. Nul doute que le protège-observateur offert par son auteur à la commission des inventions dans un but exclusivement patriotique, ne devienne vite populaire dans les tranchées parmi les officiers, assurés désormais de l’incognito et appelés à bénéficier de l’impénétrabilité du masque de fer.

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En lisant le Spectre des tranchées, on mesure combien Gance s’est inspiré de ces inventions que l’on peut qualifier de fantaisistes. C’est l’histoire d’un vieux chimiste (Féragus) qui fabrique une cuirasse dite « de Galva » dans un alliage plus résistant que l’acier. Pour remplacer son fils Gérard mobilisé (Gance envisageait de faire appel à Henri Roussel pour ce rôle), il engage un assistant (Fraz) qui n’est autre qu’un espion allemand. Lequel, bien sûr, sabote le travail de l’inventeur. Résultat : la vulnérabilité des cuirasses occasionne de nombreux morts parmi les soldats qui les portent. Féragus est emprisonné pour escroquerie et son fils, ayant été blessé après en avoir utilisé une, est persécuté par ses camarades de tranchée. Le vieux chimiste obtient finalement d’une commission militaire l’autorisation de faire la preuve de sa bonne foi. Il renouvelle donc son expérience en revêtant lui-même une cuirasse, mais Fraz parvient au dernier moment à intervertir la bonne avec une mauvaise. Féragus, touché par la balle dont il devait être protégé, devient fou et est interné. Il ne reconnaît même plus son fils venu le voir au cours d’une permission. Celui-ci retourne alors au laboratoire où il surprend Fraz en train de rédiger un rapport à ses supérieurs. Une bagarre s’engage entre les deux hommes durant laquelle Gérard tue l’Allemand. Décidé à innocenter son père, il repart pour le front avec la bonne cuirasse et le pare-figure qui donne « l’apparence d’un terrifiant masque d’or ». Il s’y illustre effectivement dans de nombreuses actions héroïques tandis que Féragus est réhabilité. Il serait erroné de penser qu’une telle affabulation est exceptionnelle. Elle correspond au contraire parfaitement à l’état d’esprit de l’époque où tout concourt à l’exaltation patriotique. On oublie en effet trop souvent aujourd’hui que l’immense majorité des créateurs (poètes, romanciers, peintres, dramaturges, cinéastes) participent alors activement à la « culture de guerre », c’est à dire à cette somme de représentations qui sert de cadre à l’investissement des populations dans le conflit.

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Le 22 avril 1915, dans la région d’Ypres, les Allemands, au mépris des conventions internationales qu’ils ont signées, se servent pour la première fois de gaz asphyxiants devant le village de Langemarck. Dès lors, l’utilisation particulièrement cruelle de substances délétères sur le champ de bataille va marquer autant les chairs que les esprits10. L’horreur durable provoquée par les gaz dans l’opinion publique est amplifiée par de nombreux récits publiés dans les journaux (l’indignation et l’émoi que suscite cette attaque, considérée comme atrocement déloyale, renforce considérablement la haine de l’ennemi) dans lesquels Abel Gance puise des idées.

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L’arme chimique, procédé abominable, tout en suscitant chez le cinéaste un fort sentiment d’aversion, le fascine au point qu’il lui consacre, en janvier 1916, un nouveau film aux allures de serial : les Gaz mortels (ou Brouillard de mort qui est le premier titre). Il s’agit de l’histoire d’un vieux savant, appelé Hopson, spécialiste en chimie expérimentale, qui, au début de la guerre, est sollicité par le gouvernement français pour inventer des substances toxiques afin de les utiliser contre les ennemis employant déjà ce « funeste moyen »11. Malgré son ardent patriotisme, le scientifique, « qui n’avait jamais pensé qu’au bien de l’humanité », refuse dans un premier temps de participer à un tel projet. Mais, après avoir appris le décès de son fils au front des suites d’une pneumonie due aux gaz asphyxiants, il décide de se mettre au travail dans une usine désaffectée mise à sa disposition. Hopson y élabore un terrible produit provoquant après inhalation une mort rapide. Là-dessus vient se greffer une sombre histoire de complot impliquant son neveu et sa nièce qui cherchent à l’éliminer afin de lui ravir sa fortune. Pour cela, ils sabotent les canalisations de l’usine, libérant une nuée de vapeurs nocives qui forment un épais brouillard. Lequel, au gré du vent, dérive dangereusement, menaçant de s’étendre sur la ville proche et d’empoisonner ses habitants. Toutefois, Hopson et son assistant parviennent à l’aide de puissantes fusées à disséminer les gaz mortels, évitant ainsi la catastrophe.

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La mise en scène de Gance est résolument audacieuse, exploitant avec pertinence la dimension fantastique du sujet. On discerne déjà dans ce film les principales idées et figures de style qu’il perfectionnera par la suite et qui feront son succès. La séquence véritablement infernale de la panique des ouvriers qui, épouvantés, fuient l’usine envahie par une épaisse fumée blanchâtre, et celle montrant la course-poursuite pour stopper la nappe gazeuse sont très impressionnantes (ces images préfigurent celles de la terreur frénétique des vivants devant le cortège des morts dans les deux J’accuse, et celles de la panique de la foule à l’annonce de la destruction prochaine de la Terre que Gance tournera en 1929 dans les vieilles rues de Montmartre pour la Fin du Monde). La maîtrise formelle du cinéaste est parfaite : décors réalistes, grande variation dans l’échelle des plans, cadrages insolites, recours au montage alterné pour tenir le spectateur en haleine. Encore une fois, le souci du détail pousse Gance à faire porter par ses personnages des masques de protection (voir photographie ci-jointe) qui ressemblent énormément aux tampons respiratoires rudimentaires utilisés par les soldats, et qui ont été reproduits dans la presse illustrée et les actualités cinématographiques de l’époque. Ce film, étonnante expression indirecte des terribles répercussions de la guerre moderne, sort sur les écrans en septembre 1916, tandis que les Français utilisent à leur tour sur le front des engins suffocants, que l’escalade des hostilités chimiques ne fait que commencer, et que les autorités militaires alliées décident subitement de censurer toutes les informations à ce sujet. L’usage des gaz de combat, effroyable symbole du premier conflit industriel, va profondément marquer la mémoire collective, renforçant le sentiment d’horreur et de dégoût que suscitera le souvenir de 14-18 dans les années vingt et trente.

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J’accuse, sur lequel Abel Gance travaille à partir de 1917, est bien évidemment son film le plus important et le plus original car il transcende les limites du simple film de guerre. Nous ne reviendrons pas sur l’élaboration complexe de ce projet et renvoyons à l’article que nous lui avons déjà consacré12. Il faut néanmoins rappeler qu’il s’agit d’une œuvre pluridimensionnelle s’intégrant dans un cadre de références sociales, artistiques, intellectuelles, économiques étroitement associées et interactives, qui a fortement conditionné la démarche du cinéaste. Oscillant entre mythe et réalisme, humanisme et nationalisme à tout crin, elle prouve à quel point Gance est impliqué dans la culture de guerre. L’étude de l’intertextualité du film est particulièrement intéressante tant est grande sa relation avec d’autres créations de l’époque. En outre, la composante documentaire de certains plans insérés notamment dans la troisième partie, largement inspirés dans leur composition plastique des récits de guerre d’Henri
Barbusse, inscrit J’accuse dans l’univers contemporain et lui confère une force esthétique relativement nouvelle pour le cinéma français. Néanmoins, tout en faisant preuve d’innovation et de modernisme, Gance ne fait pas table rase du passé. Plusieurs aspects de son film ont des traits communs avec des formes de représentation anciennes, comme l’allégorie du chef gaulois, symbole de la résistance à l’invasion étrangère, qui incarne l’indéfectible combativité des soldats français. De tels clichés proches de l’imagerie d’Épinal, nombreux au début du conflit, s’estompèrent avec le temps, mais ne disparurent pas totalement comme l’atteste l’usage qu’en fit Gance, prouvant ainsi combien les mentalités, malgré l’expérience de la guerre, résistèrent au changement.

L’utopie pacifiste

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Au lendemain de l’armistice, en l’espace de très peu de temps, s’opère un considérable renversement de situation. On passe en effet d’une acceptation collective du sacrifice au nom de la victoire à tout prix – à laquelle Gance comme tout le monde n’a cessé de croire –, à une forme de condamnation de la guerre considérée comme un mal absolu dont il faut se préserver pour toujours. Ce qui pourrait paraître contradictoire est précisément emblématique de l’évolution de la pensée des courants pacifistes qui se développent durant l’entre-deux-guerres. Une rupture radicale que l’historiographie actuelle explique fort bien :

Là où la guerre avait suscité, de 1914 à 1918, un profond consentement, lui-même adossé à un millénarisme d’espérance en une humanité neuve qui peut s’apparenter à un véritable « mythe de croisade », la trace de la guerre provoqua ensuite un rejet profond, au cours des années trente en particulier, un rejet à la mesure de ce qu’avait été la force de l’attente eschatologique initiale.13

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On retrouve la trace de ce changement dans l’œuvre de Gance, qui prend une orientation nettement pacifiste à partir de 1919. S’inscrivant dans un système de référence fondamentalement différent, il réinterprète d’ailleurs son film J’accuse, lui donnant un sens pacifique qu’il n’avait pas à l’origine. Une lettre de 1925 à l’ancien député socialiste Albert Thomas (avec lequel il sera ensuite très lié), qui est devenu responsable du Bureau international de travail à la Société des nations (SDN), en porte témoignage :

Vous connaissez de réputation je pense mon film J’accuse. J’accuse la guerre – et vous savez peut-être quelle influence morale il a eue dans le monde entier – pour essayer de faire comprendre l’inutilité des massacres. Il était dans mon esprit, en suite à J’accuse, de faire une trilogie dont le second film se serait appelé les Cicatrices et le troisième film la Société des Nations. Ceci se passait en 1918. Vous voyez que j’étais wilsonien et anticipateur. Des considérations commerciales m’ont détourné de ce grand but. Je le regrette amèrement et suis prêt à y revenir car, en fin de compte, les grands problèmes moraux de l’humanité sont à l’heure actuelle à la base de tous les autres graves problèmes, et le cinéma doit là jouer son rôle magique de silencieux prédicateur.14

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Dès lors, la frayeur rétrospective de l’extrême brutalité de la guerre apparaît à plusieurs reprises dans les projets de Gance, notamment tout au long de la préparation de la Fin du Monde. Des notes de travail parlent du pessimisme de ses personnages ayant connu le néant et le début du prologue de son premier scénario daté du 25 mars 1929 est on ne peut plus clair :

En ce temps-là les hommes se trouvaient si fatigués qu’ils ne pouvaient lever leurs yeux plus haut que les toits des banques ou les cheminées des usines. La guerre venait de terrasser les plus belles énergies, et les dernières croyances dans un Dieu juste s’en étaient allées au vent des haines. Le cœur du monde était anéanti par la douleur, les larmes et le sang en vain répandu. De la campagne la plus fleurie à la ruelle la plus déserte, la grande lassitude s’étendait comme un voile ou montait en tourbillons noirs avec la fumée des usines ; et les mères sur le seuil des portes n’apprenaient plus le rire à leurs enfants. Quant aux mâles, ils s’en étaient à peine revenus de la guerre, comme des troupeaux, échappés par hasard au massacre, que déjà l’ancien but, l’Argent, se rallumait, féroce, dans leurs prunelles.15

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Ses deux héros, Martial et Jean Novalic sont des êtres désabusés dont les aspirations pacifistes sont très fortes. Le premier, chimiste, physicien, astronome, bien qu’ayant encore le profil scientifique des personnages des films précédents, s’est rendu compte que le progrès n’apporte pas systématiquement le bonheur aux hommes et que « les dangers des guerres, les dangers des révolutions, les dangers scientifiques restent plus grands et plus graves qu’ils n’ont jamais été ». Son frère Jean, poète maudit, sorte d’apôtre voué au rachat de l’humanité, en proie à un sombre désespoir devant « les fiévreux préparatifs de guerre qui s’opèrent de toutes parts », se laisse mourir par dépit. Mais c’est la fin du film, moment paroxystique représentant les dernières journées avant la chute de la comète sur la Terre annoncée par Martial, qui traduit probablement le mieux la psychose de la guerre, « le summum de l’épouvante qu’il soit possible d’atteindre humainement » écrit Gance16. Une séquence qu’il envisage de réaliser avec des moyens techniques hors du commun. Tout indique d’ailleurs, contrairement à ce que le cinéaste dira par la suite pour essayer de justifier l’échec de son film, qu’il souhaitait dès le départ faire un travail important sur la bande sonore :

Il n’y a pas, je le répète, de thème plus puissant. Chaque plan devient comme une sorte de dynamite visible qui fait sauter les charnières de la pensée normale. Les choses se présentent sous un angle absolument neuf, donc cinématographique, et jamais ressenties, jamais objectivées. Le synchronisme peut jouer dans tout ceci un rôle
inimitable. Tous les bruits, toutes les sonorités connues et surtout
inconnues pouvant intervenir comme facteur d’émotion dans cette apogée. La nouvelle densité de l’air ralentissant toutes choses, une partie des accidents seront vus au ralenti, permettant des catastrophes terrifiantes, permettant d’en décomposer l’épouvante. D’autre part le mélange dans l’air de protoxyde d’azote provoquera une sorte de bienheureuse torpeur muée en hilarité pour beaucoup, qui donnera à tous ces tableaux une physionomie inoubliable et dantesque.17

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Et l’on comprend que le cataclysme provoqué par la collision imminente que Gance imagine fait écho, indirectement, à l’abomination de la guerre. Un aspect qui n’a pas échappé à certains critiques cinématographiques, comme le prouve ce texte publié après la sortie du film, et ce malgré plusieurs coupures opérées dans la séquence en question sans égard pour les intentions de l’auteur :

D’évidence, la comète dont le passage sur le globe doit entraîner la fin de la planète n’est qu’un prétexte. Abel Gance eût tout aussi bien pu évoquer la guerre des gaz, à laquelle son film fait d’ailleurs souvent songer. Une ultime leçon est nécessaire pour que les hommes se regroupent. C’est dans un extrême péril mondial que Gance recherche cette leçon.18

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On pourrait ajouter que, dans l’esprit du cinéaste, les scènes d’orgies, sorte de tableau général de la décadence sociale, renvoient aux comportements des « années folles », à cette débauche de plaisirs où l’on cherchait, en vain, à oublier définitivement la guerre. Années d’insouciances qui ont été brutalement interrompues par la crise économique, laissant place à l’inquiétude, à l’incertitude.

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Dans l’épilogue, la séquence de la réunion des États Généraux s’inscrit dans la droite ligne des principes sécuritaires que la Société des nations essaye de faire appliquer depuis sa création en avril 1919, afin de permettre aux différents pays y appartenant de construire ensemble une paix durable19. Si, dans la réalité, les tentatives d’arbitrage de l’organisation supranationale sont souvent vouées à l’échec, il n’en est pas de même dans le cinéma de Gance où les situations les plus désespérées prennent toujours une tournure favorable. Martial Novalic, qui préside les fameux États Généraux, finit par imposer ses idées universalistes. Il décrète notamment la prison à perpétuité contre quiconque inventera, utilisera ou perfectionnera des armes. Il fait détruire solennellement et symboliquement le dernier canon. Grâce à lui, la haine des races et les rivalités entre les peuples sont condamnées à disparaître.

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Il faut quand même préciser que cette surenchère d’optimisme s’enracine dans un apolitisme pour le moins déconcertant. Gance a une vision de la situation internationale extrêmement confuse. Il écrit ainsi à propos de son personnage, faisant preuve de peu de lucidité, « [qu’]il n’obéit à aucun parti, [qu’]il apprécie autant Karl Marx que Washington, autant Lénine que Mussolini, [qu’]il sait qu’on ne peut pas voir clair politiquement d’un seul côté de la barricade, mais qu’il faut regarder toutes choses du dessus pour bien en pénétrer la signification »20.

23
Plusieurs remarques du cinéaste, tout en étant conformes à son ambition artistique, montrent qu’il se croit investi d’une mission. Il est en effet intimement convaincu que son film messianique jouera un rôle déterminant : « Le tremplin idéaliste est nécessaire à cette œuvre pour lui donner une profonde signification dans les années qui vont venir, alors que l’humanité paraît de plus en plus en plein désarroi moral »21. Plus loin, il prend soin de préciser : « […] élevant ainsi le cinéma à la hauteur d’une chaire, d’un code, ou d’un livre sacré »22. Mais, de toute évidence, l’utopie gancienne23 ne fait pas l’unanimité. Il suffit pour s’en rendre compte de lire les articles publiés juste après la sortie du film sur les écrans. Même les critiques les mieux disposés à son égard, tout en admettant souvent ses louables intentions, émettent de sérieuses réserves sur sa naïve vision prophétique. C’est le cas de Jean Fayard qui écrit dans Candide :

Nous avons affaire à un homme qui a des dons très exceptionnels de metteur en scène, qui cherche en chaque occasion à nous donner du nouveau, à se surpasser, à sortir des sentiers battus […] Certains passages, assez nombreux d’ailleurs, de ce film sont extrêmement réussis : d’abord tous les aspects de la vie mécanique moderne, imprimeries de journaux, stations de TSF, observatoires astronomiques […] Tout irait donc très bien, dans la meilleure des fins du monde, et nous applaudirions le plus vigoureux de nos metteurs en scène, s’il ne s’agissait que de quelques passages, et non d’une histoire qui se prétend coordonnée. Et là, hélas, on nage dans l’absurdité. On avait bien rarement entassé autant de sottises avec autant de conscience […] Quel malheur que tant de belles qualités soient gâchées et mises au service de sornettes aussi ridicules […] On aurait préféré des hypothèses défendables à toute cette idéologie à quatre sous.24

24
Georges Altman fait un constat à peu près similaire. Il commence son compte-rendu en précisant : « nous ne serons pas de ceux qui, par ailleurs permanents flatteurs de la plus basse production et des pires navets en cours, saisissent l’occasion d’une œuvre discutable, mais autre, pour s’acharner à belles dents et railler le destin malheureux d’Abel Gance ». Mais il reconnaît ensuite avoir assisté à la projection du film « crispé de gêne ». Il ajoute cependant à propos de la séquence de la panique :

Il y a là des images maîtresses, qui restituent une atmosphère hurlante et déchirante de corps, de bras, de visages, de cris, entrechoqués en une symphonie frénétique bien maniée […]. Ainsi, lorsque Gance supprime ses pauvres dialogues et toutes ces défroques d’humanité à qui il pensait donner chair et vie, quand il fait appel à la seule puissance de l’élément, vent, mer, foule, se retrouve-t-il devant nous.25

25
Les principaux détracteurs du cinéaste se situent naturellement à l’extrême droite. C’est ainsi que les rédacteurs de l’Action française, farouchement hostiles à toute forme d’internationalisme qu’ils assimilent au bolchévisme ou au judaïsme, s’en donnent à cœur joie. Jean-Pierre Gelas écrit notamment :

Si nous reprenons les passages les plus importants de la Fin du Monde, nous prenons sur le fait la corrélation entre l’indigence de l’esprit et la platitude de l’image et du dialogue : nous voulons parler de la scène des États Généraux de la Terre et des proclamations de l’astronome. Aucune grandeur ne peut et ne pourra jamais se dégager des bêlements couards sur la fraternité des hommes, des classes et des pays, ni des phraséologies ronflantes, ni des notions primaires sur les rapports sociaux.26

26
Mais le plus virulent est François Vinneuil (alias Lucien Rebatet), attaquant personnellement le cinéaste avec le style si haineux qui le caractérise :

M. Abel Gance est le type du vieil adolescent qui traverse l’existence avec des rêves de collégien. Les gens de cette sorte, lorsqu’ils n’ont pas de génie, sont terriblement ridicules. Mais, vraiment, pourrait-on s’indigner contre eux ? Nous osons à peine ajouter que M. Abel Gance est juif, ce qui éclairerait toutefois le débat. Plus d’un Israélite pourrait s’offusquer à son bon droit de se voir confondu avec ce primaire en délire. Mais le messianisme de M. Gance prend des formes trop puériles pour qu’on veuille l’assimiler à des ferments destructeurs, aux souffles révolutionnaires qui accompagnent le peuple errant.27

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Toutefois, son projet le plus ouvertement pacifiste est le second J’accuse, qu’il entreprend à partir de mai 1937. Il évoque la montée des périls pour en justifier la réalisation. Il est vrai que depuis 1931 la situation internationale s’est constamment dégradée. Les Japonais ont occupé la Mandchourie. En mars 1935, Hitler a rétabli le service militaire obligatoire. L’année 1936 a été marquée par le début de la guerre civile espagnole et l’invasion de l’Éthiopie par les troupes mussoliniennes. À peine dix ans après le pacte Briand-Kellog, qui déclarait la guerre hors la loi, les belles promesses de paix universelle auxquelles Gance était tant attaché ont volé en éclats et la menace d’un prochain conflit européen n’a jamais été aussi grande. Cependant, il croit encore, parmi d’autres, qu’il suffit de le vouloir pour empêcher la catastrophe.

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Ce refus obstiné d’accepter la guerre comme inévitable est tout à fait symptomatique du credo pacifiste. Comme l’a bien montré Antoine Prost, à cette époque, les anciens combattants, niant l’évidence, continuent à penser que la guerre n’aura pas lieu car c’est pour eux un devoir moral que de rejeter jusqu’à son idée même28. Une position qui sera lourde de conséquences. Chez Gance, elle est d’autant plus surprenante qu’elle se nourrit toujours de cette croyance à un renversement de situation, quasi providentiel, par l’action de son cinéma, auquel, nous l’avons vu, il assigne un sens supérieur. En 1937, il se souvient sans doute qu’en octobre 1919 plusieurs journaux, dont le Neue Wiener Tageblatt, déclaraient que si son J’accuse avait été montré sur les écrans du monde entier en 1913, le conflit aurait été rendu presque impossible. D’où ce nouveau projet qu’il conçoit comme une création ambitieuse dont l’objectif affiché est de rapprocher les peuples par l’image afin, dit-il, de « rayer la guerre de l’avenir des hommes » :

Au lendemain de la guerre, on parlait des États-Unis d’Europe.
L’Europe aujourd’hui est divisé en deux blocs rivaux. Nous respirons un air empoisonné et nous dormons sur des millions de tonnes d’explosifs. N’est-il pas du devoir de tous ceux qui peuvent toucher un large public, qu’ils soient orateurs, écrivains ou cinéastes, de dénoncer les dangers qui nous environnent ? Comme le livre, le cinéma a sa mission et mon film n’aura pas été inutile si, comme je l’espère, il incite le spectateur à faire un retour sur lui-même. Ne sommes-nous pas, tous, un peu responsables de l’état de choses actuel ?29

29
La confiance excessive qu’il a en lui-même et en son projet le pousse à demander à l’armée de mettre à sa disposition la bagatelle de 1 000 soldats. On lui répond, naturellement, que dans les circonstances d’alors, cela n’est pas possible. Suite à ce refus catégorique, Gance envoie au ministre concerné une lettre où il exprime sa déception et son incompréhension, insistant encore sur le caractère exceptionnel de son film :

Ainsi, en 1918, pendant la guerre, j’obtiens, pour un film qui en dénonce les dangers, le concours de plusieurs milliers d’hommes qui, revenant du front ou y repartant, étaient seuls les véritables acteurs du grand drame que j’exécutais et, en 1937, en temps de paix, les mêmes concours pour le même objectif me sont refusés sous des prétextes fallacieux. Que des bureaux ne comprennent pas, rien d’extraordinaire. Le contraire serait une originalité ; mais qu’un homme de votre qualité et de votre cœur ne saisisse pas l’importance considérable que ce film peut prendre, à un des tournants les plus tragiques de notre histoire européenne, me laisse dans une mélancolie indicible. […] Il est impossible, quand on la connaît, de ne pas sentir l’énorme importance que cette œuvre doit prendre dans la vie internationale pour défendre l’esprit pacifique de notre pays. Je suis trop loin de la politique, vous le savez, pour que le film, à aucun moment, puisse s’embarrasser d’une étiquette, mais il me paraît à ce point nécessaire qu’il est impossible qu’un ami ne comprenne pas la portée du cri d’appel et de souffrance qu’il jette aux hommes.30

30
Il est frappant de constater à quel point Gance veut donner l’impression d’une continuité dans son œuvre entre 1918 et 1937. À la fin de sa lettre, il prend aussi bien soin de dire avec insistance qu’il ne fait pas de politique. Ce qu’il avait déjà affirmé, peu de temps auparavant, dans un entretien accordé au quotidien Paris-Soir31 où il prétendait rejeter toute influence des thèses développées par Aristide Briand ou Ilya Ehrenbourg, revendiquant au contraire un pacifisme impartial proche, selon lui, des idées de Jean Giono et de Louis Ferdinand Céline. Pourtant, la dimension politique n’est pas totalement absente de son projet, du moins au départ, comme l’atteste la lecture du premier scénario. On y trouve en effet des références directes à certains discours, en particulier ceux du radical-socialiste Daladier, alors ministre de la Défense nationale du cabinet Blum.

31
Au demeurant, l’aspect le plus engagé de son récit, sur le plan idéologique, concerne l’un des épisodes parmi les plus sombres de la Grande Guerre : celui des fusillés pour l’exemple. Dans le prologue du scénario, Gance fait référence de façon explicite à l’affaire célèbre des exécutions sommaires de soldats français à Vingré32. Cependant, pour les besoins de la fiction, il la transforme considérablement. Un de ses personnages, François Laurin, exténué après de durs combats, est condamné à mort avec onze de ses camarades pour avoir refusé de remonter en ligne. Jean Diaz, son ami, désigné pour le peloton d’exécution, lâche son fusil et vient se placer parmi les soldats devant être fusillés. Un adjudant l’abat de deux coups de revolver. En fait, il ne meurt pas. Malgré une très grave blessure (un projectile s’est logé dans un lobe de son cerveau), il parvient à s’en tirer et retourne chez lui après l’armistice.

32
Un tel récit n’a rien de surprenant tant il est vrai que, durant l’entre-deux-guerres (surtout entre 1921 et 1935), la figure du fusillé pour l’exemple s’impose dans l’espace public à travers les multiples campagnes de réhabilitation qui défrayent la chronique33. La littérature de guerre34, que Gance connaît très bien, évoque aussi fréquemment le cas de ces martyrs imputés à l’arbitraire de la justice militaire. Cette figure du fusillé devient donc un enjeu de mémoire et une image obsédante35.

33
D’une façon générale, le débat autour de cette question, orchestré par les associations d’anciens combattants, la Ligue des droits de l’homme et les partis de gauche, est récupéré par tous les militants pacifistes qui y voient une des plus éclatantes preuves de l’absurdité de la guerre. D’où le vif intérêt que le cinéaste porte encore à ce sujet en 1937. Toutefois, craignant probablement que la censure (toujours extrêmement méfiante et intransigeante lorsqu’il s’agit de cinéma) refuse de laisser passer une telle scène, il abandonne cette position critique en cours de route. Du reste, tout comme Raymond Bernard qui, en 1930, dans son adaptation pour l’écran des Croix de bois de Roland Dorgelès, avait volontairement supprimé le chapitre « Mourir pour la patrie » relatant l’exécution d’un soldat français.

34
Par ailleurs, Gance se souvient que, durant la guerre de 1914-1918, les constantes améliorations apportées aux systèmes de protection des soldats conduisirent les belligérants à inventer sans cesse de nouvelles armes toujours plus meurtrières. Aussi présente-t-il son héros Jean Diaz, rendu à la vie civile, comme une sorte d’antimilitariste :

Prévoyant le cataclysme possible d’une nouvelle guerre, il cherche comment il pourrait déjà en diminuer les effets. Et il invente, car son esprit sur ce sujet n’est jamais en repos, un cristal plus résistant que l’acier le plus dur, verre qui peut remplacer les plus épais blindages des navires, verre qui peut protéger mieux qu’une tourelle d’acier en laissant la visibilité. Il expérimente ses fameux masques de verre qui résistent aux projectiles les plus forts et rendent les blessures à la face à peu près impossibles (très belle scène de cinéma). L’étonnement des ingénieurs militaires est sans précédent. Les lois de la guerre peuvent être bouleversées mais Jean ne veut pas vendre le secret de son invention quand il s’aperçoit qu’elle n’aurait pour effet que d’augmenter encore davantage les engins de destruction.36

35
Le temps n’est plus à la fabrication d’armes redoutables. Désormais, toutes les énergies doivent converger vers la paix. Le cinéaste dit d’ailleurs : « Il faut abolir l’esprit de guerre et non lutter avec les moyens scientifiques pour essayer de la supprimer »37. Il n’est pas inutile de noter qu’il avait déjà été question, au moment de l’écriture de la Fin du Monde, de faire du personnage de Martial Novalic un inventeur voulant servir la cause pacifiste. C’est Georges Buraud38, un assistant de Gance, qui lui suggéra d’aller dans ce sens39. Le moyen d’empêcher les guerres mis au point par Novalic, refusé par tous les gouvernements, fonctionnait avec des appareils émettant des ondes mortelles sur une très grande hauteur et sur une largeur presque indéfinie. Ces « murs d’électricité infranchissables », comme des remparts modernes, auraient permis de garder l’intégrité territoriale de chaque pays. Là encore on mesure combien l’influence de l’actualité avait pesé sur l’évolution du scénario. Il suffit de rappeler que depuis 1925, suite à une proposition de Paul Painlevé, ministre de la Guerre, on parlait de fortifier la frontière Nord-Est pour se protéger d’une éventuelle invasion ennemie, et que cela déboucha sur l’édification de la ligne Maginot (du nom du député qui fit voter la loi permettant sa construction) en 1930. La suggestion de Buraud était donc sur ce point précis particulièrement significative ; mais Gance, in fine, ne la retint pas.

Le poids des morts sur les vivants

36
Les historiens, spécialistes de la période, ont bien montré que la question du deuil est absolument essentielle à la compréhension de l’entre-deux-guerres. Son ampleur est telle qu’aucune structure sociale n’y échappe40. Le rappel de la tragédie prend le pas sur celui de la victoire. D’où la multiplication des commémorations, depuis l’édification des monuments aux disparus jusqu’aux diverses cérémonies du souvenir, qui témoignent de la mise en place d’un véritable culte des morts.

37
L’œuvre de Gance, au cours des années vingt et des années trente, traduit en aboutissement cinématographique un tel processus. L’hécatombe de 14-18 est un fardeau qui pèse sur la conscience du cinéaste. Un état d’âme qu’incarne alors merveilleusement ce plan symbolique (et prémonitoire en ce qui concerne l’acteur puisqu’il succombera peu de temps après la fin du tournage) de la Roue représentant le calvaire de son héros aveugle, Sisif, qui porte une croix sur l’épaule, le long d’un chemin en pleine montagne, jusqu’à l’endroit où repose le corps de son fils. Or, en avril 1921, alors que Gance travaille sans relâche au montage définitif de ce film, sa jeune femme, Ida Danis, meurt de la grippe espagnole41. En juillet de la même année, alors qu’il est à New-York pour présenter J’accuse, il apprend le décès de son ami et acteur fétiche Séverin-Mars. On devine combien les disparitions consécutives de ces deux êtres chers l’ont affecté, tout en accentuant sa proximité avec la mort. Son chagrin et sa douleur entrent alors en résonance avec le deuil de la société française. Cette assimilation du drame personnelle au drame collectif paraît décisive pour comprendre la psychologie du cinéaste. D’ailleurs, le début du discours qu’il prononce en guise de notice nécrologique lors de l’inauguration du buste de l’acteur, en octobre 1922, en dit long sur cette obsession de la mort de masse :

Nos morts, nos chers morts creusent leur tombe aussi dans notre cerveau et ils y font un trou noir où ils vivent en silence toujours… Toute ma tête est déjà un cimetière, et je ne sais même pas si je n’ai pas été obligé d’enlever d’anciens morts pour y placer les nouveaux !42

38
Face à qu’il considère comme une effroyable fatalité, il se demande s’il ne s’agit pas d’un signe du destin : « Est-ce pour m’exhorter à m’élever plus haut dans l’ombre de leur croix ? »43. On ne s’étonnera pas, non plus, de cette lettre de l’acteur disparu, qu’il imagine de toutes pièces, et qu’il lit également à cette occasion :

Mon cher Gance. Il y a des morts qu’on n’enterre jamais ! Vous le savez bien, vous qui les fites revenir dans J’accuse. C’est parce que vous serez moins étonné qu’un autre en lisant cette lettre que que je vous ai choisi. J’ai appris qu’on parlait de moi aujourd’hui et j’ai décidé de venir moi aussi directement me mêler à la fête. Vous allez voir mes parents, mes amis, faites-leur bien comprendre, mon cher Gance, quel miracle s’est accompli avec votre Art. C’est peut-être la première fois que le film empêche réellement de mourir. Qu’ils se rassurent. Je reviendrai tous les soirs sur les écrans du monde entier, portant sur mes épaules l’invisible et lourde croix de la Fatalité qui alourdissait déjà les épaules d’Œdipe et de Prométhée.44

39
En fait, l’idée de faire revivre « les grands absents » par le cinéma, qu’expriment fort bien ces quelques lignes rédigées avec une émotion palpable lors de circonstances particulières, est récurrente dans l’œuvre de Gance depuis 1916. On pense immédiatement à cette séquence hallucinatoire de la résurrection des soldats tombés sur le champ de bataille dans son premier J’accuse. Cette scène, dans la pure tradition macabre, s’inspirant nettement de l’imagerie médiévale où l’on voit des irruptions de « transi » venant délivrer une leçon aux vivants terrorisés45, est une mixture assez singulière de valeurs nationales et de foi chrétienne. Elle scelle la dimension eschatologique du film. Gance reprend le thème pratiquement vingt ans plus tard46. Mais on oublie trop souvent le changement radical de signification entre les deux versions. En 1918, les morts sont des Français qui « se réveillent » pour aller à l’arrière vérifier que leur sacrifice n’a pas été inutile (et non pour condamner la guerre). Le message des défunts est une accusation contre les fils indignes, les femmes infidèles et les profiteurs de guerre. En 1937 le contexte historique est complètement différent. Le cinéaste, devenu ardent pacifiste, est persuadé que les populations des ex-belligérants ont oublié les innombrables victimes de la Première Guerre mondiale. Il conçoit donc son film comme un véritable monument, au sens propre du terme (d’ailleurs le générique a l’apparence d’un texte gravé dans une pierre tombale), érigé à la mémoire des disparus, une leçon d’histoire pour rappeler aux hommes le douloureux souvenir de la génération perdue. Il y met en scène une « levée » de tous les morts de la Grande Guerre (toutes les nationalités sont représentées, y compris les Allemands), qui sortent de leur nécropole à l’appel d’un ancien combattant (Jean Diaz alias Victor Francen) pour venir effrayer les vivants, afin, cette fois, de les dissuader de se battre à nouveau, d’éviter le retour de l’horreur. Visées pacifistes que résume parfaitement ce texte de Gance, dans un style morbide d’une rare dureté, figurant dans la brochure publicitaire du film :

Il ne peut pas être vrai que le sacrifice de millions d’êtres humains, dont les corps refroidis ne sont pas tous encore pourris, ait été vain. Il ne peut pas être vrai que l’idéal pour lequel ils sont morts n’ait été qu’une immense duperie fardée de gloire. Il ne peut pas être vrai qu’on ne puisse empêcher de se rallumer l’incendie qui les a consumés. Ou si cela est vrai, tant pis pour nous. Vous tous, morts de Verdun et morts de l’Yser, morts de la Somme et de Champagne, morts des plaines boueuses et d’au delà des monts, morts tués en plein ciel, morts couchés au fond des océans, morts noircis par les gaz, morts déchiquetés, morts dont le sang n’est pas encore sec, levez-vous et criez : Assez ! Assez ! car on vous a juré, pour que vous acceptiez de mourir, que cette grande guerre des Peuples serait la dernière. Assez ! si à vos enfants on a appris à oublier que c’est pour eux que vous avez crevé. Assez ! s’il n’a servi à rien que vingt hivers vous gèlent, si vous n’êtes qu’un engrais moins bon que les phosphates, si l’Inconnu n’est plus qu’une idole falote, si l’on se hait encore, si les champs qui vous couvrent ne connaissent plus la Paix […].47

40
L’attitude du personnage principal est comparable à celle des nombreux anciens combattants qui, au lendemain de l’armistice, culpabilisent fortement en songeant à la mort de leurs camarades. D’ailleurs, pour atténuer sa douleur, Jean Diaz, désireux de vivre à l’endroit devenu sacré (ad sanctos) où il aurait pu (dû) mourir avec les autres, s’installe dans une maison à proximité de Douaumont car, dit-il, « c’est là que ma vie s’est arrêtée ». On découvre alors en gros plan, sur un mur de la pièce où il vit prostré, une croix constituée des portraits photographiques de ses amis disparus qu’il vénére. Un travelling arrière vient ensuite le cadrer : cet élargissement du champ, par un lent mouvement d’appareil, permet de relier symboliquement les onze morts au seul rescapé, à celui qui a fait le serment que « tant qu’il y aura des survivants de la guerre, il ne sera pas possible que ça recommence ». L’hommage que Jean Diaz rend à ses camarades s’apparente à une véritable sanctification. Toute son existence est désormais destinée à faire en sorte que les vivants se souviennent d’eux et qu’ils renoncent à la guerre. Venant se recueillir sur le lieu où ils sont enterrés, il leur parle en ces termes poignants :

Vous dormez là, vous êtes onze morts dans la terre, mais dans mon esprit et dans mon cœur vous êtes terriblement vivants ! Vous me voyez, vous m’entendez, j’en suis sûr, vous réclamez de moi ce que je vous ai promis pour vous aider à mourir ! Je vous ai dit que cette guerre serait la dernière, que votre sacrifice ne serait pas inutile, que votre martyre serait sanctifié par l’amour et la paix entre les hommes !… Eh bien ! écoutez-moi : je ne vis plus que pour cette promesse, pour accomplir cette promesse ! Je ne suis qu’un pauvre homme seul, je ne suis qu’une ombre, je ne suis rien, mais j’ai toute votre force en moi, toute la force de tous les morts ! Et je serais votre parole et votre geste s’il fallait arrêter la guerre de demain !

41
Dans les films de guerre à tendance pacifiste réalisés en France entre 1928 et 1938, on trouve presque toujours des acteurs et des non-professionnels anciens combattants pour incarner les personnages de soldats48. La présence de ces hommes ayant vraiment connu l’épreuve du feu confère une dimension analogique aux images de fiction où ils apparaissent. Ils constituent, du moins c’est ce que les réalisateurs et le public pensent, un lien physique avec le passé, comme une garantie d’authenticité, un label de réalité.

42
Abel Gance va plus loin en faisant appel pour la première fois à des rescapés de la guerre très particuliers : les gueules cassées. Les mutilés de la face sont ceux qui, incontestablement, ont perdu, à travers leur visage, l’essentiel de leur identité personnelle49. Victimes vivantes emblématiques des horreurs de la guerre, leurs corps suppliciés renvoient à la vérité atroce d’une mort inachevée. Gance est persuadé que leur participation à son film est indispensable pour convaincre le public, une fois pour toute, de la monstruosité de la guerre. Ce qu’il appelle « la grande leçon de l’épouvante »50. Une intention que le colonel Picot, président de l’Association des gueules cassées, a bien compris, comme le prouve ce texte dans lequel il expose les raisons qui l’ont décidé à apporter son patronage au film :

J’accuse est un appel à la paix, une dénonciation pathétique des horreurs de la guerre. Or, nous, qui sommes les blessés de guerre les plus douloureusement marqués dans leur chair même, ceux dont le visage reste un témoignage impitoyable des atrocités vécues, nous continuons à lutter de toutes nos forces pour éviter le retour de pareilles heures. […] Le dégoût de la guerre s’estompe, s’affaiblit ; on peut distinguer chez les jeunes gens qui n’en ont pas connu les réalités sanglantes, une espèce de consentement plus ou moins avoué à la réédition d’un pareil crime. Nous devons lutter contre cette tendance à l’oubli. Que nos souffrances servent au moins à cela, puisque le souvenir de la grande tuerie n’est pas chez nous qu’un sentiment intime, mais qu’il est, hélas, inscrit ineffaçablement dans notre chair et que nous avons le triste privilège d’en communiquer l’image grimaçante, exacte aux générations actuelles. Celle d’une calamité sans contreparties qui l’excusent.51

43
Le fait que quarante de ces hommes défigurés aient accepté de défiler devant la caméra de Gance est exceptionnel. Il ne faut pas oublier en effet que, compte tenu de leur cruel handicap, beaucoup d’entre eux vivaient en reclus, à l’abri des regards. Dans ces conditions, on peut imaginer combien il leur fut difficile et sans doute douloureux, pour satisfaire les exigences du cinéaste, d’être de nouveau plongés dans l’atmosphère de la guerre. Cela explique le vibrant hommage que Gance leur adresse, au début du tournage, sur le terrain militaire du polygone de Vincennes :

Merci messieurs d’être venus. Merci d’avoir consenti à reprendre une tenue et des attitudes qui pour nous ne sont plus qu’un ignoble cauchemar. Ce cauchemar, cette vision d’horreur, que vous m’aiderez à réaliser, je veux qu’elle frappe tout le monde. Nul mieux que vous ne pouvait m’aider.52

44
Le résultat final est à la hauteur des espérances du cinéaste. Aujourd’hui encore, il n’est que de voir la fin de la séquence de la levée des morts, où les gueules cassées apparaissent en spectres, pour être saisi d’effroi. Il émane de cette composition symbolique, de ce « paroxysme visuel » comme disait Gance, une immédiateté brutale, envahissante et oppressante, qui met très mal à l’aise.

45
En fait, il s’agit d’une quadruple surimpression d’images (procédé esthétique déjà expérimenté dans la Roue et Napoléon) : l’arrière-plan correspond à un authentique ciel nuageux ; les croix ont été filmées devant l’ossuaire de Douaumont ; le « réveil des morts », constitué de dix-neuf figurants portant des masques de squelette qui sortent de leur tombe et des cimetières, a été tourné en studio. La marche des gueules cassées enregistrée au polygone de Vincennes vient donc se superposer aux trois vues précédentes53.

46
Du coup, dans un premier temps, on ne les distingue pas trop. Puis, lorsqu’ils avancent de toutes parts en direction de la caméra jusqu’à être cadrés frontalement, l’horreur s’impose. Soudain les mutilés semblent interpeller les spectateurs dans la salle de cinéma. La voix de Victor Francen, en contrepoint sonore, dit alors : « Regardez-les bien, pour que l’envie de vous battre s’arrache à jamais de vos cervelles ! C’est en remplissant vos yeux à satiété de tous les cadavres horribles de la guerre que les armes tomberont de vos mains ! ». La sensation de terreur est intense. Pour bien comprendre le sens de cette représentation de la mort, sous les traits d’hommes agonisants, de corps atrocement mutilés, il faut se rappeler que dès le début des années vingt les anciens combattants étaient persuadées que pour mobiliser l’opinion contre la guerre il fallait d’abord l’émouvoir et l’impressionner. On parlait ainsi de « saine épouvante » et « d’éducation par l’image » pour éviter le retour de la barbarie : « Ne serait-ce pas rendre un réel service à l’humanité que la forcer à voir ce qu’elle n’ose pas regarder, la mettre face à face avec la monstrueuse réalité, la contraindre à réfléchir aux conséquences de certains actes irréparables ? »54 s’interrogeait l’un d’entre eux, en 1926, alors que le préfet de police de Paris venait d’interdire à un artiste d’exposer au Salon des Indépendants une œuvre représentant le corps d’un soldat décomposé, ligoté à un barbelé. Or, visiblement, vingt ans après l’armistice, les autorités estiment encore que de telles images témoignent de façon trop violente des terribles conséquences de la guerre, puisque les censeurs demandent à Gance d’enlever ou de raccourcir cinq plans parmi les plus choquants avec les gueules cassées55.

47
Malgré les coups de ciseaux qu’ils devinent ça et là, et abstraction faite des lourdeurs de la partie mélodramatique, les critiques cinématographiques, dans leur grande majorité, soulignent l’indéniable effet de cette séquence envoûtante :

Il n’empêche que le lyrisme de J’accuse, accusation véhémente contre la haine et la folie meurtrière, nous empoigne, que certaines images s’imposent violemment à l’imagination […] On reprochera quelques longueurs et la greffe inutile d’une intrigue romanesque. Le meilleur est l’évocation cauchemardesque des morts, avec au premier plan le défilé pitoyable et hallucinant des gueules cassées. À lui seul, ce défilé est un plaidoyer pour la paix.56

48
Quant à l’ancien cinéaste André Antoine, qui connaît parfaitement Gance, il l’égratigne en faisant ressortir les défauts structurels de son film :

Au cours d’une carrière où il semble qu’il n’ait rien appris, nous retrouvons Abel Gance dans sa nouvelle production avec ses mêmes remarquables qualités et ses nombreux défauts […]. On peut estimer une si généreuse entreprise (faire se lever les morts pour s’opposer à la nouvelle guerre), mais il y a dans le film une rupture d’équilibre entre la première et la seconde partie qui en compromet l’intérêt et l’émotion. On ne peut évidemment qu’admirer le désintéressement et la foi d’Abel Gance qui a dû, comme il le fait si souvent, dépenser beaucoup de temps, beaucoup de travail et d’argent à une œuvre qu’il rêvait gigantesque, mais elle reste assez discutable.57

49
Mais, encore une fois, les plus outrageusement opposés à la démarche de Gance se situent à l’extrême droite de l’échiquier politique, comme en témoigne ce texte de Vinneuil dont les propos ignominieux sont absolument sidérants :

Cet ancien virtuose de la caméra n’est même plus capable maintenant d’enchaîner deux plans. Prenons pour ce qu’il veut son « réveil des morts ». Il pourrait du moins être visuellement saisissant. Mais sa réalisation est d’une pauvreté ridicule. Ces minables surimpressions voltigeant dans un orage d’opéra sont au cinéma de 1938 ce qu’est un gribouillis d’écolier à la peinture. […]. On s’échappe de là abasourdi, écrasé par de tels flots d’imbécillité et de démence. Le crétin qui a signé J’accuse est le pompier n° 1 du cinéma français […]. Ce sont d’infâmes polissonneries de petit esthète prudemment embusqué – comme tous les objecteurs et tous les pacifistes – qui n’a jamais su ce qui se passait à Verdun […]. Comment le colonel Picot a-t-il pu prêter pour cette mascarade les plus tragiques des gueules cassées ? D’anciens soldats ont donc accepté qu’un jocrisse étalât ces plaies, qu’il en jouât comme des larmes d’une cabotine, qu’il en fît un mélo démentiel. Quelle tristesse ! Hélas ! J’accuse peut bien devenir le film officiel d’un régime qui a saboté la victoire, qui abrutit et qui émascule par la jérémiade juive et démagogique un des plus vieux et des plus fiers pays d’Occident.58

La faillite des illusions

50
Le 5 janvier 1938, Abel Gance remet une première copie de travail à la Société de Production et d’Exploitation du Film J’accuse. De nombreux problèmes vont alors se succéder à un rythme soutenu. Un ensemble de correspondances permet d’en reconstituer la chronologie59.

51
Il y a d’abord les exigences de la censure dont nous avons parlé. Puis, les deux gérants de la société de production, MM. Desbrosses et Renault-Decker, lui reprochent d’avoir terminé avec quatre mois de retard par rapport aux délais prévus dans son contrat, et d’avoir sensiblement dépassé le budget. Mais c’est surtout la longueur du film qui suscite de sérieuses critiques. La copie montée fait 4 000 mètres alors que le cinéaste s’était engagé à ne pas dépasser 3 200 mètres. Une fois n’est pas coutume, il consent à faire quelques coupures. Les producteurs décident alors, pour la première fois en France, avant la sortie officielle, d’organiser une projection pour tester les réactions du public dans la salle de cinéma du village de Villeparisis (commune de Mitry-Mory). Dans une lettre datée du 15 janvier, Gance exprime son désaccord :

La copie qu’on y présentera ne sera plus conforme à l’originale puisque nous y avons fait des coupures et des changements. J’ajoute à cela que sa qualité défectueuse, quant au son et à la photographie, la rend impropre à une présentation dans un cinéma ne disposant pas des perfectionnements les plus modernes. Dans ces conditions, n’estimant pas que cette présentation réponde à son objectif qui était d’atteindre une véritable masse populaire, à Saint-Denis, par exemple, comme je l’avais suggéré, ou dans un quartier des boulevards extérieurs qui aurait donné une réelle impression de la réaction du grand public ouvrier, j’estime, à mon sens, inutile que j’y assiste car elle ne peut que fausser mon esprit dans tous les cas.

52
Finalement, il se rend à la projection qui, si l’on en croit la presse spécialisée60, est un succès. Il n’empêche que peu de temps après, les producteurs reviennent à la charge. Les tentatives de Gance pour justifier et défendre ses choix de metteur en scène ne servent à rien, il doit se résoudre à accepter de supprimer d’autres passages avant la sortie du film en exclusivité à l’Ermitage le 21 janvier. Le lendemain, il reçoit de la société de production une lettre recommandée exigeant de nouvelles coupures. Une liste de plans est établie contradictoirement le 23 janvier. Malgré cette troisième concession, les producteurs, que décidément rien n’arrête, prennent la responsabilité, sans l’accord de Gance qui s’est absenté de Paris, de raccoucir encore la copie. Dans une longue lettre envoyée à Gilbert Renault-Decker le 4 février, le cinéaste proteste vivement, faisant valoir sa compétence et son expérience pour défendre la structure narrative de son film :

Je me refuse à croire que, derrière moi, vous auriez « arrangé » le film sous les influences diverses qui vous assiègent et dont votre jugement personnel n’a pas su faire le lit. Je le déclare tout net : le film ainsi émasculé court à un échec certain, le drame sentimental étant, pour la foule, la seule porte qui nous permette de passer au drame d’idée. Quand il ne reste que l’idée le public s’en va, son intérêt n’étant pas éveillé par le conflit des personnages. Ce sont ces premières leçons de dramaturgie qui ont fait la fortune aussi bien du premier J’accuse que du Maître des Forges et qui, ainsi méconnues, font d’une grande œuvre un film ennuyeux et soufflé. Et notez bien ce qui va se passer : plus le film sera coupé et plus il sera interminable. Il était déjà abîmé sérieusement avec les dernières coupures que j’avais acceptées à contrecœur et ce pour pouvoir partir d’accord avec vous et bien montrer ma bonne volonté. L’avis de vingt personnes bien intentionnées ne correspond pas, pour moi, à l’avis des salles populaires dont le sens critique ne s’exerce pas comme le vôtre. J’ai une expérience beaucoup plus solide que celle de tous les critiques sur cette matière et le succès d’un film ne va, avant tout, je le répète, qu’à l’histoire dramatique des personnages. Or, celle-ci, en supprimant le conflit entre Hélène et sa mère, entre Hélène et Jean, n’existe plus. Trois mille cinq cent mètres pour voir un homme ne pas faillir à son serment ne fait pas un sujet de film […]. Ainsi réduit, le film, pour les salles innombrables qui passent 5 000 mètres, devra s’accommoder d’une autre production. Ceci est, de beaucoup, le plus grave danger pour cette sorte de film qui demande à être vu avec un œil neuf et non fatigué. Vous me répondrez : « Nous ferons une séance de plus par jour ». Quel piètre raisonnement puisque vous n’aurez personne dans la salle. Il faut savoir gagner dans le temps ce qu’on perd dans l’instant. J’accuse, croyez-moi, aurait eu la vie longue. Vous n’avez pas entendu ma voix et j’ai perdu six mois de souffrance pour rien. […] Né avec ses défauts, longueur et lenteur du rythme, ce film pouvait faire une grande carrière en France. Coupé comme on me l’annonce, et je ne saurais trop vous le répéter, c’est un squelette sans vie où l’idéologie a pris la place de la sentimentalité. De deux maux, il faut choisir le moindre. Vous avez choisi le pire. […]

53
Cette lettre pleine d’amertume est emblématique des difficultés à répétition auxquelles Gance se heurte avec ses producteurs. Début février, à deux reprises encore, en dépit des protestations qu’il émet, J’accuse est amputé de plusieurs mètres. Le désarroi du cinéaste atteint son comble lorsqu’il s’aperçoit de la disparition de la scène du bûcher qui montrait, à la fin de la séquence de la levée des morts, le lynchage de Jean Diaz par la foule en délire. Il craint alors que le film, vidé de son contenu, ne devienne absolument indéfendable61. Sur ce point, Renault-Decker lui répond que, d’une part tous les acheteurs étrangers ont demandé que cette scène soit enlevée, et que, d’autre part, à la séance de gala organisée pour les gueules cassées et les anciens combattants, le public dans son ensemble a considéré l’épisode du bûcher comme « une anecdote superfétatoire ». Il termine son argumentation en disant : « Tel qu’il passe aujourd’hui à l’Ermitage, le film a deux heures de durée et aucune critique défavorable n’est plus recueillie auprès des spectateurs – hélas trop rares ! – qui y assistent ». Cette question de la bonne longueur du film ne se réglera pas pour autant. Du moins, c’est ce que tend à prouver une lettre adressée à Gance, le 4 octobre 1938, par son scénariste Steve Passeur, dans laquelle il lui conseille, avec moult précautions et en flattant son amour-propre, de réduire encore la copie de J’accuse :

[Pour moi,] le film n’est pas trop long parce que j’ai pour le regarder les yeux d’un admirateur acharné. Dans l’absolu il est tout de même trop long parce qu’il est trop riche, trop dense et d’une intensité dramatique que le spectateur normal ne peut pas supporter si longtemps. Je me souviens de la protestation que vous avez faite un soir dans un restaurant de Billancourt alors que je ratiocinais sur la longueur de vos films, vous avez dit avec une certaine colère qu’il fallait vous accepter avec vos qualités et vos défauts, qu’ils forment un tout et que si vous vous imposiez une discipline vous perdriez une grande partie de votre pouvoir créateur. Quand vous parlez de cette façon, il n’y a plus rien à vous répondre. Je crois pourtant que vous ne connaîtrez votre pouvoir sur le public et même sur les critiques qu’en faisant un film de 2 800 mètres ne comportant qu’une seule situation […]. Bien qu’étant votre ami, bien qu’étant persuadé que vous êtes le premier scénariste du monde et un des meilleurs metteurs en scène qui se puisse rencontrer.62

54
Toujours est-il que Gance, dès le mois d’avril, se consacre à la promotion du film. Plus que jamais fidèle au credo pacifiste (à ce moment-là, on garde encore confiance dans la relation franco-allemande : nous savons que ce jusqu’au-boutisme conduira à l’acceptation des exigences d’Hitler à Munich le 29 septembre 1938), il pense que J’accuse pourrait être diffusé dans l’Allemagne nazie. Un échange épistolaire63 datant de 1938 avec la cinéaste officielle du IIIe Reich, Léni Riefenstahl, qui fait parti de ses connaissances, prouve qu’il compte sur son influence pour convaincre Hitler. Dans la réponse qu’elle lui adresse le 26 avril, cette dernière, qui n’a pas encore vu le film, lui assure qu’elle s’en occupera à son retour d’Autriche où elle présente son documentaire Olympiades sur les Jeux de 1936. Elle promet notamment de faire l’impossible pour montrer J’accuse au Führer lorsqu’il rentrera d’Italie. Elle termine en espérant avoir bientôt le plaisir de le revoir à Berlin. Fol espoir. Après la découverte du film durant un court séjour à Paris, alors que Gance était dans les Pyrénées, Léni Riefenstahl lui envoie une nouvelle lettre, datée du 8 juillet, où elle lui explique aimablement qu’il y a peu de chance pour que sa démarche aboutisse :

J’ai vu votre film J’accuse, il montre une fois de plus, d’une façon extraordinaire, votre géniale capacité de voir et de sentir pour le cinéma. Cependant, je considère personnellement qu’il est tout à fait invraisemblable que ce film arrive à passer en Allemagne. Il m’est difficile de vous en donner les motifs par écrit. J’essaie de faire voir votre film au Docteur Goebbels, ce qui est assez difficile car il voyage beaucoup. Je crois qu’il serait bon, en dehors de mes propres efforts, que votre Ambassadeur propose lui-même au Docteur Goebbels de le voir.

55
Rétrospectivement, on conçoit mal, en effet, qu’un tel film ait pu séduire le régime hitlérien… La grande naïveté de Gance, comme de beaucoup d’autres, fut de croire que les immenses souffrances et le legs tragique de la Première Guerre mondiale étaient interprétés de la même façon dans le camp des vainqueurs et celui des vaincus. Or, en Allemagne, depuis l’entrée en vigueur du traité de Versailles perçu comme une humiliation, la défaite refusée a nourri un fort ressentiment que les nazis, arrivés au pouvoir en 1933, ont su instrumentaliser jusqu’au bellicisme. Comme l’a bien démontré George L. Mosse, le « processus de brutalisation »64 découlant de l’expérience de guerre avait infiltré toute la société allemande, de telle sorte que la tendance pacifiste, dans les années trente, était minoritaire. Alors, J’accuse, vibrant appel en faveur de la paix, s’il avait été projeté outre-Rhin, aurait-il pu contrebalancer l’idée développée par la propagande nazie que la guerre était une aventure glorieuse nécessaire, aurait-il pu changer le cours des événements ? Il fallait toute l’incrédulité de ce pacifiste inconditionnel et sentimental que fut Gance pour ne pas en douter. Un an plus tard, en septembre 1939, la Deuxième Guerre mondiale éclate, scellant le sort de son film-emblème, qui, comme la Grande Illusion de Renoir, est interdit par la censure. Il ne ressortira sur les écrans qu’en 1946, année de la disparition officielle de la SDN en laquelle Gance avait tant cru.

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Notes

1D’ailleurs, une partie de la grande fresque sur la guerre que Gance envisageait de créer dès 1917, s’intitulait les Cicatrices. Par la suite, il reprendra à plusieurs reprises ce projet en le modifiant sans jamais pouvoir le faire aboutir.

2Cf. Blaise Cendrars, J’ai tué, Paris, G. Crès, 1919.

3Le roman sort en octobre 1932. Gance, en accord avec Céline, envisage une adaptation cinématographique dès le mois de novembre. Les éditions Denoël et Steele consentent alors une cession des droits pour l’Europe moyennant la somme de 300 000f (d’après une lettre adressée à Gance le 4 mars 1933, BnF, Arts du spectacle, 4°COL-36/199). Toutefois, le projet n’aboutira pas. En consultant le dossier de correspondances entre les deux hommes, on constate qu’il y a des manques importants. Une des rares lettres de Céline qu’on y trouve, rédigée sur des feuilles à en-tête des dispensaires municipaux de Clichy où il était médecin des pauvres, est très élogieuse à l’égard de Gance, l’écrivain lui faisant part de l’émotion qu’il a ressentie en lisant Prisme. Ceci explique sûrement cela… De toute évidence, Gance « a fait le ménage » dans les documents concernant sa relation avec ce vieil ami devenu, après sa compromission avec le régime de Vichy, beaucoup trop gênant pour le portrait parfait qu’il voulait laisser de lui-même.

4« Serons-nous romantiques ? », Le Crapouillot, n° 8, 15 juillet 1919.

5Extrait d’une conférence prononcée le 22 mars 1929 à l’université des Annales publiée dans Conferencia, n° 18, 5 septembre 1929.

6Précisons néanmoins que l’impossibilité de consulter les archives Gance conservées à la BiFi maintient quelques petites zones d’ombre.

7Jean Mitry, Histoire du cinéma, tome IV (1930-1940), Paris, édition J.-P. Delarge, 1980, p. 500.

8Synopsis manuscrit destiné au Film d’Art ou à Eclipse, BnF, Arts du spectacle, 4°COL-36/578.

9Manuscrit autographe (scénario et notes de 1915), BnF, Arts du spectacle, 4°COL-36/746.

10Cf. Olivier Lepick, La Grande Guerre chimique : 1914-1918, Paris, Presses universitaires de France, 1998.

11Lettre figurant dans le film qui est reportée dans une liste dactylographiée, BnF, Arts du spectacle, 4°COL-36/600.

12Laurent Véray, « J’accuse, un film conforme aux aspirations de Charles Pathé et à l’air du temps », 1895, n° 21, 1995, p. 93-123.

13Stéphane Audoin-Rouzeau et Annette Becker, 14-18 retrouver la guerre, Paris, Gallimard, 2000, p. 17.

14Copie d’une lettre d’Abel Gance à Albert Thomas, 28 septembre 1925, BnF, Arts du spectacle, 4°COL-36/810.

15Schéma dramatique de la Fin du Monde vue par Abel Gance (25 mars 1929), BnF, Arts du spectacle, 4°COL-36/558.

16Ibid., p. 28.

17Ibid.

18Le Soir, 31 janvier 1931.

19Il n’est pas inutile de rappeler que cette idée de pouvoir changer le monde, de le rendre meilleur, avait amené Gance à s’investir, peu de temps auparavant, dans des projets ambitieux mais plutôt illusoires, comme la section cinématographique de la SDN, dont l’action, selon lui, pouvait être décisive. Voir à ce sujet dans ce numéro l’article de Dimitri Vezyroglou.

20Schéma dramatique de la Fin du Monde, BnF, Arts du spectacle, 4°COL-36/558.

21Schéma dramatique de la Fin du Monde, op. cit., p. 27.

22Ibid., p. 41.

23Voir dans ce numéro l’article de Gérard Leblanc.

24Candide, 22 janvier 1931.

25« Sur un film d’Abel Gance », Monde, 31 janvier 1931.

26L’Action française, 23 janvier 1931.

27L’Action française, 30 janvier 1931.

28Antoine Prost, Les Anciens combattants 1914-1940, Paris, Gallimard, coll. Archives, 1977, p. 124-128.

29Cinémonde, juillet 1937.

30Copie de la lettre d’Abel Gance au ministre de la Guerre, 12 octobre 1937, BnF, Arts du spectacle, 4°COL-36/567.

31Paris-Soir, 3 juin 1937.

32En novembre 1914 dans l’Aisne, près de Vingré, des soldats français qui se sont repliés devant une attaque allemande sont jugés en conseil de guerre sous l’inculpation d’abandon de poste face à l’ennemi. Six sont condamnés à mort et exécutés. Ils seront réhabilités en 1921.

33Cf. Nicolas Offenstadt, Les fusillés de la Grande Guerre et la mémoire collective (1914-1999), Paris, Odile Jacob, 1999.

34Pour ne citer que les plus connus : Henri Barbusse, Roland Dorgelès, Henry Poulaille, Louis Guilloux et Florain-Parmentier.

35Nicolas Offenstadt, op. cit.

36Dossier comportant les scénarios et le découpage de J’accuse (1937), BnF, Arts du spectacle, 4°COL-36/567.

37Ibid.

38Selon Roger Icart, ce jeune philosophe, disciple d’Élie Faure, remplissait auprès de Gance le rôle de secrétaire général et de conseiller artistique.

39Lettre non datée figurant dans une liasse de documents manuscrits sur la Fin du Monde, BnF, Arts du spectacle, 4°COL-36/558.

40Voir notamment de Stéphane Audoin-Rouzeau et Annette Becker, 14-18 retrouver la guerre, op. cit., p. 197-231.

41Gance, lui-même touché par l’épidémie, parvint à en réchapper.

42Dossier Séverin-Mars, BnF, Arts du spectacle, 4° COL-36/481.

43Ibid.

44Ibid.

45Voir sur ce sujet l’excellente analyse de Michel Vovelle, L’heure du grand passage. Chronique de la mort, Paris, Gallimard, 1993, p. 40 et suivantes.

46En fait, le thème du « retour des morts » est très présent dans l’art européen durant l’entre-deux-guerres. Voir à ce propos de Jay Winter, Sites of Memory, Sites of Mourning. The Great War in European Cultural History, Cambridge, Cambridge University Press, 1995.

47Document conservé à la BnF, Arts du spectacle, FOL-ICO-CIN 1006.

48Voir à ce propos notre article, « La mise en scène du discours ancien combattant dans le cinéma français des années vingt et trente », les Cahiers de la cinémathèque, n° 69, novembre 1998, p. 53-66.

49Cf. Sophie Delaporte, Les gueules cassées. Les blessés de la face de la Grande Guerre, Paris, Noêsis, 1996.

50Premier scénario du film, op. cit., p. 11.

51« Opinion du colonel Picot sur le film J’accuse », Continents, revue mensuelle du CIDALC, n° 4, novembre 1937.

52Coupure de presse non identifiée, datée du 5 août 1937, figurant dans le dossier J’accuse, BnF, Arts du spectacle, 4° COL-36/567.

53Cette précision technique est donnée par Jean Rossi dans La Liberté du mercredi 26 janvier 1938. Dans la même séquence, Abel Gance utilise une autre surimpression dont l’effet est assez saisissant : celle de l’animation de la statue réalisée par le sculpteur Jacques Froment Meurice pour le Mort-Homme près de Verdun.

54Amédée Chivot, le Journal des mutilés, 27 mars 1926, cité par Antoine Prost, Les anciens combattants 1914-1940, op. cit., p. 115.

55Rapport de la commission de censure concernant le film J’accuse, BnF, Arts du spectacle, 4° COL-36/567.

56La Croix, 30 janvier 1938.

57Le Journal, 31 janvier 1938.

58L’Action française, 28 janvier 1938.

59Dossier de production du film J’accuse, BnF, Arts du spectacle, 4°COL-36/567.

60La Cinématographie Française, 21 janvier 1938.

61Lettre d’Abel Gance à M. Renault-Decker, 14 février 1938.

62BnF, Arts du spectacle, correspondances Gance/Steve Passeur, 4°COL-36/432.

63BnF, Arts du spectacle, 4°COL-36/454.

64George L. Mosse, De la Grande Guerre au totalitarisme. La brutalisation des sociétés européennes, Paris, Hachette littératures, 1999, p. 181-228.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Laurent Véray, « Abel Gance, cinéaste à l’œuvre cicatricielle », 1895. Mille huit cent quatre-vingt-quinze [En ligne], 31 | 2000, mis en ligne le 06 mars 2006, consulté le 30 juillet 2017. URL : http://1895.revues.org/54 ; DOI : 10.4000/1895.54

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Auteur

Laurent Véray

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